République démocratique du Congo : Sortir de l’impunité systématique et généralisée en érigeant un système global de répression des crimes

Pillage, viol, esclavage sexuel, déplacements des populations, torture, constituent des crimes commis depuis plusieurs décennies en République démocratique du Congo (RDC) sans qu’aucune responsabilité ne soit établie à l’encontre des auteurs. Comme l’a affirmé le Docteur Mukwege, lauréat du Prix Nobel de la Paix en 2018, l’impunité qui règne en RDC ne fait que nourrir de nouvelles tensions dans la région des Grands Lacs et alimente de nouveaux conflits.

Crédit : Claude Truong-Ngoc, 2015 Creative Commons Attribution – Share Alike

Depuis 1997, la RDC est le théâtre d’une série de guerres civiles et de conflits armés mélangeant des aspects ethniques et politiques en lien avec les ressources naturelles du pays, impliquant plusieurs pays frontaliers et plusieurs groupes armés. Lors de ces conflits, de nombreuses violations massives de droits humains sont perpétrées impliquant de larges déplacements de la population civile au travers du pays. Les exactions commises représentent les crimes les plus graves, appelés aussi crimes internationaux, et touchent la communauté internationale dans son ensemble.

Les autorités nationales congolaises persistent dans l’absence quasi-totale d’établissement des responsabilités des auteurs des exactions. Les dirigeants successifs de la RDC préfèrent s’appuyer sur le mécanisme de l’oblitération qui consiste en l’oubli du passé. Elle se manifeste, entre autres, par l’exécution à répétition, d’amnisties au sein du système juridique congolais. En ce sens, les amnisties de 2005, 2009, 2014 et 2020 empêchent les auteurs de crimes d’être poursuivis devant les juridictions nationales et permettent même, souvent, de leur offrir une place de haut rang au sein du gouvernement. Par exemple, Jean-Pierre Bemba, ancien chef de guerre, a officiellement pris ses fonctions le 26 mars 2023 en tant que vice-premier ministre chargé de La Défense.

Après des décennies d’impunité et dans un climat actuel, de tensions et de conflits, il est temps de se tourner vers un système global de répression des crimes internationaux afin d’obtenir la pacification de la région. Bien que quelques mesures aient été adoptées, en particulier des mesures en lien avec la Justice transitionnelle, nous déplorons l’absence d’adoption de réelles mesures efficaces de lutte contre l’impunité afin d’établir les responsabilités des auteurs d’exactions.

Pourtant, de nombreuses voies tant nationales qu’internationales, sont envisageables pour lutter contre l’impunité et s’articulent entre-elles, bien qu’elles rencontrent de nombreux défis.

La défaillance des juridictions nationales congolaises

Le principe de souveraineté territoriale ainsi que les obligations internationales donnent aux juridictions nationales un rôle principal dans la poursuite des crimes les plus graves. Étant donné que les crimes sont commis sur le territoire congolais, il semble évident qu’il revient aux juridictions congolaises d’apprécier la teneur de ces crimes. En effet, les éléments de preuves, les victimes ainsi que les témoins sont à portée de main et facilitent grandement les enquêtes et la tenue des procès.

Cependant, le rapport mapping, rapport d’experts mandatés par l’ONU sur la situation en RDC, atteste que le système judiciaire congolais est marqué par des insuffisances importantes qui l’empêchent de fonctionner. En effet, le système judiciaire congolais est conçu d’une manière telle que les garanties judiciaires fondamentales ne peuvent être respectées. Le système judiciaire congolais fait face à deux problèmes majeurs. D’une part, le rapport de Transparency International concernant la corruption sorti en 2022 déclare que la République Démocratique du Congo est classée à la 166e place des pays les plus corrompus de la planète sur 180. Selon l’ONG-DH, les plus riches instrumentalisent la justice à leur avantage en corrompant les auxiliaires de Justice.[1] D’autre part, les décisions judiciaires lorsqu’elles sont rendues de manières impartiales sont souvent victimes d’ingérences politiques ou économiques qui ne permettent pas leur mise en œuvre[2]. La justice, alors qu’elle est censée être un moyen d’assurer la paix sociale, est une nouvelle fracture pour la population en RDC, qui ne peut faire confiance en ses institutions.

Dès lors, les faibles moyens dont dispose ce système judiciaire afin de lutter contre l’impunité, et les nombreuses ingérences politiques illustrent d’une part sa défaillance et d’autre part son manque d’indépendance et d’impartialité[3].

Bien que plusieurs procès aient été menés, les juridictions congolaises ne sont pas en mesure de répondre à l’ampleur des violations des droits humains et des crimes internationaux commis sur le territoire congolais. En outre, les juridictions nationales congolaises ont peu de chance d’obtenir la comparution des personnes qui résident à l’étranger malgré l’importante participation d’acteurs étrangers. C’est pourquoi la lutte contre l’impunité doit être établie dans un système global de répression comprenant un niveau international.

