Le chômage des jeunes : une crise qui menace notre avenir

Des réseaux dont nous faisons partie, comme le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté et la Conférence européenne des Commissions Justice et Paix, s’interrogent sur la situation des jeunes sans emploi en Belgique et en Europe. Il s’agit non seulement d’un défi individuel que des milliers de jeunes doivent affronter au quotidien mais aussi (et surtout !) d’un défi collectif que nos sociétés doivent relever.

La Commission Justice et Paix francophone de Belgique a été interpellée par la prise de parole du Pape François le 5 juillet 2014. Il appelle les 20.000 jeunes venus l’écouter à aller à l’encontre de la « culture du provisoire » qui nous est imposée par le modèle économique actuel et à oser « écouter leurs aspirations (…) pour des choses belles et grandes dans leur vie ». Cette analyse se veut une réflexion sur une situation, aggravée par la crise économique et financière, à laquelle il faut répondre par la mise en place de politiques à long terme qui soient inclusives et originales. Nous souhaitons dès lors profiter de l’actuel contexte politique en transition pour interpeller nos responsables wallons [1]La 6ème réforme de l’État prévoit un transfert de compétences de l’État fédéral vers les Communautés et Régions, parmi lesquelles les compétences liées au marché du travail, belges et européens. À la fin de l’année 2013, dans une note intitulée « Triste Noël pour 120.000 jeunes chômeurs », l’économiste et homme politique belge Philippe De Feyt revient sur les années 2012 et 2013 pour montrer que le chômage des jeunes, bien que sous-estimé dans les rapports officiels (il fait référence à la dernière enquête sur les forces de travail – EFT [2]Les « EFT » sont menées par la Direction générale Statistique et Information économique. Il s’agit, comme repris sur son site Internet, d’une enquête socio-économique auprès des ménages … Continuer la lecture) est en augmentation. Pour Philippe De Feyt [3]« Le point sur le chômage des jeunes », Philippe Defeyt, décembre 2013. Site internet de l’Institut pour le Développement Durable : http://users.skynet.be/idd/, le nombre de jeunes chômeurs et le taux de chômage sont en 2013 les plus élevés depuis 2010 : en 2013, presque 120.000 jeunes chômeurs en moyenne annuelle et un taux de chômage de 27% pour la Belgique ! Il n’hésite pas à qualifier le chômage des jeunes de « drame social ». En effet, de nombreux jeunes éprouvent les plus grandes difficultés à supporter les conséquences tant émotionnelles que psychologiques du chômage (rêves brisés, coup porté à l’estime de soi, solitude, sentiment d’isolement…). Ces conséquences vécues individuellement sont en fait un défi collectif, pour la société belge et européenne… cette réalité ne s’arrête pas aux frontières de notre pays. Dans une Europe où aucune région n’est épargnée par ce fléau, ce sont plus particulièrement les jeunes, frappés par des taux de chômage bien plus élevés que le reste de la population, qui payent le prix d’une crise économique qu’ils n’ont pas causée. Si le manque d’emploi les touchait déjà avant que ne se déclenche la crise économique et financière, le taux de chômage moyen dans les États membres de l’UE est aujourd’hui deux fois plus élevé chez les jeunes que dans les autres catégories d’âge (dans plusieurs États membres, il dépasse la barre des 50 %). C’est ce constat qui a poussé la Conférence des Commissions européennes Justice et Paix, dont nous faisons partie, à ajouter sa voix au cortège des appels lancés récemment pour que cette injustice trouve une réponse. [4]« Le chômage des jeunes, le défi de la solidarité » De l’importance d’une vision politique globale… Nous nous réjouissons que l’UE ait reconnu la nécessité d’investir dans les jeunes en allouant des milliards d’euros aux programmes de la « Garantie Jeunesse » : l’UE prévoit que dans chaque pays membre tous les jeunes de moins de 25 ans se voient proposer une offre de qualité portant sur un emploi, une formation ou un stage dans les quatre mois suivant la fin de leurs études ou la perte de leur emploi. Il s’agit d’un pas important… mais pas suffisant. Les seules politiques économiques ne parviendront pas à résoudre le problème. Force est d’admettre que la racine de la crise est à rechercher dans l’incapacité de comprendre que le travail ne se limite pas à un emploi rémunéré, mais qu’il a des implications