Réconciliation en RDC : une question d’approche ?

La réconciliation constitue un des enjeux principaux lorsqu’on aborde les questions sécuritaires en en République Démocratique du Congo. Au travers de différentes approches recommandées, nous allons tenter de présenter cet enjeu.

La réconciliation constitue un des enjeux principaux lorsqu’on aborde les questions sécuritaires en en République Démocratique du Congo. Au travers de différentes approches recommandées, nous allons tenter de présenter cet enjeu.

À l’occasion de son voyage d’une dizaine de jours en Belgique pour soigner son dos, le Président de la République Démocratique du Congo (RDC), Félix Tshisekedi a eu l’occasion de s’entretenir avec Colette Braeckman, journaliste spécialiste de l’Afrique centrale au Service international du Soir. Au cours de cet entretien, le président a exprimé sa vision concernant la résolution des problèmes sécuritaires dans son pays, lequel est soumis à des conflits depuis plusieurs décennies maintenant. Face aux réclamations des organisations de la société civile en faveur d’une intervention onusienne dans la recherche de la justice en RDC, le chef de l’État congolais a déclaré : « Je ne pense pas que ce soit à l’ONU de le faire. Nous devons nous doter des moyens de le faire. L’ONU, certes, peut nous accompagner par son expertise, ses experts, ses documents, pour nous aider à retracer les criminels […] Je ne pense pas que cela puisse dénaturer nos relations avec les pays voisins. Ma vision c’est qu’il faut tirer un trait sur le passé, vivre ensemble […] Cependant, je crois que, pour pacifier les esprits, les réconcilier, il faut aider à faire la lumière sur ce qui s’est passé et cela, c’est à la justice congolaise de le faire, mais elle devra être aidée. Ce serait un grand moment d’avancée vers une paix durable dans la région». Concomitamment à cette sortie dans la presse, le prix Nobel de la paix 2018, le Dr Denis Mukwege a réagi via ses réseaux sociaux, déclarant : « La dimension internationale et internationalisée des conflits en République Démocratique du Congo doit entrainer une réponse internationale et internationalisée de la justice. On ne peut pas tirer un trait sur le passé, tourner une page sombre et tragique sans rendre la justice, dire la vérité, octroyer des réparations et garantir la non-répétition des atrocités. Il s’agit de préalables indispensables à la réconciliation et au vivre ensemble. Il n’y aura pas de paix durable sans la justice». Cet échange nous interpelle quant à un concept banal, mais tellement riche : la réconciliation. Qu’entendons-nous par ce dernier ? Peut-on vraiment tirer un trait sur le passé pour une réconciliation durable ? Peut-être, devrait-on implémenter des éléments au préalable comme le suggère le Dr Mukwege ? En d’autres mots, y’a-t-il des conditions à la réconciliation et si oui, lesquelles ? De plus, si réconciliation il doit y avoir, qui est concerné·e, qui doit être impliqué·e ? Voici les questions qui vont nous intéresser tout au long de cette analyse traitant de la réconciliation en République Démocratique du Congo, thème bien souvent galvaudé, mais ô combien prépondérant !

La réconciliation est un terme assez commun, que chacun et chacune peut utiliser dans la vie quotidienne après un conflit ou une dispute. Parallèlement à cela, ce même terme désigne également un concept essentiel dans la théorie post-conflit. En effet, dans ce cadre théorique, le terme « réconciliation » signifie la construction d’une société où les ancien·nes ennemi·es peuvent vivre ensemble, où ils et elles peuvent retrouver une confiance mutuelle, où ils et elles peuvent dépasser un passé conflictuel et se diriger vers un avenir commun. En définitive, il s’agit de créer un cadre d’interactions paisibles qui permettent d’empêcher la répétition de conflits passés. Dans ce contexte, il est indispensable de comprendre que la réconciliation s’envisage en tant que processus. On parle bien de processus de réconciliation, car leurs temporalités sont susceptibles de s’étaler sur plusieurs générations. Voilà pourquoi, bien que la réconciliation soit un concept attaché à une situation de post-conflit, elle peut être enclenchée avant un cessez-le-feu total tant elle va nécessiter du temps. On ne parvient pas à la réconciliation en un claquement de doigts ! En outre, quand on parle de réconciliation, deux éléments doivent être soulignés :

Premièrement, la réconciliation est plurielle. Elle s’inscrit dans un continuum extrêmement large aux possibilités étendues. Bien qu’elle repose sur des piliers fondamentaux, dont nous allons d’ailleurs discuter ultérieurement dans cette analyse, il est tout à fait concevable que la réconciliation se manifeste différemment selon la perspective des uns et des autres. Elle peut effectivement apparaitre sous forme de réparations financières, de gestes symboliques, de décisions judiciaires, etc.