L’insuffisance de la Cour pénale internationale dans une lutte efficace contre l’impunité

La Cour pénale internationale est une Cour permanente qui a été créée pour enquêter et juger les crimes les plus graves qui affectent la communauté internationale dans son ensemble, tels que les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, le crime de génocide et le crime d’agression. En 2002, les autorités de la RDC ont ratifié le Statut de la Cour pénale internationale. En juin 2004, le Bureau du Procureur a ouvert une enquête à la demande de l’ancien Président Joseph Kabila, d’abord concernant les violations commises dans l’Ituri, ensuite, l’enquête a été élargie et inclut désormais les provinces du Kivu. Depuis lors, plusieurs affaires ont été portées par la CPI. Selon le principe de complémentarité inscrit à l’article 17 du Statut de Rome, la Cour n’intervient qu’en dernier recours, uniquement lorsque les juridictions nationales ne peuvent ou ne veulent pas enquêter et arrêter les auteurs présumés de crimes internationaux. Comme nous l’avons vu, les instances judiciaires congolaises ne sont, à ce jour, toujours pas en mesure d’offrir les garanties suffisantes nécessaires.  La CPI est dès lors, l’unique Cour compétente ayant la capacité, l’intégrité et l’indépendance nécessaires pour poursuivre les auteurs dans la commission de crimes internationaux sur le territoire de la RDC.

Bien que constituant une avancée révolutionnaire, la CPI, par manque de moyens structurels et financiers n’est pas suffisante pour lutter contre l’impunité dans la région et n’offre pas une réparation adéquate aux victimes. En effet, la Cour ne peut exercer sa compétence qu’à partir de 2002, date d’entrée en vigueur de son Statut. Par conséquent, l’ensemble des crimes commis lors des deux guerres qu’a connue la RDC ne peuvent être portés devant la CPI. Ensuite, la Cour ne peut enquêter et poursuivre l’ensemble des affaires au vu du nombre considérable des violations commises.  De plus, s’agissant d’un autoréféré de la RDC à la Cour, l’on peut se questionner sur les intentions de l’ancien Président Kabila concernant l’instrumentalisation de la Cour afin de ne poursuivre que ses opposants membres de groupes rebelles. Enfin, toujours par manque de moyens, le Bureau du Procureur est tenu de sélectionner les affaires sur lesquelles il enquête. En RDC, la stratégie du Procureur a été de se concentrer sur les auteurs de « second rang », ce qui peut relever, entre autres, d’un certain opportunisme politique[4]. Cette sélection peut amener une grande frustration de la part des victimes et même découler sur une aggravation des tensions ethniques déjà existantes. Par exemple, de nombreuses questions ont été soulevées concernant l’impartialité de la Cour au vu des charges réduites à l’encontre de Lubanga et Ntaganda en comparaison à celles étendues à l’encontre de Katanga et Ngudjolo.

L’impossibilité de la CPI d’exercer sa compétence à de nombreux égards, réduit considérablement l’efficacité de sa mission principale de lutte contre l’impunité et atteste de la nécessaire création de nouveaux mécanismes judiciaires alliant des perspectives tant nationales qu’internationales.

La combinaison des instances nationales et internationales dans la lutte contre l’impunité

Pour remédier aux lacunes, tant des juridictions nationales congolaises, que de la CPI, la solution qui semble la plus appropriée serait de se tourner vers une juridiction mixte. Les tribunaux hybrides combineraient des aspects nationaux congolais et internationaux dans leur composition et dans leurs procédures[5]. Ils ont le potentiel de surmonter les obstacles nationaux tels que des dispositions d’amnistie inadéquates ou des lois accordant l’immunité. En outre, ils pourraient contribuer au renforcement du système judiciaire congolais, en un État de droit, ce qui est moins évident avec un tribunal purement international. De plus, la proximité des victimes et des communautés les plus touchées par les crimes poursuivis permet une meilleure efficacité. L’une des pratiques avantageuses des juridictions hybrides est la possibilité de mettre en évidence certaines violations caractéristiques du conflit. Dans le cas de la situation congolaise, les violences sexuelles sont utilisées comme véritable arme stratégique, il serait donc intéressant de se concentrer sur ce type de crime.

Néanmoins, un risque de déférence à l’égard de la souveraineté de l’État peut subsister. En outre, si elle n’est pas soigneusement conçue, la combinaison de normes internationales et nationales peut également créer des contradictions.

Par conséquent, la Commission Justice et Paix (CJP) se mobilise afin d’obtenir un système global de répression alliant le renforcement des juridictions nationales congolaises, la continuité du travail de la CPI, et la mise en place d’un tribunal hybride. Ensemble, ces instances permettraient de mettre fin à la culture de l’impunité et offrir une possibilité de pacification de la région. La Commission Justice et Paix appelle également les autorités belges à mettre en œuvre leur compétence universelle pour réprimer les exactions commises par des ressortissants congolais en RDC, qui se trouvent désormais en Belgique. Enfin, l’ONG soutient les mouvements qui visent à contribuer efficacement à la lutte contre l’impunité telle que la campagne « Justice for Congo » en lien avec le film l’Empire du Silence et appelle les citoyen.n.es belges à relayer ces messages. C’est en luttant conjointement et à plusieurs niveaux contre l’impunité que l’on pourra aboutir à un système satisfaisant.

Louise Lesoil.


[1] RDC : l’AGOPA-DH recommande l’interpellation des autorités judiciaires pour des réponses efficaces à la menace de la corruption – Sauti Ya Congo

[2] La Justice en République Démocratique du Congo : transformation ou continuité ? (openedition.org)

[3] Corruption dans le secteur de la justice en République Démocratique du Congo | by Centre de Recherche sur l’Anti-Corruption | Analyses sur la Corruption (anticorruption-center.org)

[4] Déni de justice? Le bilan de la CPI en RDC | openDemocracy

[5]Stratégie Nationale Holistique de Justice Transitionnelle (panzifoundation.org)

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