Nationalisme, dépasser la peur de l’autre

Entre revendications nationalistes et racisme, de nombreux discours populistes se déterminent en opposition à l’autre, étranger. Celui qui fait peur. Les tragiques événements terroristes qui ponctuent l’actualité entraînent une vague de protectionnisme. Mais aux réactions politiques sécuritaires et offensives, de nombreux citoyens et associations de la société civile répondent par des revendications pour une société ouverte et égalitaire.

analyse_nationalisme_depasser_la_peur_de_l_autre_710x280.jpg Un peu partout sur le continent européen, des élections nationales ont été marquées par une nouvelle montée de partis qui défendent la suprématie des intérêts nationaux (ou régionaux) sur les valeurs humaines universelles ou sur les obligations et engagements internationaux. Les revendications de ces partis nationalistes se doublent parfois d’une idéologie excluante. Un des exemples le plus criant est français, avec la montée du Front National de Marine Le Pen. Au niveau européen cela s’est traduit par une montée du racisme. Ainsi, et à titre d’exemple, les résultats des dernières élections du Parlement européen du mois de mai 2014 ont permis la création de l’ENL, le Groupe Europe des Nations et des Libertés. Présidé par Marine Le Pen, ce parti, créé en juin 2015, est situé à l’extrême droite de l’échiquier européen et est composé de 38 membres dont… un Belge, Gerolf Annemans, du Vlaams Belang. L’ENL, tout comme le parti ECR (Conservateurs et Réformistes Européens) regroupent une partie de la droite nationaliste. Ils sont anti-fédéralistes et font campagne contre l’Union européenne et sa monnaie unique. Ils se présentent comme des adversaires, d’une part des mesures d’austérité imposées par l’UE, et d’autre part de la diversité que représente l’immigration. L’Union européenne et “l’étranger” sont ainsi rendus responsables de la crise économique actuelle, des inégalités sociales et du chômage. Ces discours populistes et simplistes suscitent moult inquiétudes parmi la société civile européenne : cette vision ne serait-elle pas un des principaux obstacles à l’inclusion des minorités et à l’égalité des citoyens ? Les Commissions Justice et Paix d’Europe, qui se réunissent chaque année dans un des 31 pays composant leur réseau, mettent régulièrement en exergue les dangers de tels discours et rappellent que le rôle du politique n’est pas d’installer la peur de l’autre et le repli sur soi. Ainsi, en octobre 2015, la prise de parole commune “Demande à ton prochain ce dont il a besoin” est issue de journées d’étude dans les villes danoise et suédoise de Copenhague et de Malmö. À l’issue d’une diversité de rencontres concernant la crise de l’accueil des réfugiés, le réseau de Justice et Paix, dont nous faisons partie, a appelé les politiciens et les faiseurs d’opinions européens à s’exprimer sans la moindre ambiguïté et à proposer des politiques favorables au développement de sociétés accueillantes en Europe. 
 Aujourd’hui, le système européen de solidarité et de justice est fragilisé. Or, une société où les personnes (y compris les plus faibles) n’ont pas leur place n’est pas viable. Elle ne peut amener que violence et injustice. A contrario, et sans justifier les actes de terrorisme barbare qui secouent l’Occident, certains interlocuteurs pointent comme élément incontournable de la lutte contre le terrorisme, le besoin d’une société égalitaire. Ainsi, un collectif de citoyens belges de confession musulmane a appelé [1]”#OnEstLà, le cri d’alarme des jeunes musulmans”, La Libre Belgique du 19 novembre 2015. à la mise en place d’un “plan national d’alliance sociale contre la haine” qui doit passer par un “changement drastique dans notre rapport à la diversité, dans notre façon de partager les ressources disponibles entre tous les citoyens”. Exclure le « nationalisme de l’exclusion » Bien entendu, tous les nationalismes ne sont pas nocifs. Selon la région d’Europe où l’on habite, le nationalisme prend un sens différent. Certains partis politiques qui poursuivent un programme nationaliste, revendiquent davantage d’autonomie ou un statut particulier pour leur nation ou pour un groupe ethnique. C’est le cas, par exemple, des indépendantistes catalans. Cet objectif politique, légitime, ne peut pas être condamné tant qu’il est poursuivi de manière démocratique et non violente et qu’il s’exprime dans le respect des “autres” au sein de la société. Les nations, les cultures et, surtout, les citoyens ont des droits et nulle atteinte ne peut être portée à l’attachement profond que l’on peut ressentir par rapport à son lieu de naissance, à sa langue maternelle ou à sa culture nationale. Cependant, cette dernière n’est pas immuable, mais soumise à une perpétuelle évolution dont nous sommes tous acteurs. De tous temps, les populations ont bougé. L’identité nationale se transforme, naturellement, en fonction de ces flux. La défense d’une culture ne peut justifier la moindre forme de propos haineux à l’encontre de l’autre différent. Or, ce qui nous inquiète, c’est la tendance accrue à rechercher le pouvoir