Lorsque j’étais encore étudiant, mon professeur de développement durable débordait toujours d’optimisme quant à l’avenir. S’il m’a tant marqué, c’est essentiellement car il avait coutume de répéter deux phrases qui résonnent encore en moi des années plus tard. La première : « Notre génération a échoué, la vôtre sera celle des solutions », la seconde : « Qui décide ? ».
À notre échelle
La jeune génération selon The Lancet Planet Health est comprise entre 16 et 25 ans. Au sein de cette tranche d’âge, plus d’une personne sur deux souffre d’éco-anxiété et ressent de la peur, de la colère, de l’impuissance et de la culpabilité. Les trois quarts d’entre eux estiment que leur futur est terrifiant parce que les générations précédentes ont échoué à prendre soin de la planète. L’UNICEF avertit que le réchauffement climatique aura un impact sur l’avenir de chaque enfant à naître, bien qu’aucun·e ne soit responsable de la hausse actuelle des températures.
La boule au ventre, les jeunes voient le temps et les COP défiler en parallèle des discours alarmistes des scientifiques et des glaciers qui s’éteignent. À l’heure de la crise énergétique et climatique, l’État enjoint de nouveau ses citoyen·ne·s à faire des efforts. C’est l’histoire d’une forêt en feu où un colibri fait frénétiquement des allers-retours entre le brasier et la rivière la plus proche. En dépit des maigres quantités d’eau qu’il peut transporter, il a le sentiment de faire sa part. Le récit de la lutte contre le dérèglement climatique est profondément ancré sur une responsabilisation de l’individu. Apparemment si notre maison est en feu, c’est parce que nous entretenons une vie très consommatrice d’énergie, cherchant toujours plus de confort. L’insatiabilité de la demande serait le comburant d’un incendie qui ne fait que croître. Notre gourmandise pour les voyages, la mode et les aliments du monde nous rendrait de facto détenteur·rice·s d’une dette écologie. Pour nous en absoudre, il ne tiendrait qu’à nous de décider de ce que nous faisons de notre pouvoir d’achat. La responsabilité serait-elle donc individuelle et à notre échelle ?
Simon a 14 ans lorsqu’émerge les premières grèves pour le climat en Belgique. Ses parents l’autorisent à participer à deux conditions : d’abord de s’informer et ensuite de faire de son mieux. Il réalise que ceux et celles qui sont victimes du changement climatique, n’en sont pas les responsables. Pour lui, c’est intolérable. À partir de ce moment-là, comme de nombreuses personnes, il décide de consommer autrement. Individuellement, les plus gros leviers d’action pour réduire l’empreinte écologique sont les transports, l’alimentation et l’habitat. Alors, au revoir les boulets liégeois, bonjour le train et le vélo pour aller voir les copains. Prendre rapidement sa douche et enfiler un pull supplémentaire en hiver : check. Autant d’actions qui sont plus facilement réalisables au sein de foyers privilégiés pour lesquels « fin du monde » est plus inquiétant « que fin du mois ». Simon est conscient du monde inégalitaire dans lequel il vit, ce qui le fait se sentir d’autant plus responsable. Malgré ses efforts, le monde est parti pour se réchauffer au-delà des 2,5°C.
Nos voix résonnent vides
Institutionnellement, il existe un pouvoir dont Simon ne pourra jouir qu’à partir de ses 18 ans. Une fois majeur, il aura le pouvoir de voter pour élire nos représentant·e·s, les véritables détenteurs et détentrices du pouvoir de décision. Aux dernières élections tous les partis ont inclus l’enjeu climatique dans leur programme, certains étant plus ambitieux que d’autres ou faisant porter une responsabilité plus individuelle ou collective. Au lendemain des marches pour le climat, la conjecture était idéale pour voir une vague verte déferler au sein des différents parlements du pays. La Belgique, terre de surréalisme et particratique a finalement abouti à ce qu’elle fait de mieux : un compromis en deçà des attentes.
La démocratie représentative par les élections, montre une nouvelle fois ses limites. L’échelle de temps d’un mandat politique n’est que de cinq ans, alors que le cycle de la nature se compte en décennies. Quant à l’urgence climatique, le meilleur moment pour agir c’était hier, alors nous devons prendre le problème à bras le corps maintenant sans tergiverser. La campagne pour les prochaines élections débute au lendemain de la dernière et les objectifs environnementaux passent à la trappe, pourquoi ? Le GIEC le dit, les changements socioculturels et de mode de vie peuvent accélérer l’atténuation du changement climatique. Néanmoins, tendre vers la sobriété demande un courage politique, puisque cela implique de restreindre nos libertés. Il nous faudra prendre des mesures qui changeraient les systèmes actuels de transports, d’alimentation et de production d’énergie. Autant de mesures radicales qui nécessitent une transformation en profondeur de la société et qui, adoptées sans soutien de l’opinion publique, sonneraient le glas d’une carrière politique. La démocratie élective est la délégation d’un pouvoir individuel que nous possédons tous les cinq ans que nous mettons au profit du collectif. Et à chaque législature, la méfiance grandit. Proportionnellement à l’inaction politique. En réaction à ce système politique qui peine à résoudre la crise, la tentation pour le fascisme ou simplement le désintérêt sont des voies de réponses pour les jeunes du monde entier. Heureusement, ce ne sont pas les seules.
