Le viol et les violences sexuelles sont le plus souvent les corollaires des conflits armés à travers le monde. Il est nécessaire de garantir l’effectivité des droits de la personne et de lutter contre l’impunité à l’égard d’actes assimilables à des crimes de guerre.
Crédit : Gitti Hentschel.
Viol et agressions sexuelles en période de conflit armé : un phénomène récurrent ?
Les viols et les agressions sexuelles ne sont pas des manifestations nouvelles en période de guerre. Elles datent de l’époque où les femmes étaient considérées comme des objets du patrimoine pouvant faire partie de la moisson de guerre. Les « femmes des vaincus » étaient considérées comme une partie légitime du butin de guerre conquis, au même titre que les biens matériels. Cependant, à travers différents conflits contemporains, ces actes continuent à être perpétrés. Qu’est-ce qui explique cette récurrence ? Comment y mettre fin ?
Lorsque nous parlons des viols et d’agressions sexuelles dans un contexte de conflit armé, nous nous basons sur la terminologie utilisée par le Comité international de la Croix Rouge (CICR), qui confère à cette pratique le caractère de « méthode de guerre ». Cette dernière sous-entend une planification politique préalable de la part des auteurs, le plus souvent, des chefs de guerre. Cette notion renferme une connotation beaucoup plus large par rapport à celle régulièrement utilisée par les médias qui désigne ces viols comme simple « arme de guerre ».
Evelyne Josse, psychologue et maître de conférences associée à l’université de Metz, estime qu’« on parle de viol comme arme de guerre ou une tactique de guerre, lorsque celui-ci est planifié par une autorité (qu’elle soit politique, gouvernementale ou militaire), et utilisé de manière stratégique par une des parties d’un conflit pour humilier, affaiblir, chasser ou détruire l’autre ». Selon elle, ces actes s’inscriraient dans des traditions guerrières. Ce phénomène a pu être observé encore dans de nombreux conflits armés, tels que notamment en Bosnie (1991-2001), en Guinée-Bissau (1998-1999), au Rwanda (1994), en République Démocratique du Congo (1996 à nos jours) et plus récemment en Ukraine (2022- à nos jours).
Nombreux obstacles brident encore la répression, et favorise ainsi la répétition de ces crimes.
Un phénomène plutôt récurrent !
Lors de la guerre en Ex-Yougoslavie (1991-2001), une grande partie des viols recensés avaient été commis par les éléments des forces armées serbes de Bosnie et les groupes paramilitaires serbes. Dans ce contexte, le viol a été utilisé comme une tactique de guerre, visant non seulement à terroriser, en blessant l’ennemi, mais aussi à l’affaiblir. Nous avons vu aussi que le viol peut être utilisé plus particulièrement dans le but de souiller l’ethnicité d’une communauté : cela a notamment été le cas dans cette guerre. En effet, il a été démontré que les membres des forces serbes ont pratiqué le viol et en vue de provoquer des grossesses forcées dans le but, selon le propos rapporté, de « pervertir la race de l’ennemi » et de mettre en péril le futur de la communauté bosniaque. Dans la coutume serbe, la « race » se transmettant par la lignée du père, les enfants issus des viols des femmes bosniaques ne pouvaient alors de cette manière, qu’être considéré·e·s comme des Serbes à part entière.
Cette stratégie qui peut se résumer à la pratique du viol dans le but de souiller l’ethnicité d’une communauté a également pu être observée à l’est de la RD Congo. Comme l’explique Evelyne Josse : « Les combattants hutus originaires du Rwanda ont utilisé cette tactique dans le but de forcer les femmes congolaises à mettre au monde des enfants porteurs de leur identité culturelle, et cela avec le but de s’implanter civilement dans la zone qu’ils occupent militairement ».
Les viols dans un contexte de conflit armé peuvent avoir plusieurs autres objectifs que ceux cités plus haut. Ils ont été pratiqués, par exemple, dans l’optique de contaminer les communautés rivales par la propagation du virus du VIH/SIDA. Cela, nous reporte Amnesty International, a été la méthode utilisée lors des exactions durant le génocide rwandais de 1994.
