Le problème majeur du processus de Kimberley est son manque d’ambition. Le SCPK s’engage effectivement à stopper le commerce de « diamants bruts utilisés par des mouvements rebelles ou leurs alliés pour financer des conflits armés qui visent à déstabiliser des gouvernements légitimes ». Cette définition est trop restrictive.
Concernant les diamants d’abord, puisqu’elle n’implique aucune sorte de contrôle sur le commerce illégal de pierres déjà polies, dont les transactions qui « s’élèvent en millions de dollars sur le marché noir suggèrent pourtant des failles évidentes ; failles par lesquelles des diamants illicites et de conflit sont suspectés de pénétrer le marché légal ». Qui plus est, le devoir de certification des diamants s’effectue « par cargaison », alors qu’elle devrait, pour plus d’efficacité, s’effectuer par unité. Il est en effet aisé de glisser des pierres illégales dans des cargaisons certifiées conflict free.
La contrebande en est facilitée et alimente un important marché noir. L’achat et la vente de diamants de conflits nourrit ainsi des pratiques d’évasion fiscale et blanchiment d’argent tandis que des associations terroristes s’en servent pour dissimuler la provenance de leur argent sale.
Ensuite, notons que le type de conflit couvert par le SCPK devrait également être réévalué. Selon la définition, des diamants sont considérés comme diamants de conflits dans le cas uniquement où ils auraient servi à financer le camp « rebelle » d’une guerre civile. Autrement dit, des pierres extraites de manière non-éthique et potentiellement liées à des faits de torture, d’assassinat ou de viols commis par une armée régulière recevront un label certifié conflict free et entreront facilement sur le marché légal.
La décision par les participants au processus de Kimberley d’autoriser le Zimbabwe à exporter sa production de diamants issus des champs de Marangue est d’ailleurs l’élément qui a décidé Global Witness à se retirer du processus. Les autorités gouvernementales zimbabwéennes, les forces gouvernementales et le président Mugabe y sont en effet accusés d’actes de violence et de violations des droits humains perpétrés envers la population civile, les creuseurs artisanaux et les contrebandiers internationaux dans le but de prendre le contrôle de ce qui est considéré par certains comme le plus grand champ diamantaire jamais découvert depuis plus d’un siècle. Y sont dénoncés aujourd’hui encore des faits de torture, de travail forcé mais aussi de corruption et de détournement d’argent. Ce sont 2 milliards de dollars issus de la rente minière qui auraient pu servir au développement local qui ont ainsi disparu des caisses nationales. En décembre 2013, pourtant, l’Union Européenne a cédé au lobby de l’industrie diamantaire belge et européen en autorisant l’achat à Anvers de 300000 carats issus des champs de Marangue.
Enfin, soulignons que le processus de Kimberley ne prend pas en compte les risques environnementaux. Pourtant, les conflits armés n’ont pas le monopole de l’horreur. L’extractivisme, même lorsqu’il se réalise dans des conditions légales, est connu pour ses dégâts sur les communautés ainsi que sur leurs écosystèmes et peuvent provoquer des conflits sociaux plus ou moins violents.
Rien que sur l’année 2015, l’assèchement quasi total du lac Poopo (Bolivie) du fait, entre autres, des besoins hydriques de l’industrie minière locale ainsi que l’accident du barrage minier de Bento Benitez au Brésil en attestent largement. C’est tout aussi vrai pour les mines de diamant. En Angola et en Sierra Leone, des décennies d’extraction minière ont bardé ces pays de graves cicatrices environnementales : érosion et pollution des sols, disparition d’espèces animales terrestres et aquatiques, etc. Ces dégâts empêchent l’agriculture et la pêche de se développer, et impliquent un nécessaire déplacement des populations. Ils déstabilisent l’équilibre écosystémique et socio-économique de ces régions déjà fragilisées.