Entrer en lutte
Chacun·e possède un plus grand pouvoir de décision que ce que le système lui laisse penser. Il peut se cristalliser en une multitude d’autres manières que par le pouvoir d’achat ou le droit de vote.
Cet été, j’ai rencontré Anaëlle 16 ans au cours d’un camp climat. Si, au début, c’était une profonde colère qui l’a poussée à se mobiliser, aujourd’hui c’est également avec plaisir qu’elle milite. Même si elle aurait préféré avoir une adolescence dite « normale », elle se construit aussi à travers sa lutte. Les marches deviennent des évènements où elle rencontre de nouvelles personnes ouvertes d’esprit qui ont eux et elles aussi la volonté de faire bouger les choses… et pas qu’à leur échelle de colibri. Un peu plus tard cette année j’ai été surpris de la croiser lors d’une action de désobéissance civile sur un site pétrochimique, elle m’a dit être là pour avoir de l’impact. Elle a donc décidé de bloquer l’une des 100 entreprises responsables de 71% des émissions de CO2 cumulées depuis 1988.
À son image, les colibris continuent d’arroser le brasier comme ils peuvent, mais ils apprennent aussi à regarder autour d’eux. Au-delà de nos foyers et du monde politique existe celui des entreprises et du marché, où il semblerait que le pouvoir décisionnel soit réellement détenu. Les responsables de multinationales et leurs actionnaires qui réalisent des surprofits en temps de crise, sont semblables à des vautours, qui de leurs grandes ailes entretiennent les flammes, prêts à continuer l’exploitation du vivant. Les caméras ont tendance à se braquer sur les souhaits et les initiatives des colibris. Mais quand ceux-ci désobéissent en bloquant des infrastructures fossiles, ils ont pour objectif de pointer du doigt les responsables de la crise aux yeux du monde.
Manifester et désobéir, agir vers et contre le système sont des possibilités. Simon lui, préfère agir en son sein par l’intermédiaire de Youth for Climate. Dernièrement il était présent au Forum des Jeunes à la 9th conférence ministérielle « Environment for Europe » à Nicosie, pour faire entendre la voix des jeunes Belges. Le constat est en demi-teinte, car les décideurs et les décideuses politiques ont omis de leur laisser de l’espace pour s’exprimer, même si cela reste un progrès d’être accueilli au sein des débats onusiens. Sur le sol national, il continue de sensibiliser jeunes et moins jeunes dans différents lieux tels que les centres culturels, les écoles et les plateaux de télévision. Tout le monde doit changer pas uniquement les jeunes, Simon est bien conscient qu’on ne réécrira pas le passé mais qu’il n’est pas trop tard pour changer le futur. C’est pourquoi il invite les adultes à le rejoindre dans son combat, puisqu’ils sont encore là et peuvent mener des actions.
On récolte ce que l’on sème
Jours après jours, les nouveaux combats émergent à mesure que certain·e·s planifient de larguer des bombes climatiques sur une planète où l’espoir d’une vie en sécurité se réduit à peau de chagrin. La peur d’un futur calciné pousse les jeunes à agir, ils se rassemblent pour faire bouger les choses dans la joie des rencontres et le partage de l’espoir. Dans une démocratie où le pouvoir de l’individu semble se limiter au vote et au pouvoir d’achat, les jeunes décident de se mobiliser. À leur échelle et selon la manière qui leur correspond le mieux, ils et elles luttent pour un avenir vivable ici et ailleurs. Les colibris n’ont pas pour unique vocation de jouer les pompiers, ils peuvent aussi agir comme mégaphones vers les autorités et piquer les vautours pour les empêcher de nuire.
Les jeunes ont été indispensables à l’explosion médiatique du changement climatique, Greta Thunberg la première. Auparavant les marches ne rassemblaient que quelques centaines de personnes, et l’on doutait de la cause anthropogénique de la crise. En 2022, des dizaines de milliers de personnes envahissent les rues des grandes villes du monde et l’atténuation, l’adaptation ainsi que les pertes et préjudices sont discutés dans les instances nationales et internationales. Simon et Anaëlle sont conscient·e·s que les victoires qui s’engrangent sont collectives et que leur militantisme s’inscrit dans un puzzle complexe. Les jeunes n’ont pas la prétention de s’arroger d’un mérite qui revient à la société civile, aux scientifiques et aux citoyen·ne·s engagé·e·s dans ces luttes depuis des années. Les jeunes participent à concrétiser les graines qui ont été plantées hier, et sèment déjà celles qu’ils récolteront demain.
Nicolas Bormann.