et la popularité grâce à des programmes politiques simplistes et à des slogans assénés dans l’idée que la prospérité et la sécurité ne peuvent être réalisées que par le biais de mesures nationales unilatérales, et si nécessaire, au détriment des autres peuples. Ces slogans font régulièrement la une des médias traditionnels qui leur donnent une caisse de résonance, et finissent par donner une orientation nationaliste d’exclusion à l’agenda politique général d’un pays. D’expression souvent raciste, ils rappellent inévitablement les politiques belligérantes et ultranationalistes menées avant les deux guerres mondiales. En suggérant que la nation, la nationalité et leurs mythes fondateurs sont la bonne réponse aux défis actuels, ces partis et leurs défenseurs renvoient à un paradigme d’exclusion qui ne manquera pas d’aggraver la situation plutôt que d’apporter la moindre solution. Ce que nous appellerons ici le “nationalisme de l’exclusion” est contraire à la valeur de la dignité humaine. Il représente un déni de justice en cela qu’il définit les droits fondamentaux en fonction de l’origine nationale, raciale ou religieuse, et – in fine – il menace la cohésion sociale au niveau local et la paix entre les pays européens. La recherche d’une solution simple et unique aux réalités complexes comme l’immigration, n’est pas la solution. En jouant sur les craintes les plus profondes, les responsables politiques nationalistes et populistes tentent de gagner le pouvoir grâce aux solutions simples qu’ils offrent, sans expliquer qu’une solution fondée sur l’injustice et la marginalisation d’une partie de la société ne créera jamais les conditions d’une communauté pacifique et progressiste. Il n’existe aucune réponse rapide et facile aux défis structurels profonds posés par des sociétés plurielles et par une économie mondialisée. Placer l’humain au centre des préoccupations Après avoir fait le constat des craintes qui dominent dans l’Europe contemporaine, acceptons les leçons que nous enseigne l’histoire : la guerre entre les nations est la pire des choses. La violence raciste, dans les mots ou dans les actes, est inacceptable d’un point de vue moral et légal. Elle doit être condamnée et sanctionnée. Les responsables politiques doivent dépasser les enjeux court terme des élections pour inscrire leur action dans un projet de société inclusif. Par ailleurs, remarquons que s’ils ont peur de proposer un projet de solidarité et de justice sociale, ils se sabordent eux-mêmes ! Car les situations de crise peuvent aussi provoquer des sursauts de solidarité : il suffit de revenir sur la mobilisation citoyenne autour de l’accueil des migrants, dans notre pays mais aussi ailleurs en Europe. La photo du corps d’un enfant syrien sur une plage a ému. Fort heureusement, nous n’avons pu rester indifférents à l’injustice représentée par la mort d’un enfant dont la famille a essayé de fuir la guerre. Au lendemain de cette image, notre responsabilité citoyenne est d’inscrire les actes de solidarité et d’engagement dans le long terme. Ne pas sombrer avec les discours populistes excluants et agir pour une société inclusive se basant sur une solide cohésion sociale. Le Pape François a osé affirmer haut et fort qu’un monde qui investit dans le financier est mortifère et qu’il est temps que les chrétiens se bougent. Il a ainsi invité les paroisses et communautés religieuses à accueillir des réfugiés. Ces propos, s’ils peuvent inspirer les croyants, dépassent largement le monde chrétien. La nation ne peut pas représenter la valeur suprême et tout sentiment de suprématie nationale est injustifiable. C’est dans le cadre plus large du bien commun universel que l’on peut défendre au mieux un intérêt national authentique et dépasser la peur de l’autre. Crise des réfugiés : le shopping humanitaire Pax Christi Wallonie-Bruxelles met en avant trois éléments qui caractérisent le racisme : “l’homogénéisation des groupes racisés laissant croire que tous les individus membres de ce groupe auraient des comportements collectifs identiques ; la naturalisation de caractéristiques accolées au groupe qui implique la transmissibilité de celles-ci de génération en génération ; la hiérarchisation de ces mêmes caractéristiques, les caractéristiques du groupe racisé étant considérées, dans le chef du locuteur, comme anormales, arriérées et inférieures”. À lire sur http://paxchristiwb.be/ A.F. Pour aller plus loin…
  1. Sur ce que l’histoire peut nous apprendre des discours ultranationalistes : Passé, histoire, mémoire… Quand la politique s’en mêle publié par Justice et Paix en 2014 chez Couleur Livres. En vente chez Justice et Paix au prix de 8 euros.
  2. Sur le racisme dans l’Europe d’aujourd’hui : Peut-on encore parler de racisme ? publié par Pax Christi Wallonie-Bruxelles en 2015 chez Couleur Livres. En vente chez Pax Christi Wallonie-Bruxelles au prix de 12 euros. Axelle Fischer

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1 ”#OnEstLà, le cri d’alarme des jeunes musulmans”, La Libre Belgique du 19 novembre 2015.
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