Deuxièmement, pour connaitre un processus de réconciliation fructueux, il est essentiel de comprendre ce qu’il s’est passé. Pourtant, il ne faut pas uniquement se fixer sur le passé. En effet, il est également crucial de regarder vers l’avenir sans quoi le processus risque de stagner. Alors, nous nous trouvons plus devant la question : « que s’est-il passé ? » ; mais plutôt devant « comment va-t-on avancer avec ce qu’il s’est passé ? ». Cette interrogation suggère alors d’une part, une réévaluation de la représentation de celui qu’on considère comme l’autre, mais également de soi-même et d’une autre part, une réévaluation du passé commun. Ces réévaluations sont facilitées par les trois piliers fondamentaux des processus de réconciliation que nous évoquions précédemment, c’est-à-dire : la connaissance de la vérité, la recherche de la justice et de la réparation et la construction d’une mémoire commune.

À première vue, la grande majorité des leader·euses politiques ou d’opinion semble s’accorder sur l’importance de ces trois piliers. Seulement, les frictions et les désaccords peuvent apparaitre assez rapidement lorsque nous nous intéressons aux approches adoptées dans l’exécution de ces piliers.

Si nous reprenons le cas concernant le désaccord entre le président Félix Tshisekedi et le Dr Mukwege, il s’agit fondamentalement d’un désaccord sur les approches d’implémentation. Si nous analysons pilier par pilier, nous constatons que l’approche préconisée par le président Tshisekedi concernant la construction d’une mémoire commune s’apparente à ce qu’on appelle l’oblitération du passé.

En effet, en déclarant qu’il faudrait « tirer un trait sur le passé », son propos semble s’inscrire dans cette méthode de gestion de la mémoire. Celle-ci est par ailleurs aussi appelée « la mémoire contre soi » comme si les mémoires étaient confisquées. Comme dans une sorte de phase de refoulement après un traumatisme, cette approche cherche à oublier/effacer le passé de sa mémoire pour se protéger, se reconstruire et continuer à vivre (ensemble). Dans cette approche, les aspects visibles de la réconciliation, tels que l’ordre interne, de la paix sociale et de la recomposition d’une identité nationale blessée, etc., priment sur le reste. Ironiquement, ce mode de gestion du passé a tendance à tirer un trait sur la recherche de la vérité et la recherche de la justice. Pour le premier, la volonté d’effacer le passé rend obsolètes tous projets d’investigation pour établir la véracité des faits. Par-là, l’oblitération ignore la reconnaissance du statut de victimes et ainsi, place les bourreaux et les victimes sur un même pied d’égalité. Ce phénomène facilite la concurrence des mémoires, produisant par là un réel risque de reprise d’un conflit.

Effectivement, l’oblitération est fort susceptible d’entrainer ces conséquences, car il incite les victimes ou autres groupes dont la mémoire est ignorée, à survaloriser leurs mémoires, c’est-à-dire à adopter un mode de gestion du passé axé sur une obsession mémorielle, aussi appelé « la mémoire contre l’autre ». Dans cette approche, les communautés, dont la mémoire tente d’être effacée, se réapproprient et réécrivent alors l’histoire, mêlant fiction et réalité, pour maintenir une identité menacée par le projet d’oblitération. Cependant, la survalorisation ne se manifeste pas seulement en réponse à l’oblitération, mais est souvent instrumentalisée politiquement comme élément stratégique de ralliement populaire et comme moyen de créer un culte de la personnalité pour et par des chefs d’État ou des leader·euses culturels[1].

