La Forêt Modèle Reventazón (FMR) au Costa Rica : un projet de développement durable basé sur le dialogue et l’inclusion

La Forêt Modèle Reventazón (FMR) , est une plateforme sociale mise en place pour promouvoir la gestion durable du territoire de la province de Cartago au Costa Rica. Elle encourage le développement de réseaux locaux participatifs pour la promotion d’actions de conservation, d’éducation et de développement local qui contribuent à la gestion durable des ressources naturelles.

« Tu vas encore partir? ». Voilà ce que j’entends depuis bientôt 10 ans à chaque annonce d’un départ dans un pays du Sud. À l’époque, j’avais commencé à lire les écrits de Landsberg. [1]Juif allemand converti au christianisme, professeur de philosophie, il a quitté l’Allemagne en 1933. Militant antinazi, enseignant en Espagne jusqu’au début de la guerre civile, il … Continuer la lecture Un de ses textes, Réflexions sur l’engagement personnel, faisait notamment le lien entre valeurs et engagement personnel : « Formule de mon bonheur : une grande richesse d’expériences ordonnées de telle manière que rien ne soit nié, ni rien égalisé ». [2]Landsberg Paul-Louis. Réflexions sur l’engagement personnel. In: Vingtième Siècle. Revue d’histoire. N°60, octobre-décembre 1998. pp. 118-123. J’y ai vu là un appel à la découverte d’ailleurs et de l’autre. Ainsi, s’en sont suivies des années de volontariat en Amérique Latine. Dans la continuité des années précédentes, j’ai, dès le mois d’avril 2012, épluché tous les sites internet consacrés au volontariat pour pouvoir partir pendant les vacances d’été. Une annonce a particulièrement retenu mon attention. Celle-ci était proposée par le BIJ [3]Pour plus d’informations voir www.lebij.be (Bureau International Jeunesse) en partenariat avec LOJIQ (Les Offices Jeunesse Internationaux du Québec) dans le cadre d’un programme « Duetto » et concernait la participation d’un(e) volontaire belge ainsi que d’un(e) volontaire québécois(e) à un projet socio-environnemental au Costa Rica. Après avoir été sélectionnée, je me suis envolée, direction l’Amérique Centrale. Pendant près de trois mois et demi, j’ai travaillé dans le bureau de la FMR [4]Le bureau de la FMR se situe au Centre Agronomique Tropical d’Investigation et d’Enseignement (CATIE) à Turrialba, province de Cartago. en coordination permanente avec les divers associés au projet. Une partie de mon travail s’est concrétisé par la réalisation d’une brochure explicative sur la FMR, la conception d’une page web et d’un guide sur les processus de conservation de la terre. J’ai dû, pour ce faire, participer à de nombreuses activités et autres événements afin de récolter l’information. J’avais également pour mission de faciliter la communication entre les associés de la FMR afin de contribuer à l’atteinte des objectifs : je devais faire en sorte de faciliter le dialogue entre les membres du projet et les communautés indigènes présentes dans la province de Cartago. [5]D’une superficie de 3 125 km2, elle est l’une des 7 provinces du Costa Rica. La Forêt Modèle Reventazón au Costa Rica La Forêt Modèle Reventazón (FMR) [6]La FMR est constituée d’un collectif formé par plusieurs organisations gouvernementales, non gouvernementales et privées. Les sources de financement de la FMR sont principalement les dons … Continuer la lecture , est une plateforme sociale mise en place pour promouvoir la gestion durable du territoire de la province de Cartago au Costa Rica. Elle encourage le développement de réseaux locaux participatifs pour la promotion d’actions de conservation, d’éducation et de développement local qui contribuent à la gestion durable des ressources naturelles. La FMR a pour ambition d’aider les communautés à explorer les opportunités économiques tout en maintenant un équilibre entre les valeurs sociales et économiques. La FMR propose une gestion du territoire [7]La Forêt Modèle Reventazón a également démontré que l’aménagement du territoire a permis une meilleure gestion des services environnementaux. destinée à soutenir le développement durable en utilisant de manière efficace tous les moyens et