Le viol a aussi été utilisé, dans certaines autres situations, avec pour but de détruire et/ou d’éradiquer les générations futures d’une population donnée. Ainsi, lorsque les viols s’accompagnent de mutilations génitales par la destruction des fonctions reproductives des victimes féminines. Cela s’est observé au Guatemala, au dans les conflits du Soudan et au Rwanda.
Le Dr Mukwege, Prix Nobel de la paix 2018, depuis ses constats à partir de l’hôpital de Panzi au Sud-Kivu, a souvent exposé en dénonçant les méandres de la cruauté et leurs conséquences terribles que sur les victimes. Gynécologue et militant des droits humains en RD Congo, il a dévoué sa vie à effectuer la chirurgie réparatrice dans le but de permettre aux femmes victimes de se reconstruire[1].
Il s’observe alors chez les victimes, un sentiment de honte et d’humiliation lorsque les viols, utilisés comme méthode de guerre, ont revêtu un caractère de publicité (atrocités infligées en présence des membres des familles ou au vu et au su des proches). Cette dimension collective détruit encore plus la victime ainsi que la communauté affectée en les impactant psychologiquement.
Plus récemment, cette question de viols et d’agressions sexuelles pratiqués comme tactiques de guerre a été mise en lumière, dans le contexte de la guerre en Ukraine. On peut, dès lors constater, par la mise en accusation des combattants russes sur le territoire Ukrainien, une prise de conscience globale contemporaine, qui met en avant une démarche de politique globale contre l’impunité de ces crimes.
Ainsi, Pramila Patten, la rapporteuse spéciale des Nations Unies, estime que « les viols et les agressions sexuelles qui ont été attribués aux forces russes en Ukraine constituent clairement une stratégie militaire et une tactique pour déshumaniser les victimes ». D’après elle, les premiers cas de violences sexuelles auraient fait surface « trois jours après le début de l’invasion de l’Ukraine » (le 24 février 2022). Il y aurait eu des témoignages de femmes ukrainiennes qui précisaient que des soldats russes étaient même équipés de viagra, ce qui montrerait délibérément une « stratégie militaire ». En dénonçant ces crimes ainsi, Madame Patten, même un combat contre l’impunité ces crimes fustigés. Cela serait la raison pour laquelle elle s’est rendue en Ukraine en mai 2022, afin d’envoyer un message fort aux violeurs et agresseurs, que « le monde est entrain de vous regarder, et ce ne sera pas sans conséquences !». À l’issue des constats de la rapporteuse spéciale, l’ONU a pu lancer des enquêtes directement sur le terrain. Il a été constaté « plus d’une centaine de cas » de viols et d’agressions sexuelles en Ukraine depuis le but de la guerre. Il est important de noter cependant qu’il reste compliqué d’avoir des statistiques suffisamment fiables pendant un conflit est en cours. En effet, à ce stade les chiffres des enquêteurs ne pourront donc pas refléter la réalité du terrain.
Finalement, en septembre 2022, un rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante a confirmé l’existence de crimes contre l’humanité commis par les forces russes, et selon des témoignages recueillis, l’âge des victimes de violences sexuelles varie de 4 ans à 82 ans.
Les enfants ne sont pas épargné·e·s
Dans les zones de conflits, comme on vient de le voir en ce qui concerne le récent conflit Russo-Ukrainien, les enfants subissent également des massacres, élèvements et recrutements dans les groupes armés. Ils/elles sont victimes des frappes visant les écoles et installations essentielles d’adduction d’eau ; mais aussi ils sont énoncés·e·s, tout comme les adultes, aux viols et mutilations.
Le droit international humanitaire oblige les forces et les groupes armés de prendre des mesures pour non protéger les civils, mais aussi de veiller encore plus particulièrement à la protection des enfants, qui s’avèrent particulièrement vulnérables en temps de guerre.
Par sa résolution 1612 (2005), le conseil de sécurité des Nations Unies s’est penché sur la protection des enfants dans les conflits armés. Comme il existe de liens avérés entre l’emploi d’enfants soit comme soldat·e·s et/ou esclaves sexuels·e·s, le Secrétaire général devrait mettre en place le mécanisme de surveillance et de communication de l’information sur les enfants et les conflits armés tel que proposé au paragraphe 2 de sa résolution 1539 (2004).