personnelles, sociales et culturelles. Le chômage des jeunes est le symptôme le plus visible et le plus inquiétant d’un problème bien plus large : l’incapacité d’envisager la pleine signification de l’emploi dans la politique sociale et économique. En conséquence, si le chômage des jeunes devrait indéniablement être une priorité pour les gouvernements, ces derniers ne peuvent envisager cette problématique isolément des autres, mais dans le cadre d’un processus plus large qui prendrait en compte les obstacles à l’emploi dans tous les secteurs de la société. Si des actions rapides pour aider les plus menacés sont indispensables, une politique à plus long terme, couplée à des changements culturels, est encore plus importante si nous souhaitons donner à nos sociétés un modèle d’emploi juste et durable. La crise que nous traversons aujourd’hui peut ouvrir la voie à des changements pérennes, qui reconnaîtront et encourageront le désir légitime des jeunes de participer à la prise de décisions. Les exigences du marché et du secteur financier supplantent depuis longtemps les besoins de la société. Il faut aujourd’hui oser mettre ce système en question. Si la priorité économique actuelle est donnée au rééquilibrage de nos budgets nationaux, force est de constater qu’on ignore encore trop souvent l’importance d’investir « dans les gens ». L’enseignement doit être placé au cœur d’une politique d’emploi durable. Cette dernière ne doit pas se « contenter » de « préparer à l’emploi », mais doit également préparer les jeunes à la citoyenneté. Voilà pourquoi un enseignement généraliste s’impose. Toutefois, les établissements d’enseignement doivent nouer un dialogue régulier avec les entreprises et avec les employeurs afin d’offrir des programmes adaptés au marché du travail actuel. Le modèle traditionnel d’un « emploi pour la vie » n’est plus un objectif réaliste ni réalisable. Nombreux sont les jeunes qui auraient besoin d’une approche plus flexible, les encourageant à acquérir un large éventail de compétences qu’ils continueraient à développer tout au long de leur vie professionnelle. Dans ce contexte, les valeurs que nous inculquons aux jeunes en matière d’emploi et de travail ont également toute leur importance. Les valeurs de solidarité, de biens communs et de services pour l’autre disparaissent souvent dans notre société de plus en plus matérialiste. S’y greffe notre tendance à accepter d’immenses variations de niveaux de rémunérations pour différents types d’emplois, parfois sans que cela n’ait le moindre lien avec la valeur réelle du travail. Apparaît alors un contexte culturel où un jeune peut considérer être un échec pour la seule raison qu’il ne reçoit pas un salaire astronomique ! Pareille dérive risque non seulement d’avoir un impact négatif sur la santé mentale et le bien-être des personnes, mais également de détricoter la cohésion sociale et les liens de solidarité au sein de la société. … à l’appui d’initiatives concrètes En juillet 2014, dans une prise de parole publique dans le Molise, une région italienne fortement touchée par la crise et où le taux de chômage est élevé, surtout parmi les jeunes, le Pape François s’est adressé aux 20.000 jeunes qui s’étaient déplacés pour l’occasion. Il les a encouragés à aller à l’encontre de la « culture du provisoire » qui nous est imposée par le modèle économique actuel et à oser « écouter leurs aspirations (…) pour des choses belles et grandes dans leur vie » plutôt que de reposer sur « le sable de l’émotion du moment ». Difficile de ne pas penser aux résultats, désolants, des dernières élections au Parlement européen… Nous ne sommes pas en droit de sous-estimer l’importance de l’écoute dont les jeunes touchés par le manque d’emplois peuvent avoir besoin. Un grand nombre d’entre eux souhaitent avoir un espace où exprimer leurs craintes et leurs inquiétudes sans risquer d’être jugés ou stigmatisés. Cette forme d’accompagnement est indispensable car pareille situation les expose à des actes de manipulation. Certains exploitent leur peine pour affaiblir la stabilité, la cohésion sociale et jusqu’à la démocratie dans nos sociétés. Force est de reconnaître que de nombreux jeunes ont perdu leurs illusions par rapport à la caste des dirigeants et aux processus politiques, car ils estiment que ces derniers négligent leurs besoins et faillissent au devoir de les protéger. Ce profond désenchantement met en danger