La violence électorale en Afrique n’est pas prête à prendre congé. Animés non pas par la soif d’accéder aux postes politiques mais plutôt l’avènement d’une transformation sociale et politique qui donne à chaque jeune la possibilité de réaliser son potentiel, les jeunes payent une lourde facture dans les luttes de démocratisation de ce continent.
Contexte et problématique
L’Afrique est reconnue comme le continent le plus jeune du monde. En 2019, Mo Ibrahim estime que plus d’un tiers de la population africaine avait entre 15 et 34 ans et prévoit que d’ici à l’an 2100, la tranche jeune de l’Afrique pourrait être équivalente à deux fois la population totale de l’Europe. Sur le continent africain, la tranche dite « jeune » représente environ 430 millions, soit près de 60 % de la population africaine comme l’estime la Fondation Mo Ibrahim.
Selon la Charte africaine de la jeunesse (CAJ), les personnes âgées de 15 à 35 ans représentent des acteurs économiques et politiques clés. En effet, les jeunes sont considéré·e·s comme les moteurs de changements dans presque tous les domaines de la vie sociétale. Malheureusement, les manquements de nombreux régimes africains de l’Afrique ont laissé la jeunesse engloutie dans les conflits et la violence liés aux élections. Très courante sur le continent, la violence électorale met indubitablement en péril les acquis enregistrés par les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) et ceux du développement durable (ODD).
Ayant pris conscience des néfastes conséquences liées à l’augmentation des conflits et de la violence électorale, la jeunesse tend à s’organiser et à initier des mouvements d’actions visant à prévenir, gérer et résoudre les conflits électoraux. Ceci exige que la jeunesse africaine participe activement aux mécanismes susceptibles de garantir une gouvernance démocratique viable, par le biais de stratégies dynamiques et répondant aux attentes des jeunes dans leur diversité.
La jeunesse, aujourd’hui comme hier, partage le souhait d’avoir un avenir meilleur. Les structures de gouvernance adoptées dans de nombreux pays d’Afrique ne parviennent pas à réaliser ce rêve. Il est trop tôt pour oublier la Révolution du Jasmin en Tunisie en 2011, les campagnes de « Y’en a Marre ! » et de « Ma carte d’électeur, mon arme» au Sénégal en 2012, les exactions des notables Imbonerakure au Burundi en 2015 ou encore la descente en route du 20 Octobre par les jeunes Tchadiens qui réclament des élections démocratiques, autant d’exemples des mobilisations citoyennes cherchant une démocratisation de la gouvernance. Ces évènements témoignent de l’engagement des jeunes dans les luttes démocratiques sur le continent. Malheureusement, ces luttes, considérées comme « violence électorale » coûtent cher à l’Afrique en termes des vies humaines, et les jeunes sont les plus touché·e·s. Selon l’activiste des droits de l’homme Delphine Djiraibé, le bilan provisoire de la violence pré-électorale du 20 octobre au Tchad est estimé à une cinquantaine de morts, et au moins 300 blessés et ces manifestations, considérées comme faisant partie des plus meurtrières de l’histoire du Tchad.
Au Burundi, les manifestations contre la candidature du président Pierre Nkurunziza pour son troisième mandat, ont plongé le pays dans une crise qui fait au moins 700 victimes et 800 disparu·e·s, selon la Fédération internationale pour les droits de l’Homme (FIDH). La violence électorale est exacerbée par les forces de l’ordre et d’autres agents sécuritaires dans leur tentative de réprimer les manifestant·e·s. Comment réduire la vulnérabilité des jeunes dans les conflits et violences liées aux élections ?
Expériences d’engagement des jeunes dans la démocratisation de l’Afrique
L’Union Africaine dispose de plusieurs politiques et programmes de développement de la jeunesse au niveau continental visant à faire en sorte que le continent tire profit de son dividende démographique. Au sein de ces politiques figurent la Charte africaine de la jeunesse, le Plan d’action de la Décennie de la jeunesse et la Décision de Malabo sur l’autonomisation des jeunes, qui font parties des programmes de l’Agenda 2063. Le Plan d’action de la Décennie de la jeunesse s’articule par exemple autour de cinq grands domaines prioritaires, à savoir : l’Éducation et développement des compétences ; Emploi et entrepreneuriat des jeunes ; Gouvernance, paix et sécurité ; Santé des jeunes et droits en matière de santé sexuelle et reproductive ; Agriculture, changement climatique et environnement. De son côté, la Charte africaine de la jeunesse vise à promouvoir la participation des jeunes dans la société. Malgré la mise à disposition de ces outils, le sentiment général est que la politique traditionnelle et la démocratie représentative n’attirent plus les jeunes qui se sentent écarté·e·s et ont tendance à se désengager du processus démocratique.
Selon l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (IDEA international 2015), les jeunes votent moins fréquemment, se portent moins souvent candidat·e·s et restent sous-représenté·e·s dans les fonctions de gestion électorale. Au Kenya, Leah Thanji, une jeune activiste de droits de l’homme et partisane d’Azimio La Umoja, a mentionné la maturité politique des jeunes et les changements opérés dans les institutions de gestion des élections au Kenya. « L’expérience des violences post-électorales en 2007 et 2008 a beaucoup changé la mentalité des jeunes kenyans. Les institutions étatiques chargées des élections ont mis beaucoup d’efforts en éducation à la participation politique des jeunes, et notre résistance à la manipulation des politiciens a été renforcée », a relaté Thanji.
Comprendre la violence structurelle pour prévenir la violence électorale
Des raisons structurelles, institutionnelles, juridiques, organisationnelles mais également la présence de groupes rebelles vienne expliquer en partie la présence de la violence durant les campagnes électorales et les élections. Il faut aussi souligner que les élections ne sont pas la seule cause de violence pré- ou post-électorale. Souvent, les élections fournissent l’opportunité pour le peuple d’exprimer d’autres griefs de nature politique ou sociale au sujet du partage des ressources, des injustices sociales, de la marginalisation, des rivalités ethniques, de l’intimidation ou d’autres malaises perçus ou réels (Institut international pour la paix, 2012).
Les élections constituent le socle de la démocratie dans un état, et les jeunes sont appelé·e·s à utiliser sciemment leur pouvoir démographique, leur savoir et participer à la vie démocratique pour maximiser les avantages qu’apporte la démocratie au développement. Au Burundi, en 2015, les jeunes reconnu·e·s comme Imbonerakure ont participé aux manifestations et violences pour défendre l’ambition du président Pierre Nkurunziza de briguer le troisième mandat. Tandis que la masse des jeunes au Tchad ont répondu à l’appel de l’opposition contre la junte militaire pour organiser les élections démocratiques.
Conclusion
En guise de conclusion, pour convenablement prévenir la violence électorale, les états Africains doivent conjointement revoir leurs approches d’engagement des jeunes pour s’assurer de leur inclusion et intégration significative dans le cycle électoral et démocratique. Il faut les impliquer dans les efforts de prise de décisions et élaboration des stratégies de prévention et gestion des conflits électoraux. Si cela est bien fait, il va sans doute favoriser le travail de l’Union Africaine, des communautés économiques régionales et des Nations Unies dans l’élaboration d’une approche viable et de long terme envers la paix, justice et le développement durable.
Engager les jeunes dans les mécanismes et les modalités permettant que leur rôle dans les élections contribue à l’évolution viable de la démocratisation à travers les États différents de l’Afrique. Pour réaliser ce changement positif, il faut non seulement l’engagement des jeunes mais aussi du courage politique, ainsi que du temps et des ressources importantes.
Jean Baptiste Hategekimana.