capitaux humains à travers la mise en place de plans stratégiques intégrés. Le rapport intitulé « Évaluation des Ecosystèmes du Millénaire » [8]L’évaluation des écosystèmes pour le millénaire (EM) a été initiée en 2000 à la demande de Kofi Annan, à l’époque, Secrétaire général des Nations Unies. Comme son nom l’indique, … Continuer la lecture conclut que dans les 50 dernières années, les êtres humains ont transformé les écosystèmes plus rapidement que dans aucune autre période de l’histoire humaine et qu’en conséquence, la dégradation des écosystèmes pourrait considérablement empirer durant la première moitié de ce siècle. Le document met en lumière la nécessité de changement aux niveaux de la gouvernance institutionnelle et environnementale afin de créer les conditions d’une gestion efficace des écosystèmes. Il fait également référence à l’exclusion des acteurs locaux dans les processus de décision comme étant une source importante de conflits. [9]La gestion des conflits requiert intrinsèquement l’implication de divers acteurs incluant ceux qui sont souvent en désaccord. La FMR prévoit ainsi une plateforme effective pour améliorer la … Continuer la lecture Suivant cette logique, la FMR se présente comme un processus dans lequel une diversité d’acteurs travaille ensemble et partage une vision commune du développement durable. Elle permet ainsi de confronter les différents intérêts et de distinguer les défis futurs conformément aux particularités locales. La création d’alliances étant la clé de ce processus : Gouvernement, organisations civiles, groupes indigènes, ONG, entreprises privées, institutions scientifiques, bref, toute organisation qui porte un intérêt aux questions liées au développement durable peut s’intégrer dans le forum de concertation en vue de définir un plan stratégique consensuel. La participation des indigènes : incontournable Les participants indigènes apportent une compréhension unique de l’écosystème forestier, compréhension qu’ils ont pu développer après des siècles d’un contact privilégié avec la terre. Forts d’une expérience forestière traditionnelle, les autochtones ont plus que leur place dans les processus de décision de la gestion territoriale. La plateforme de la FMR offre un espace de parole aux personnes généralement exclues du processus décisionnel. Tout le monde est à « voix égale » autour de la table. La vision commune du développement durable de leur territoire s’est construite en tenant compte de l’histoire, de la culture et des connaissances des indigènes. En fait, les autres membres de la FMR reconnaissent que, sans la participation des indigènes, la mise en œuvre des programmes et autres projets de développement ne se réaliserait probablement pas. L’échange des savoirs et des connaissances renforce ainsi la viabilité du projet. Le dialogue : la clef du succès Le projet se veut ambitieux mais réalisable, aussi, un maximum d’éléments doit entrer en jeu lors de l’élaboration du plan stratégique. La FMR développe de nombreux projets. Certains d’entre eux concernent la reforestation, l’utilisation des sols. Avec le concours de scientifiques, des techniques sont étudiées afin de combiner développement socioéconomique et utilisation durable des ressources naturelles. Sur papier, l’intention est parfaitement louable, mais lorsque deux cultures, deux « techniques », l’une traditionnelle, l’autre moderne, se rencontrent, s’il n’y a pas de dialogue, le projet est voué à l’échec. La première étape de ces projets est donc avant tout, celle du dialogue. Les communautés indigènes étant directement concernées par ces programmes, il ne suffit pas d’imposer son idée sous le seul prétexte de retombées positives. Si les communautés ne comprennent pas le projet, elles ne l’intègreront pas. Si elles ne peuvent participer au processus, et donc y apporter leurs savoirs, expliquer leurs craintes, un fossé se creusera entre les deux parties, engendrant sans doute un conflit et tuant très certainement dans l’œuf le projet. Dans cette logique, j’ai été amenée à rencontrer plusieurs de ces communautés. Au début timide et parfois gênée de ne pas