Dans un communiqué de presse « les enfants sous attaque dans l’escalade du conflit à l’Est de la RD Congo », l’UNICEF condamne les violences contre des enfants dans la province du Nord-Kivu. Plus de la moitié, 58% des 521.000 personnes déplacées dans le nyiragongo et Rutchuru à la suite des combats qui oppose les forces armées congolaises (FARDC) aux rebelles du M23 ont moins de 18 ans. Ceux/celles-ci sont exposées à toutes les affres des zones de conflits. Non seulement ils ne peuvent poursuivre leur chemin de l’école, mais aussi ils/eles sont exposé·e·s à toutes les formes l’exploitation. Une attention particulière devrait être portée sur leur situation.
Obstacles favorisant l’impunité
En abordant le sujet du viol en période de guerre, on met en lumière un phénomène qui perdure. Si celui-ci se répéter à travers les années dans des conflits actuels, peut-on supposer que cela est dû à l’inefficacité de répression de leurs auteurs ? Il sied aussi de souligner que c’est seulement en 1998 que les crimes sexuels en temps de conflits armés ont été intégrés dans la liste des crimes de guerre et crimes contre l’humanité, à travers l’article 7 et 8 du Statut de Rome. Ce dernier institue la Cour pénale internationale (CPI en sigle) comme une juridiction internationale permanente qui a la compétence de juger les individus responsables des crimes les plus graves ayant une portée internationale (crimes contre l’humanité, crimes de guerre, crimes de génocide et crimes d’agression).
Ce n’est qu’en 2016 que la CPI[2] a connu pour la première fois, avec le procès de Jean Pierre Bemba, des poursuites comprenant des charges de viol. Ce dernier, en fin de compte, sera acquitté pour cause « d’erreurs graves lors de l’enquête ». En prenant en compte l’acquittement de M. Jean Pierre Bemba, on peut observer qu’il n’y aurait donc pas eu de condamnation définitive (sur le fond) énoncée par la Cour qui s’est limitée qu’aux aspects de procédure (sur la forme).
On pourrait, en outre tenter d’expliquer le manque de répression effective par des limites dans la récolte de preuves.
Un premier obstacle est tout d’abord la question de la reconnaissance de l’agresseur. Il y a un constat selon lequel les victimes identifient rarement leurs agresseurs. Cela, parce que ces crimes sont souvent commis dans des contextes où les victimes ne pouvaient pas distinguer leurs agresseurs, mais aussi car les crimes étaient perpétrés par de nombreux agresseurs en même temps. Ces derniers sont alors difficilement identifiables par les victimes. En outre, il existe une peur de représailles de la part des victimes, dans le cas où elles pourraient reconnaître certains individus comme agresseurs.
Le second obstacle est médical. Cela s’illustre par les délais entre le moment où les crimes ont lieu, et le moment où ceux-ci sont jugés. De ceci découle une difficulté de récolte de preuves scientifiques (empreintes digitales, ADN, sperme, etc.). A cette limite de collecte de preuves scientifiques s’ajoutent, les difficultés et la défaillance des infrastructures médicales, dans les pays en conflit. Ce qui peut expliquer la mauvaise prise en charge des victimes.
Toutes ces limites en termes de ressources mettent en lumière le manque de moyen à la disposition de la Cour pénale internationale.
De ce qui précède, la reconnaissance des victimes est entravée faute de jugement reconnaissant leur souffrance. En conséquence, l’aide psychologique nécessaire à la réinsertion paisible dans le tissu social devient difficile. Celles-ci devraient pourtant être des protagonistes de la reconstruction d’une paix durable dans leurs pays.
Quelles pistes pour y mettre fin/ remédier ?
Après avoir dépeint un état de lieux qui montre la récurrence des viols et agressions sexuelles en période de guerre, ainsi que les obstacles contre lesquelles œuvrer, Il est nécessaire d’en proposer quelques pistes pour y mettre fin.
Premièrement, des actions doivent être menées avant (de manière préventive), pendant (par la surveillance, dénonciation et communication) et après la période de conflit armé (sanctions éventuelles en cas de récurrence).
