La désinformation : une arme de guerre, un danger pour la paix

Dans un monde de plus en plus connecté, l’information est un élément clé pour faire face aux adversaires de la démocratie. Mais qu’en est-il de la désinformation ?

Le 24 février dernier, la guerre a frappé aux portes de l’Europe. Vladimir Poutine, le président russe, a décidé d’envahir l’Ukraine. Contre toute attente, il s’est confronté à un président ukrainien courageux, à une armée déterminée à défendre son pays et à des civils hostiles à l’armée russe, y compris dans les territoires à forte population russophone. Nous, Européens, sommes sous le choc. Nous avons grandi dans un monde où nous pensions que la guerre appartenait au passé. Nous nous sommes habitués aux régimes démocratiques, à la diversité des opinions, à la presse libre, à la non-violence, à la négociation, à la diplomatie et à la paix. Or, la logique du régime russe est celle de l’autorité, de l’affrontement, de la peur, de la censure, de la désinformation, de l’oppression et de la violence.

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, à l’exception des guerres d’ex-Yougoslavie dans les années 1990, nous avions vécu la période de paix la plus longue de notre histoire. La seule guerre que nous connaissions était cette « guerre froide » entre le bloc de l’ouest et le bloc de l’est, entre les pays occidentaux et l’union soviétique, entre le capitalisme et le communisme. Une guerre symbolique et quasi invisible lors de laquelle la dissuasion et la « guerre des étoiles » avaient pris le pas sur les menaces physiques et le conflit armé. 

La guerre a ceci de terrible qu’elle a des conséquences directes, concrètes et dramatiques : des milliers de soldats meurent au combat, des millions de personnes fuient leur maison et leur pays, des civils sont massacrés, des femmes sont violées, … Nous en sommes malheureusement témoins une nouvelle fois. La guerre est bien la pire chose qui puisse arriver à une nation et à un peuple.

Au-delà du côté palpable de cette guerre, nous nous sentons également déstabilisés par le fait que, jusqu’à ce jour, les vraies raisons de ce conflit restent floues. Nous cherchons encore à connaître les motivations exactes et le projet final de Poutine, dont la personnalité reste mystérieuse et le comportement imprévisible. Et ne pas savoir quels sont ses intentions et ses projets réels complique toute forme de négociation et toute perspective de paix. En effet, comment négocier, mettre fin à la guerre et entamer un processus de paix lorsqu’on se trouve face à un interlocuteur qui n’hésite pas à utiliser la force pour arriver à ses fins, qui ment et qui nie quasi systématiquement tout ce dont on l’accuse. On l’avait peut-être oublié, mais la désinformation fait partie intégrante de la stratégie de Poutine depuis plus de deux décennies, à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières de la Russie. Un ingrédient indispensable aux régimes autoritaires qui peut aller jusqu’à déstabiliser des institutions traditionnellement garantes de la paix dans le monde, à l’instar de l’ONU.  

A l’ère de l’information en continu, d’internet et des réseaux sociaux, la guerre en Ukraine nous rappelle également que derrière tout conflit armé se joue une guerre médiatique où la communication joue un rôle crucial. Ainsi, en assimilant les dirigeants ukrainiens à des nazis, Poutine peut justifier son « opération spéciale » par une « dénazification » de l’Ukraine et un « maintien de la paix ». Cela lui permet également de se faire passer pour un « libérateur ».

La propagande et la désinformation ont depuis tout temps été utilisées comme des armes politiques et militaires, quels que soient le pays ou la période de l’histoire. Contrôler l’information et les médias, c’est assurer un contrôle de la population car l’information influence directement nos pensées, nos émotions, nos comportements et nos opinions. Raison pour laquelle Poutine contrôle la quasi-totalité des médias dans son pays. Dans les cas les plus extrêmes, la désinformation peut servir à déclencher et alimenter un conflit, une guerre voire un génocide. Lors du génocide au Rwanda en 1994, les esprits des citoyens hutus ont été préparés, influencés et conditionnés pendant des mois, notamment via la radio des mille collines qui diffusait des messages de haine envers les Tutsis. Elle alla jusqu’à inciter les Hutus à s’en prendre physiquement à eux et à les éliminer. Et pour faciliter le passage à l’acte, les Tutsis étaient déshumanisés en étant assimilés à des cafards. 

C’est ce même type de processus qui a été mis en place pendant des années par les nazis pour justifier l’extermination des Juifs. La première étape était de mettre en place une propagande les désignant comme responsables des malheurs de l’Allemagne et visant à les déshumaniser en les assimilant à des rats dont il fallait se débarrasser. Des préjugés qui ont débouché sur des événements aussi terribles que les lois de Nuremberg, la nuit de cristal, le ghetto de Varsovie et Auschwitz. Les décennies qui ont suivi, de nombreux travaux en psychologie ont permis de démontrer expérimentalement cette réalité : les préjugés et la déshumanisation sont un terreau fertile pour la discrimination et la violence envers un groupe désigné comme bouc émissaire. 

