Se confronter à un passé violent et aux séquelles de la dictature : un défi pour les pays européens

Traiter un passé marqué par de très graves violations des droits humains et des principes fondamentaux de la dignité humaine est certainement l’un des défis majeurs auquel est confrontée une société à la sortie d’une guerre ou d’une dictature. Cela implique un processus de traitement multi dimensionnel qui seul permettra de garantir la perspective d’une paix durable.

Un récent atelier international des Commissions Justice et Paix d’Europe réunies à Berlin a permis de se pencher sur la réalité des crimes massifs perpétrés tant dans les camps de concentration et lieux d’exécution nazis que dans les centres de torture et les prisons de la Stasi. Il a également donné la possibilité aux participants de s’interroger sur la tension qui existe entre le besoin et le devoir de mémoire d’une part et la résurgence de tentations dictatoriales dans une Europe en crise. Un passé survivant À la suite d’une situation historique dramatique ayant donné lieu à des violations massives des droits humains, trois démarches doivent être menées de front. Documenter les crimes de sorte que la vérité puisse être établie, permettre aux victimes de faire valoir, outre cette vérité, la justice et prétendre à des réparations et enfin s’assurer que les auteurs de ces crimes soient punis. Ces défis, l’Allemagne, et en particulier la ville de Berlin, y restent confrontées plus de 65 ans après la Shoah et près de 25 ans après la chute du Mur qui a levé la chape de silence qui entourait les crimes commis par l’armée russe. De nombreux lieux en Allemagne, devenus des centres de mémoire, témoignent des pages les plus sombres de l’histoire européenne. Des centaines de milliers de personnes y ont été détenues, humiliées, affamées, violées, torturées, menacées, liquidées, exécutées, déshumanisées… Si réfléchir à la terreur et à la violence à travers les yeux des victimes tombe sous le sens tant leurs effets sont brutaux, chercher à comprendre les mécanismes et les dynamiques qui ont amené quelques milliers de fonctionnaires obéissants à se transformer en bourreaux serviles ou zélés nous a aussi semblé instructif à bien des égards. Du côté nazi, un véritable système organisé depuis la recherche des suspects jusqu’à leur liquidation en passant par leur arrestation, leur transport, leur enregistrement, leur sélection, leur mise au travail, leur équipement et leur nourriture était en place. Autant de tâches extrêmement parcellisées qui laissaient la plupart des exécutants avec le sentiment qu’ils n’avaient fait que leur devoir et qu’ils répondaient à des ordres logiques et précis. À sa reprise des camps en 1945, l’Armée rouge les a immédiatement recyclés en centres de détention de criminels nazis puis d’opposants au régime communiste. À l’industrie de la mort mise sur pied par les SS a rapidement succédé une désorganisation soviétique qui a entraîné de très nombreux décès par négligence car les prisonniers mouraient de froid, de faim, de maladie, d’inactivité. Entre l’idéal de la réconciliation et la réalité des sentiments Nous avons également été amenés à nous interroger sur le lien qui peut exister entre perpétuation de la mémoire et maintien, sinon du désir de revanche, du moins d’une forme de violence symbolique et physique. La façon dont des militants d’extrême-droite ont tenté (et partiellement réussi) de détruire des vestiges du camp de concentration de Sachsenhausen au lendemain de la visite du président de l’État d’Israël en dit long sur le caractère ambivalent de mémoriaux qui ont la mission à la fois d’entretenir le souvenir et de permettre à la société allemande de guérir ce syndrome collectif. De la même manière que de paisibles citoyens allemands, ayant vu passer quotidiennement des centaines de déportés entre la gare et le camp installé aux portes de la ville, ont tranquillement pu prétendre à la fin de la guerre n’avoir été au courant de rien, il est vraisemblable que bien des Allemands n’aient pas mis les pieds dans ce genre de lieu qu’ils considèrent comme une stigmatisation excessive de comportements inexcusables d’une minorité d’entre