Tout d’abord, ce qui pourrait être fait en amont est la protection et la prévention des victimes, c’est-à-dire de mettre en place des activités de soutien des groupes à risque, qui sont principalement des femmes et des enfants. Cela se traduirait éventuellement par l’inclusion des femmes dans la mise en place d’actions qui les concernent. On pourrait ajouter à cela l’engagement des autorités locales en termes de développement et d’adoption de mesures particulières, contre les violences sexistes par exemple. Toutes ces mesures viendraient en appui à celles déjà existantes, tel que les solutions proposées par le Fonds de Développement des Nations Unies pour la Femme. Ce dernier est un réseau inter-agence, composé de 13 entités de l’ONU, qui militent contre les violences sexuelles.
Un autre moyen pour contribuer à mettre fin à ces crimes est de lutter contre l’impunité en tant que telle. En effet, les organisations internationales et régionales telles que l’Organisation des Nations Unies, la Cour pénale internationale ou même l’Union européenne pourraient renforcer la mise en place d’une coopération avec les instances judiciaires locales (qui devraient avoir les moyens nécessaires pour mener les enquêtes, établir et conserver les preuves) en les accompagnants à faire respecter les normes et réglementations internationales en matière de viol et d’agressions sexuelles en période de guerre. Même si cela pourrait déjà être le cas, il est sans doute nécessaire qu’il y ait un aspect contraignant pour les instances judiciaires locales, afin d’éviter une absence effet ressentie. En outre, il semble aussi nécessaire d’instaurer systématiquement dans l’éducation de base la culture du respect de l’intégrité physique de la personne dès les bas âges, partout au monde.
On peut ajouter à cela, la nécessité de mieux informer les victimes, et cela pendant et après les crimes. Il faudra effectivement leur donner accès aux les services auxquels elles peuvent avoir droit. Cela est nécessaire, car le plus souvent les victimes ne portent généralement pas plainte. Il est à noter également qu’il existe trop peu de de structures qui leur permettent une prise en charge rapide, c’est-à-dire du délai indispensable pour donner les soins adéquats et recueillir les preuves de l’agression.
Cette information des victimes peut se faire par des organismes locaux, et avec un appui de la société civile belge. Concrètement, cela pourrait se traduire par exemple une collaboration avec une association qui agit localement, tel que Médecin du Monde à Panzi en RD Congo, qui apporte une assistance touchant plusieurs secteurs, tels que des services médicaux ou encore psychosociaux.
Les victimes méritent des actions concrètes de rétablissement. Non seulement parce qu’elles ont besoin de réparations physiques et psychologiques, mais aussi, il leur faut une réparation judiciaire par l’enclenchement des poursuites contre les bourreaux. Au royaume où règne l’impunité, « le silence doit être brisé ! » Comme Thierry Michel l’exprime à travers son dernier film : « L’empire du silence ».
La société civile belge ainsi que les organisations internationales et régionales pourraient contribuer à mettre fin à ce type de crimes par une coopération avec des organisations locales dans le but de renforcer la lutte pour les droits humains, ou encore la protection des victimes. De la même manière, les citoyen·ne·s belges et européen·ne·s peuvent effectuer une déconstruction personnelle sur les enjeux liés aux violences basées sur le genre, qui s’amorcent parfois de comportements sexistes. Cela pourrait être accompagné d’un soutien à la société civile qui lutte non seulement contre les violences effectuées, mais qui travaille aussi en prévention. La diplomatie belge pourrait non seulement exiger le respect des droits humains et la mise en justice de personnes ayant perpétré des viols en période de guerre, mais aussi continuer à soutenir le maintien des sanctions européennes contre les auteurs de ces actes.
Les viols et violences sexuelles constituent encore tout comme une « bombe à déflagration », une arme de destruction silencieuse dont les dégâts affectent de manière continuelle les victimes directes et indirectes.
Keren Tchatat.
[1]In Koli Jean BOFANE, Colette BRAEKMAN, Guy-Bernard CADIERE, Jean-Paul MARTHOZ, Damien VANDERMEERSCH, Le viol, une arme de terreur : dans le sillage du docteur Mukwege, Mardaga-GRIP, Bruxelles, 2018 (préface du Dr Denis MUKWEGE)
[2]Élyse Kervyn, Quel rôle pour la Cour pénale internationale ? Étude Justice et Justice et Paix, 2018