Une ruée vers l’or dévastatrice est à l’œuvre aux Philippines. Afin d’extraire le plus précieux métal, l’exploitation des sols et de la main d’œuvre ne cesse de s’intensifier dans les 7.000 îles aux trésors conquises jadis par les Espagnols. Le pays a le troisième plus haut potentiel aurifère de la planète. Le nickel, le cuivre et l’argent attirent également de plus en plus de compagnies internationales, encouragées par une taxation et une régulation parmi les plus faibles au monde.
La population profite à peine de la spéculation sur ses propres richesses nationales. Un intense lobbying et une corruption à peine voilée perpétuent cet héritage colonial. Les drames sociaux et écologiques se multiplient. Les communautés locales sont souvent déplacées ou forcées au départ. Les forêts laissent place à des chancres. Les déchets contaminent l’eau et l’air. Les accidents de travail sont aussi nombreux que les conditions sont précaires. Nombre de pêcheurs et agriculteurs n’ont dès lors plus d’autre choix que d’accepter les salaires médiocres proposés par les grands extracteurs, au péril de leur santé. D’autres sont entrés en résistance, mais beaucoup d’entre eux disparaissent mystérieusement. Comme le chantent encore quelques rares poètes, « l’odeur du sang et de l’or est la même ». Aujourd’hui, c’est un site « fantôme », une vaste étendue tropicale presque sans vie. Tout allait bien dans la mine de San José, selon Apolonio Saril. « Ils payaient bien, il n’y avait pas de problème », assure l’ancien mineur, avec le sourire mais sans conviction. À bien y regarder, son t-shirt porte le sceau de la municipalité. Il y travaille depuis plusieurs années. Difficile pour lui de remettre en question les choix des politiciens locaux. Sa version édulcorée est largement contredite par les autres hommes du village. « Les salaires étaient faibles », juge Satornino Acuhido, depuis sa maison qui surplombe le gigantesque site minier – il est trois fois plus grand que le village, au moins.Je recevais 150 pesos (3 euros) par jour. Auparavant, comme maçon et charpentier, je pouvais gagner 200 pesos par jour. Mais j’ai accepté parce qu’à ce moment-là, j’étais sans emploi. De plus, les responsables de la mine nous avaient promis que les enfants iraient à l’école gratuitement. Il y avait quelques bénéfices en plus du salaire, comme l’école et l’accès à l’eau. Mais, à un moment, ils n’ont plus accepté que tous nos enfants aillent à l’école. Les miens ont dû la quitter, sauf l’aîné.La mine de San José, près de Sipalay, au sud-ouest de l’île de Negros, c’est avant tout un gigantesque cratère devenu lac artificiel. Depuis les hauteurs, la mine se manifeste aussi par de nombreuses installations de métal rouillé. L’écrin de verdure tropical qui entoure le site souligne sévèrement cette injure au paysage. La mine est fermée depuis plusieurs années, mais les lieux n’ont jamais été réhabilités. L’entrée est toujours surveillée par des gardes en armes. Sur un banc de la place du village, Ernesto P. Tujardon, retraité, raconte comment l’exploitation a pris fin : « Les travailleurs ont peu à peu cessé de collaborer. La direction promettait des hausses de salaire. Mais ça n’est jamais arrivé. Au contraire : les bénéfices comme l’accès à l’eau et l’école pour les enfants ont été supprimés. » Beaucoup de parents ont dû stopper net la scolarité de leurs enfants. Aujourd’hui, le chômage et la pauvreté sont presque omniprésents à San José.
L’exploitation minière s’accompagne de véritables désastres », poursuit le Père Walpole. « Cela est dû avant tout à une mauvaise gestion. Mais une solution durable ne pourra être trouvée qu’au niveau international, dans un processus comme celui qui concerne la traçabilité du diamant, comme celui de Kimberley. En attendant, la compétition entre les pays miniers et les pays industrialisés risque de donner lieu à de nouveaux désastres écologiques et sociaux.Parmi ces désastres, l’un des plus connus est celui de Marcopper, du nom d’une société canadienne. C’était en 1996, sur la petite île de Marinduque, dans le nord du pays. Une faille dans un tunnel a libéré 1,6 millions de mètres cubes de déchets dans la rivière Boac. Une vingtaine de villages sur les soixante que compte la province de Marinduque ont dû être évacués. Les déchets toxiques ont tué poissons et crustacés et détruit de nombreuses cultures, des rizières notamment. Le village d’Hinapulan a été inondé de boue. De nombreuses bêtes d’élevage ont disparu sous deux mètres de déchets. Mais les dégâts des mines ne sont pas toujours précédés d’un accident. De nombreuses études, notamment celles menées par la fondation Ibon, ont mis en évidence que l’implantation des mines contaminait les eaux, causait des maladies, faisait disparaître les poissons des rivières et conduisait certains villages à la malnutrition. Des descriptions détaillées de ces phénomènes ont été réalisées pour les villages de Benguet et Mankayan.
Les mines forcent des communautés à se déplacer ou à céder une partie des terres qu’elles occupaient traditionnellement. Elles participent grandement à la déforestation du pays, ce qui le rend plus vulnérable lors des pluies torrentielles et des typhons. Elles déversent nombre de polluants dans l’eau, dans la terre et dans l’air. (Glenis Teresa C. Balangue, de la Fondation Ibon)
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Notes[+]
↑1 | C’est ce que révèle un document du Fond monétaire international intitulé « Philippines : reform of the fiscal regime for mining and petroleum ». |
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↑2 | Selon les chiffres officiels du Mines and geoscience bureau (MGB) et du Department of Labor and Employment. |
↑3 | « Ibon » signifie « oiseau » en tagalog, un symbole fort à l’époque dictatoriale pendant laquelle la fondation a vu le jour. |
↑4 | Selon une étude menée en 2004 par l’Autorité nationale d’économie et de développement (NEDA). |