eux. Il est aussi significatif de se souvenir que la majorité des nazis responsables du génocide contre les Juifs est restée impunie. Du coup, et malgré que rien ne puisse compenser les souffrances endurées par les victimes, la réconciliation reste une tâche inachevée, même si les derniers survivants des atrocités, tout comme les derniers criminels de cette guerre, s’éteignent les uns après les autres. L’émotion causée par l’atteinte à ce lieu de mémoire, tout comme celles régulièrement perpétrées à l’encontre de tombes de martyrs du dernier conflit mondial, démontrent que la négation du passé ou le refus de la recherche de la vérité pour ceux qui ont subi ces horreurs représente une nouvelle agression contre leur dignité humaine. Un processus à réinventer en Afrique aussi ? Sans chercher à établir des liens entre des événements qui sont de nature fort différente, (mais cependant marqué comme chaque fois par un séjour cet été au Rwanda), force est cependant de constater que le traitement des conséquences du génocide contre les Tutsis procède des mêmes mécanismes. Tant dans le chef des victimes que dans celui des coupables. Préparé de longue date, au vu et au su de la « Communauté internationale », mis en œuvre par des masses de paysans encadrés par une élite formée à cette fin et chauffés par des médias haineux, exécuté en un temps court avec un équipement rudimentaire, ce génocide a donné lieu à des démarches de vérité et de réparation originales, même si elles furent sans doute imparfaites. Alors que les mois qui viennent donneront lieu à d’intenses commémorations du 20è anniversaire du déclenchement et de la perpétration du dernier génocide en date, il nous paraît légitime de nous interroger sur la sincérité des processus mis en place de part et d’autre pour retrouver le chemin de la réconciliation et éviter que les blessures du passé ne resurgissent en provoquant de nouveaux sentiments d’humiliation ou de nouveaux massacres. Le tribunal mis en place par la Justice internationale est sur le point de fermer ses portes avec un bilan plus que mitigé. La justice traditionnelle adaptée pour faire face aux dizaines de milliers de suspects et de coupables a rempli vaille que vaille son office. Ne restent en prison que ceux qui se prétendent innocents et les criminels les plus graves. Pour la réconciliation par contre, tout reste à faire… Reconnaître les résurgences du passé Guérir ces blessures du passé représente un défi, individuel et collectif. La paix et la réconciliation doivent commencer dans nos cœurs et elles ne concernent pas exclusivement ceux qui en étaient les acteurs premiers. Empêcher que cela ne se reproduise nécessite d’abord de comprendre ce qui s’est passé, d’en démonter les mécanismes et d’être attentif à l’émergence des phénomènes qui pourraient conduire aux mêmes causes et développer les mêmes conséquences. La réémergence des leaders populistes et des mouvements xénophobes, en Grèce et en Italie particulièrement, mais plus largement en Europe aujourd’hui, ne rappelle-t-elle pas le foyer propice aux dérives idéologiques qui suivirent la crise économique de 1929 ? Les Eglises ont aussi un travail à accomplir. D’une part, elles doivent interroger sans fard le rôle qui fut le leur dans ces événements. D’autre part, elles peuvent nous apporter un soutien précieux sur la voie du pardon, qui ouvre la porte à une nouvelle liberté et à un renouveau des relations. En outre, ne devrions-nous pas nous révolter plus énergiquement face aux modalités de traitement des personnes qui cherchent à émigrer et qui sont emprisonnées et le plus souvent déportées pour cette seule raison ? On est en droit de se demander si demain, nos enfants, petits-enfants, successeurs, ne considéreront pas ces centres fermés et autres infrastructures de transit ou de détention comme des lieux de mémoire en puissance de la négation de la dignité humaine ? Se replonger dans le passé douloureux et violent de l’Europe nazie et communiste peut présenter le mérite de nous interpeller sur notre présent. Arnaud Gorgemans, Président de la Commission Justice et Paix Belgique francophone

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