Concernant la recherche de la justice, au travers de l’illusion de réconciliation qu’est l’oblitération, les éléments de justice se retrouvent bien souvent niés, faute de ne pas pouvoir se fonder sur des faits véridiques. C’est ainsi que cette stratégie de gestion de la mémoire a tendance à encourager l’impunité. Dans notre cas, la recherche de la justice est d’autant plus remise en question par l’insistance de la présidence à fonder le pôle judiciaire de la réconciliation sur le cadre de la justice congolaise. Le président Félix Tshisekedi semble encore une fois opter pour une direction controversée par rapport à cela : «il faut aider à faire la lumière sur ce qui s’est passé et cela, c’est à la justice congolaise de le faire, mais elle devra être aidée». Pourtant, certains, comme le Dr Mukwege, remettent en cause cette stratégie, notamment car la justice congolaise souffre de maux et manquements qui accroissent, encore plus et de manière significative, les risques d’impunité. Encore récemment, Musa Nzamu Jonathan, défenseur Judicaire près du Tribunal de grande Instance d’Uvira et responsable de Suivi, Évaluation et Apprentissage au Centre de Recherche sur l’Anti-Corruption, affirmait que « les tribunaux congolais sont réputés pour rendre des verdicts favorables aux plus offrants». De plus, la réconciliation et la justice ne sont pas seulement une affaire congolo-congolaise, mais elle implique plusieurs autres pays, notamment le Rwanda ou même l’Ouganda. Ainsi, nous constatons un des aspects de la complexité de la situation, particulièrement car plusieurs de ces pays concernés rejettent toute implication dans les conflits en RDC. Ces conclusions contestent donc fondamentalement le projet de la présidence de cloisonner les processus juridiques de la réconciliation à la justice congolaise et invitent plutôt à s’appuyer sur un système hybride dès la genèse du processus.

Au regard de cette analyse, nous sommes plus à même de comprendre le positionnement diamétralement opposé du Dr Mukwege. En face de ces constats, il nous semble primordial d’encourager la population congolaise, qu’elle soit locale ou diasporique, à exiger un positionnement clair de la part de la présidence congolaise en faveur d’un travail des mémoires. Ce dernier est crucial pour faciliter le processus de réconciliation. De fait, le travail des mémoires, aussi appelé « la mémoire avec l’autre », invite la prise en compte d’une pluralité des points de vue. Dans cette approche, au travers d’initiatives pour montrer la volonté de prendre en compte le vécu de l’autre, de reconnaitre un passé de souffrances communes, les anciens ennemis entreprennent une relecture de leur passé qui les rapprochent afin de restaurer une confiance mutuelle en prévenant l’apparition de mémoires antagonistes. Sur base de l’idée qu’un avenir commun est non seulement désirable, mais aussi possible, ce mode de gestion du passé cherche à agir sur les perceptions du passé pour relativiser l’animosité et la rancœur engendrée. Ainsi, le sens des événements est retravaillé en vue d’ouvrir des zones de coopération et d’écrire un récit commun. Pourtant, cette démarche n’est absolument pas la panacée. Elle se fonde sur des ambitions élevées et complexes à atteindre tout en restant réalistes, car elle admet que le fait de reconnaitre l’expérience de l’autre ne requiert pas d’y adhérer totalement. En ce sens, elle reconnait que certains désaccords peuvent en effet persister. Le travail des mémoires tente donc de favoriser la reconstruction des liens qui ont été rompus entre les parties en présence et de contribuer à leur rapprochement de manière durable. En d’autres termes, il s’agit de trouver un langage commun sur le passé, afin de « faire la paix avec le passé ».

La paix, n’est-ce pas là l’horizon souhaité par tous et toutes pour la République Démocratique du Congo ? N’est-ce pas là l’une des valeurs que la Belgique et l’Union européenne se veulent être les défenseur·es ? Il est donc grand temps de joindre les actes aux paroles et d’exiger de nos dirigeant·es politiques des actions concrètes. En ce sens, nous encourageons chacun et chacune à devenir des catalyseurs du changement en soutenant notamment la campagne #JusticeForCongo qui exhorte chacun et chacune à interpeller leurs politicien·nes, au niveau national et européen en leur demandant les actions concrètes qu’ils comptent prendre face à cette situation ou encore à se joindre au « Plaidoyer pour une Stratégie nationale holistique de justice transitionnelle en RDC » piloté par le Prix Nobel de la Paix, le Dr Mukwege et de nombreuses organisations de la société civile congolaises actives dans la lutte contre l’impunité, essentielle pour une véritable réconciliation.

Emmanuel Tshimanga.


[1] Pour aller plus loin : http://usagespublicsdupasse.ehess.fr/memoire-oubli-et-recuperation-de-la-memoire-historique-de-la-guerre-civile-espagnole/ ou https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-portalis-2016-1-page-33.htm

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