la démocratie et risque de faire vaciller nos sociétés. Partout en Europe se manifeste cette frustration, parfois sous la forme d’un soutien aux plus extrémistes des politiciens. À côté d’une stratégie en faveur de l’emploi des jeunes, les dirigeants politiques doivent investir dans la démocratie en mettant en place des mécanismes de consultation impliquant activement les jeunes dans les processus de résolution de la crise. Pour les jeunes, par les jeunes Nous devons permettre aux jeunes de créer leurs propres réseaux de solidarité et de partenariat. Des initiatives existent et doivent être appuyées. Nous aimerions, à titre d’exemple, citer la toute nouvelle association Magma. Le Comité de rédaction de leur magazine en ligne est composé de volontaires âgé-e-s de 18 à 35 ans. L’objectif ? que les jeunes expriment leur vision des réalités vécues par leurs semblables. Autre initiative qui mérite d’être relevée : l’enquête qualitative menée par le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP) auprès de jeunes (18-30 ans) cartographiés comme «NEET», soit des personnes ne se trouvant ni à l’emploi, ni dans une filière d’enseignement, ni en formation socio-professionnelle («not in Employment, Education or Training») [5]Qu’ont à nous apprendre les Neets ? ». Lire le rapport de cette enquête . Les objectifs de cette étude sont d’une part de montrer que ces personnes peuvent « mobiliser une attitude réflexive sur leur situation et leur trajectoire » et d’autre part de « mettre à jour des éléments du « flux de la vie » non pris en compte par la réalité telle qu’elle est instituée notamment par les marchés du travail, de l’enseignement et de la formation et par les politiques qui contribuent à les produire». Dans un esprit de solidarité, nous devons dès lors nous ouvrir aux nouvelles possibilités de collaboration afin non seulement d’améliorer la situation des jeunes (dont ceux qui sont en manque d’un emploi) mais aussi leur permettre d’explorer de nouvelles visions de société, ambitieuses et créatives. En guise de conclusion, nous voudrions profiter de ce contexte de transition politique [6]En attendant la mise en place d’un nouveau gouvernement fédéral et dans le cadre de la mise en place du nouveau Parlement européen aux niveaux belge et européen pour demander à nos responsables politiques de :
  • privilégier l’emploi dans les plans de relance économique, en les dotant de stratégies spécifiques pour combattre le chômage des jeunes. Ces stratégies doivent être élaborées en consultation avec les jeunes ;
  • accélérer le dossier de reconnaissance des diplômes au sein de l’Union européenne
  • analyser les mécanismes existants de consultation et de participation des jeunes, dans le but de contrer la désaffection politique et l’extrémisme politique ;
  • accompagner les employeurs qui offrent des opportunités professionnelles aux jeunes et veiller à la mise en place de mécanismes de réglementation appropriés pour empêcher l’exploitation des jeunes travailleurs ;
  • accompagner financièrement l’enseignement et la formation professionnelle ;
  • créer des mécanismes de consultation afin d’évaluer l’apport de nos systèmes d’enseignement à un emploi durable, avec la participation de toutes les parties prenantes, dont le secteur des entreprises, les syndicats et les jeunes eux-mêmes.
Axelle Fischer

Documents joints

Notes

Notes
1 La 6ème réforme de l’État prévoit un transfert de compétences de l’État fédéral vers les Communautés et Régions, parmi lesquelles les compétences liées au marché du travail
2 Les « EFT » sont menées par la Direction générale Statistique et Information économique. Il s’agit, comme repris sur son site Internet, d’une enquête socio-économique auprès des ménages avec comme but essentiel de répartir la population d’âge actif (à partir de 15 ans) en trois groupes distincts et exhaustifs (les personnes qui ont un emploi, les chômeurs, et les personnes non-actives).
3 « Le point sur le chômage des jeunes », Philippe Defeyt, décembre 2013. Site internet de l’Institut pour le Développement Durable : http://users.skynet.be/idd/
4 « Le chômage des jeunes, le défi de la solidarité »
5 Qu’ont à nous apprendre les Neets ? ». Lire le rapport de cette enquête .
6 En attendant la mise en place d’un nouveau gouvernement fédéral et dans le cadre de la mise en place du nouveau Parlement européen
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