comprendre ce qu’ils me disaient (à cause de l’accent), je me suis rapidement sentie à l’aise. Et pour cause, alors qu’ils m’apprenaient des mots, des expressions, je leur parlais de mon pays, de ses coutumes. Une relation de confiance s’est naturellement installée. Celle-ci s’est basée sur l’échange, l’égalité, la curiosité. C’est donc sans heurt, que j’ai pu amener le sujet : un projet de reforestation. Alors que les participants scientifiques craignaient la méfiance des communautés, elles se sont empressées de me donner leurs avis et des recommandations qui ont été pris en compte, et qui se sont révélés fort utiles au bon déroulement du projet. La FMR met un point d’honneur à l’échange des connaissances. Aussi, favorise-t-elle la venue de volontaires et d’étudiants du monde entier. Lorsque plusieurs personnes se rencontrent et partagent leur expérience, leur vision des choses, c’est tout un processus d’enrichissement personnel et général qui se met en place. Les idées se confrontent, des compromis se profilent et c’est ainsi que l’innovation s’esquisse. Au terme de ce volontariat, mon idée sur le développement durable a été renforcée grâce à de précieuses conversations. Ensemble pour une société plus juste : le « win-win » d’un engagement volontaire Le volontaire est considéré comme une personne offrant son temps et ses compétences au service des plus démunis. Il ne faut cependant pas oublier de préciser les raisons de son engagement, les bénéfices qu’il en retirera. En effet, l’engagement ne peut être dénué entièrement de tout intérêt personnel. Ce n’est pas pour autant qu’intérêts personnel et général doivent s’opposer, au contraire. Et, il est très rassurant de savoir que tout, dans ce monde, ne s’échange pas forcément contre de l’argent. Comme le précisait Landsberg, « Le caractère historique de notre vie exige l’engagement comme condition de l’humanisation » [10]Landsberg Paul-Louis. Réflexions sur l’engagement personnel. In: Vingtième Siècle. Revue d’histoire. N°60, octobre-décembre 1998. p118. : quelle que soit la raison pour laquelle le volontaire s’engage, celle-ci est en lien avec ses valeurs, son humanité. En contrepartie de son engagement, c’est un enrichissement personnel que le volontaire gagne. Nous faisons partie d’une société multiculturelle, nous sommes en permanence en contact avec des personnes issues de cultures différentes. Or, la clé d’une société plus juste est l’échange entre toutes ces particularités, amenant à la compréhension de l’autre, au partage avec l’autre. Aller vers l’autre C’est par le dialogue et la prise en compte de l’autre que l’on peut espérer construire une société plus solidaire. Et qu’il s’agisse d’intérêt personnel ou général, le processus est le même : éviter tout conflit grâce à l’intégration de toutes les personnes concernées. Il est impératif, au regard de la société actuelle, d’ajouter sa pierre à l’édifice de la justice sociale. Notre société est de plus en plus centrée sur elle-même et la peur de l’autre nourrit chaque jour davantage d’êtres humains. Aller vers l’autre, oublier nos craintes, comprendre que seuls, nous ne bâtirons rien. S’informer, s’engager, voyager. Autant de verbes pour un même mot : le partage. Le volontariat, un vecteur de changement au Sud… Le volontariat m’a permis de m’implanter plus facilement dans la vie locale, favorisant ainsi l’échange et le dialogue interculturels. En effet, j’ai fait le choix de vivre avec les locaux. La proximité m’a mise en contact direct avec les gens dans leur quotidien. Le statut de volontaire a aussi suscité de l’enthousiasme à mon égard. L’idée qu’une jeune diplômée, européenne, vienne travailler gratuitement dans un autre pays que le sien a éveillé la curiosité, et donc, le dialogue. La proximité a également joué un rôle important dans la confiance que mes voisins m’accordaient. Aussi, j’ai pu rapidement intégrer les problèmes auxquels la population était confrontée, ce qui m’a beaucoup aidée dans la formulation des besoins locaux et des conditions du changement social lorsqu’il a été question d’établir un plan d’action avec les différents participants au