Élections en République Démocratique du Congo : quels défis pour 2023 ?

À un an des élections congolaises, cette analyse vous propose un coup d’œil sur les défis à relever par les institutions et les organisations de la société civile de la RD Congo pour que le pays s’engage vers plus de transparence, d’inclusivité et d’apaisement pour ces élections de 2023.

La jeune démocratie qu’est la République Démocratique du Congo se prépare pour son quatrième cycle électoral. Le 26 novembre dernier, la Commission électorale nationale indépendante, la Ceni, a annoncé la date des prochaines élections. Son calendrier électoral nous apprend que les élections auront lieu le mercredi 20 décembre 2023 et que l’enrôlement des électeurs débutera le 24 décembre 2022. Même si, la sortie du calendrier électoral est un soulagement quant au respect des délais constitutionnels, le processus électoral devra faire face à de nombreux défis.

Ceux-ci ont été abordés dans le cadre d’un séminaire à Bruxelles, organisé par les Affaires étrangères belges, l’Ambassade du Royaume-Uni et le Palais d’Egmont, le 2 décembre passé. Plusieurs orateurs congolais, belges et internationaux, tels que Denis Kadima, le président de la Ceni, sont revenus sur les défis techniques et organisationnels ainsi que les enjeux de cette élection. À l’occasion, Justice & Paix accompagnait Mgr Donatien Nshole, secrétaire général de la CENCO[1] qui intervenait lors de cette présentation.

Les défis techniques et organisationnels

Publié il y a moins d’un mois, le calendrier électoral s’articule autour de la constitution du fichier électoral[2], de l’opération de réception et de traitement des candidatures aux scrutins directs et indirects[3], de l’organisation de ces scrutins ainsi que des activités de pérennisation du processus électoral[4]. Malheureusement, plusieurs défis importants se dressent face à ce prochain processus électoral : des défis temporels, logistiques, légaux, sanitaires, et enfin, et pas des moindres des défis sécuritaires menaçant la tenue d’élections à l’Est de la RDC.

Le défi temporel a été relevé, voire même critiqué par certains experts et membres de la société civile. Pour une population dépassant les 90 millions d’habitants, il n’y a que trois mois prévus pour l’identification et l’enrôlement des électeurs de tou·tes les provinces et des cinq pays étrangers participants au vote. Les congolai·ses habitant en Afrique du Sud, en Belgique, en France, au Canada et aux USA pourront donc voter en décembre 2023. La Ceni voit cette étape comme un projet pilote qui pourra être étendu à d’autres pays pour les élections de 2028. Néanmoins, cette disposition est prévue par la constitution et se justifie également les grandes diasporas congolaises vivant dans ces pays.

Ensuite, les défis logistiques touchent principalement à l’enrôlement des électeurs déplacés à cause de la situation sécuritaire au Nord-Kivu. Par ailleurs, le déploiement du personnel temporaire et du matériel pour les votes sera aussi compliqué par les conflits, ce qui a été confirmé par plusieurs intervenants du séminaire. Pour identifier les électeurs, la Ceni se base sur l’enrôlement de 2018 et sur la bonne volonté des citoyen·nes à s’enregistrer dans leur centre d’inscription. En outre, une application pour smartphone a été commandée par la Ceni pour que les citoyen·nes puissent s’inscrire aux élections sans se déplacer. Mais, pour un pays dans lequel une partie de la population n’a accès ni à internet ni à un téléphone, il est clair que cette application ne permettra pas un enrôlement plus inclusif et rapide. Mais, le plus gros problème reste le fait que la RDC n’a pas de registres nationaux complets, identifiant de manière exhaustive tou·tes les personnes nées et habitant au Congo. De plus, le vote semi-électronique prévu par la Ceni ne convainc pas tout le monde. L’expert électoral indépendant, Gérold Gérard a expliqué que ce dernier n’est pas encadré juridiquement et a exposé le risque de multiplier les boites noires entourant les résultats et leur transmission.

La météo et la saison des pluies compliqueront également la participation des certain·es citoyen·nes habitant dans des régions reculées et difficiles d’accès, comme en attestent les inondations de novembre dernier. En outre, les conditions sanitaires, relatives à la propagation certains virus comme le Covid-19 ou le choléra pourraient également empêcher la participation de certaines personnes.

Les défis sécuritaires

Enfin, il est essentiel de revenir sur la situation sécuritaire à l’Est du pays, qui fait craindre une annulation des élections dans les régions sous le joug de violences armées. À la lecture de la presse de ces derniers mois, une multitude de groupes armés, dont le M23, sème la terreur et provoque de nombreux déplacements de population au Nord-Kivu. Le M23 voudrait contrôler la ville de Goma, carrefour stratégique à la frontière rwandaise et proche de l’Ouganda et a, dans cet objectif, lancé plusieurs offensives sur les villes de Rutshuru, Nyiragongo, Kibumba et Masisi pour encercler la ville de Goma. L’armée nationale congolaise tente d’arrêter les insurgés et a reçu un soutien militaire de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE). En outre, la résurgence du M23 provoque de nouvelles tensions diplomatiques avec le pouvoir de Kigali, que le gouvernement congolais accuse de soutenir le M23.

Pour cette raison et dans le but de mettre fin aux violences, des pourparlers ont été entamés à Nairobi sous la houlette de l’ancien président kényan, Uruhu Kenyatta, représentant la CAE. Les gouvernements congolais et rwandais et plusieurs groupes armés se sont mis autour de la table pour aboutir à un cessez-le-feu à la fin du mois de novembre. Le M23 n’a quant à lui pas été invité à participer aux négociations, et se sentant lésé, il n’a pas quitté les territoires qu’il occupait depuis quelques semaines.