Même si l’objectif de Poutine n’est pas de commettre un génocide envers les Ukrainiens, les boucs émissaires de la Russie sont bel et bien désignés explicitement. Selon lui, l’OTAN, les pays occidentaux, les USA et le gouvernement ukrainien menacent les intérêts, la sécurité et l’avenir de son pays. Une stratégie lui permet alors justifier sa guerre : celle de la prophétie autoréalisatrice. En effet, une des conséquences de la guerre en Ukraine est le renforcement de l’OTAN et des liens entre l’Ukraine et les occidentaux, qui lui fournissent de plus en plus d’armes, ce qui vient confirmer la théorie initiale de Poutine. Pour justifier sa guerre, il crée donc une illusion en inversant habilement les causes et les conséquences, en accusant les autres de faire ce que lui fait, et en essayant de faire oublier que seul lui a décidé de commencer cette guerre. La prophétie se réalise alors en suivant cette logique d’inversion : l’agresseur se transforme en libérateur et le coupable se transforme en victime. Un raisonnement fallacieux qu’on retrouve également dans la pensée de type complotiste. Dans le cadre de la pandémie de covid-19 par exemple, pour certains anti-vaxx, les médecins n’étaient plus considérés comme des professionnels de la santé qui nous soignaient. Ils étaient devenus des agents du pouvoir qui cherchaient à nous contrôler et nous tuer à petit feu en nous injectant un vaccin. Et au niveau politique, les démocraties étaient associées à des dictatures sanitaires. Rien d’étonnant dès lors que beaucoup d’anti-vaxx soient en même temps pro-Poutine.

La désinformation autour de la guerre en Ukraine permet également d’alimenter une autre croyance : la théorie du monde juste. Spontanément, nous avons tendance à croire que ce qui arrive à une personne (ou un peuple) est justifié. Nous avons appris depuis notre enfance que « les bons » étaient récompensés et que « les mauvais » étaient punis. C’est cette fameuse croyance populaire selon laquelle il n’y aurait pas de fumée sans feu. Si un jeune se fait tabasser par la police, c’est qu’il l’a cherché. Si une fille se fait agresser sexuellement, c’est parce qu’elle portait des vêtements aguicheurs. Si l’Ukraine est envahie par la Russie, c’est parce qu’elle la provoque depuis des années. Parce qu’elle veut rejoindre l’OTAN. Parce que les Ukrainiens commettent un « génocide » envers les populations russophones dans le Donbass. Le régime ukrainien est alors assimilé à un régime nazi à la solde des Américains. Ce type de propos sert évidemment de prétexte à la guerre et sert à convaincre l’opinion que cette opération militaire est justifiée et donc juste moralement.

Un autre biais cognitif entre en jeu : le biais d’idéologie. La plupart d’entre nous sont convaincus d’avoir raison et que ceux qui ne pensent pas comme nous ont tort. Nous croyons que la façon dont nous pensons qu’une société doit fonctionner ou dont un pays doit être dirigé est la bonne. Autrement dit, que notre idéologie est meilleure que celle des autres. Dans un pays démocratique, ce biais est atténué par la diversité des opinions et le débat d’idées. Mais dans un régime autocratique ou dictatorial, il empêche toute remise en question et laisse la porte ouverte à toutes sortes de dérives. Cela pourrait expliquer pourquoi Poutine ne supporte pas que l’Ukraine, pays de l’ex-URSS, souhaite s’orienter politiquement vers une démocratie à l’occidentale et tourner le dos à la Russie. Selon certains spécialistes, ce serait même le réel motif du conflit.

La pluralité des idées et les divergences d’opinions sont un des piliers de la démocratie et un garant de la paix. Le danger survient lorsqu’elles ne sont pas respectées. Plus encore, il survient lorsqu’on ne peut plus s’accorder sur les faits, que ceux-ci sont niés, déformés ou réduits à des opinions. C’est ce qu’on appelle la post-vérité. Or, les leaders autoritaires, les dictateurs et les partis extrêmes ont une tendance quasi systématique à déformer les faits pour servir leurs propres intérêts. Lorsque la Russie bombarde une gare et tue des dizaines de civils, elle accuse l’armée ukrainienne d’en être responsable. Lorsqu’on lui reproche les massacres de Boutcha, elle crie à la désinformation (tout en décorant les soldats qui ont commis ces exactions). Une rhétorique qui démontre l’ampleur du cynisme de Poutine. Si je nie les faits dont on m’accuse, cela me permet d’agir en toute impunité. Si j’accuse l’autre d’exactions alors que c’est moi qui les ai commises, cela me permet de me dédouaner tout en les légitimant. Enfin, si la souffrance des victimes est ignorée et si le coupable ne reconnaît ni n’assume ses actes, cela laisse place à des sentiments d’injustice, de haine et de vengeance. Et c’est à cause de toutes ces conséquences désastreuses que la désinformation peut être considérée comme un des plus grands dangers pour la paix.

David Bertrand.

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