projet. Le volontariat se renforce donc lui-même par les liens créés entre les personnes, impliquant confiance, solidarité et réciprocité. … et au Nord ! Le volontariat a également des répercussions au Nord. En effet, outre de nouvelles compétences acquises et une expérience enrichie, il permet la remise en question de certaines de nos pratiques, de nos modes de développement, de notre rapport à l’autre. Le volontaire, a aussi un rôle à jouer dans la sensibilisation des problématiques internationales : partager son expérience avec son entourage est un premier pas. Choisir de faire du volontariat dans un pays du Sud est une piste, mais l’engagement ne se résume pas à ça et le voyage ne se concrétise pas obligatoirement par un billet d’avion en main. On peut lire, regarder des documentaires, participer à des évènements, des débats, être bénévole dans des organisations belges, des maisons de jeunes, des mouvements de jeunesse, etc. Quelle que soit l’initiative, petite, ambitieuse, personnelle et collective celle-ci se renforce en s’ajoutant aux autres. Le chemin vers une société solidaire partageant des valeurs communes se profile lentement et est parcouru d’embûches mais ce qui est sûr, c’est qu’il est réalisable… à condition de le construire ensemble. Le volontariat comme moteur de développement Le volontariat est utile, il offre la possibilité de participer au développement et permet une action citoyenne à tous les niveaux de la société. Se nourrissant des particularités et compétences de chacun, le volontariat renforce les capacités des différents partenaires et stimule la recherche de solutions durables augmentant ainsi les chances de résolution de conflits. Sarah Fortuna

Documents joints

Notes

Notes
1 Juif allemand converti au christianisme, professeur de philosophie, il a quitté l’Allemagne en 1933. Militant antinazi, enseignant en Espagne jusqu’au début de la guerre civile, il s’installe finalement en France avant d’être arrêté en 1943 par la Gestapo qui l’expédie au camp d ‘Oranienburg, d’où il ne reviendra pas.
2 Landsberg Paul-Louis. Réflexions sur l’engagement personnel. In: Vingtième Siècle. Revue d’histoire. N°60, octobre-décembre 1998. pp. 118-123.
3 Pour plus d’informations voir www.lebij.be
4 Le bureau de la FMR se situe au Centre Agronomique Tropical d’Investigation et d’Enseignement (CATIE) à Turrialba, province de Cartago.
5 D’une superficie de 3 125 km2, elle est l’une des 7 provinces du Costa Rica.
6 La FMR est constituée d’un collectif formé par plusieurs organisations gouvernementales, non gouvernementales et privées. Les sources de financement de la FMR sont principalement les dons publics et privés et la RIABM, réseau ibéro-américain des Forêts Modèle, dont la FMR est membre. La RIABM compte 28 Forêts Modèle dans 14 pays qui couvrent, au total, un territoire géographique de plus de 31 millions d’hectares.
7 La Forêt Modèle Reventazón a également démontré que l’aménagement du territoire a permis une meilleure gestion des services environnementaux.
8 L’évaluation des écosystèmes pour le millénaire (EM) a été initiée en 2000 à la demande de Kofi Annan, à l’époque, Secrétaire général des Nations Unies. Comme son nom l’indique, elle a pour objectif l’évaluation des conséquences des changements écosystémiques sur le bien-être humain. En outre, une base scientifique doit être établie afin de mettre en œuvre les actions nécessaires à l’amélioration de la conservation et de l’utilisation durables des systèmes mais aussi de leur contribution au bien-être humain. Pour plus d’informations voir www.millenniumassessment.org
9 La gestion des conflits requiert intrinsèquement l’implication de divers acteurs incluant ceux qui sont souvent en désaccord. La FMR prévoit ainsi une plateforme effective pour améliorer la communication et articuler les négociations en vue d’une vision commune. Chaque acteur peut alors s’exprimer et participer au processus de décisions.
10 Landsberg Paul-Louis. Réflexions sur l’engagement personnel. In: Vingtième Siècle. Revue d’histoire. N°60, octobre-décembre 1998. p118.
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