Déjà lors du scrutin présidentiel de 2018, les populations de Butembo, Beni et Yumbi n’avaient pas pu voter pour des raisons sanitaires et sécuritaires, ce qui avait provoqué de vives contestations dans les villes concernées et du côté de l’opposition de Martin Fayulu. Malgré l’instabilité sécuritaire actuelle, le gouvernement de Tshisekedi a déclaré qu’il ne voudrait pas aboutir à un glissement des élections. Donc, pour que les élections aient lieu en décembre 2023 de manière inclusive et apaisée, il est primordial que le gouvernement ainsi que la Ceni prennent leurs responsabilités. D’une part, le gouvernement doit garantir l’intégrité territoriale et souveraine du pays, et doit impérativement trouver une solution pour mettre fin aux conflits et violences à l’égard des populations civiles. D’autre part, la Ceni doit assurer un processus électoral transparent et inclusif, grâce à une identification, un enrôlement et des scrutins identiques et crédibles dans toutes les régions du Congo.

Le déficit de confiance au sein de la population

En dehors des défis nettement attachés au calendrier électoral, la confiance de la population à l’égard des promesses faites pour ces élections est au plus bas. En effet, ce déficit de confiance représente un enjeu majeur pour la Ceni, qui a été et demeure critiquée pour son manque de transparence. Pour sensibiliser et regagner la confiance de la population, la Ceni doit être plus transparente et publier des rapports de son travail[5]. Cette démarche doit également être soutenue par un renforcement de l’inclusion et une amélioration de l’observation électorale. Pour finir, l’abstention au Congo est souvent très importante et ne pourra être résorbée en 2023 que grâce à une forte sensibilisation de la population, qui doit être faite par la Ceni, les institutions politiques et religieuses ainsi que par les organisations de la société civile (OSC). Il est important de rappeler que la Ceni est et doit rester un organe indépendant, non politisé et neutre, devant promouvoir l’apaisement et la confiance dans le processus électoral. Ces demandes ont notamment été énoncées par la CENCO et par plusieurs experts et acteurs de la société civile, lors du séminaire du 2 décembre dernier.

Malgré les déclarations du gouvernement de Félix Tshisekedi et de la Ceni, dirigée par Denis Kadima, affirmant la tenue d’un processus électoral crédible, transparent et inclusif, le ras-le-bol et la protestation de la population congolaise augmentent[6] à plusieurs niveaux – politiques, sécuritaires, géopolitiques et démocratiques.

Il est donc clair que si ces scrutins ne se déroulent pas de la manière la plus démocratique et apaisée possible, la population congolaise n’hésitera pas à protester et à montrer son mécontentement

Les défis sont vraiment importants et demanderont un engagement sérieux et transparent de la part de la Ceni et du gouvernement congolais. Mais, pour être démocratique, ce processus électoral doit être soutenu par les membres de l’opposition, les institutions religieuses, les OSC et, surtout, par la population. Sans une population informée, sensibilisée et concernée par ces élections, elles ne pourront pas être représentatives et inclusives. De nombreuses OSC se mobilisent pour informer et sensibiliser la population congolaise à l’importance du vote et ce travail doit continuer et être renforcé par toutes les institutions et organisations impliquées dans les élections. Les OSC s’étaient déjà fortement mobilisées quand Joseph Kabila voulait briguer un troisième mandat et, à présent, elles ne s’essoufflent pas et mettent leur énergie au service de la population et des principes démocratiques. D’ailleurs, la société civile belge peut en apprendre beaucoup sur l’investissement et l’endurance des OSC congolaises. De plus, il est important que la société civile et les autorités belges et européennes soutiennent symboliquement ce processus électoral et proposent leur aide en termes d’observation électorale à court et à long terme.

Aux niveaux économique, sécuritaire, sanitaire, politique et judiciaire, la RDC est un pays essoufflé par les crises à répétition, et un processus électoral démocratique, crédible, transparent et apaisé pourrait être une première impulsion vers la reconstruction d’une stabilité nationale. Pour autant, il ne faut pas croire que des élections crédibles permettront une évolution démocratique fondamentale, ce n’est qu’une seule des étapes vers la construction d’une démocratie.

Clara Gatugu.


[1] Conférence Episcopale Nationale du Congo.

[2] Identification et l’enrôlement des électeurs et l’adoption de la Loi sur la répartition des sièges.

[3] Les scrutions directs regroupent l’élection du président, des députés nationaux et provinciaux, et des conseillers municipaux. Alors que les scrutins indirects rassemblent les sénateurs, les conseillers urbains, les gouverneurs et vice-gouverneurs, les maires, les bourgmestres et leurs adjoints.

[4] Analyses statistiques et projections, élaboration des avant-projets de lois et planification des opérations électorales pour les élections de 2028.

[5] Par exemple, la cartographie des bureaux de vote a été modifiée pour être plus représentative, mais n’a toujours pas été publiée.

[6] Le Père Rigobert Minani Bihuzo, chef du département de recherche CEPAS (Kinshasa), a alerté d’une possible vague de protestation populaire si les élections de 2023 ne sont pas inclusives, transparentes et crédibles. Il en parle également dans son ouvrage Les défis de la construction de la paix en RDC et l’engagement de l’Église, publié en février 2022.

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