La Commission Justice et Paix se réjouit du vote qui a eu lieu le mercredi 20 mai 2015 en séance plénière du parlement européen sur le règlement dit des « minerais de conflits ». Le parlement en effet voté massivement en faveur d’une réglementation visant à obliger toutes les entreprises européennes à s’approvisionner de manière responsable dans les quatre minerais que sont l’étain, le tungstène, le tantale et l’or.
Des organisations de la société civile congolais ont également réagit à ce vote, soulignant que la proposition du parlement permettra de faire un pas en avant important afin de lutter contre les conflits dans la région.
Par ce vote, le Parlement recommande d’appliquer le standard international de la « diligence raisonnable ». Ce schéma demande aux entreprise de faire des efforts afin d’identifier et prévenir les risques tout au long de leur chaîne d’approvisionnement. Les entreprises devraient ainsi entreprendre des démarches administratives afin de s’assurer que les minerais achetés auprès de leurs fournisseurs pour exercer des activités commerciales n’alimentent pas des conflits armés.
C’est une grande victoire. Les élus européens ont pu saisir l’importance historique de ce vote en faisant primer l’éthique sur le profit. En effet, seule une régulation obligatoire peut permettre de lutter efficacement contre les minerais du sang et les exactions terrifiantes qui en résultent.
En proposant ce schéma obligatoire, le parlement entend ainsi permettre à nos entreprises européennes de faire pression sur l’ensemble des acteurs se trouvant en amont de la chaîne, comme les fonderies et raffineries asiatiques qui alimentent le marché européen et cela afin qu’elles changent leurs pratiques. Les PME européennes pourraient également profiter de cet effet de levier en ayant ainsi la possibilité de s’inscrire dans des schémas d’approvisionnement responsable déjà tracés par les plus grands consortiums.
Pourtant, la partie était loin d’être gagnée. Le 14 avril 2015, la Commission du Commerce International (INTA) du Parlement européen avait raté une occasion de lutter contre ce commerce odieux. Elle avait en effet voté en faveur d’un règlement peu ambitieux, qui, s’il avait été adopté en l’état, aurait anéanti les tentatives mondiales pour assainir ce commerce meurtrier.
Dans ce texte qui a été proposé au vote en séance plénière, un nombre très limité d’entreprises importatrices était concerné par une obligation de s’approvisionner de manière responsable (à peine 19 fonderies et raffineurs européens, représentant 5% du secteur mondial). 400 autres entreprises pouvaient, sur base uniquement volontaire, mettre en place une surveillance de leur chaîne d’approvisionnement.
Ce dispositif à deux vitesses, particulièrement limité, n’aurait pu avoir aucun impact significatif et durable sur un commerce qui alimente les conflits et les violations des droits de l’Homme.
En effet, la majorité des entreprises européenne auraient pu continuer à importer des minerais, par exemple sous formes de produits déjà assemblés ; venant de fonderies, raffineries ou autres manufactures asiatiques et n’étant pas elles soumises à ces règles de « diligence raisonnable ».
Désormais, le texte est renvoyé en « trialogue », étape au cours de laquelle la Commission Européenne, Le Conseil de l’Union européenne et le Parlement vont négocier âprement. Le Parlement dispose d’une position forte et à ce titre doit pouvoir faire preuve d’ambition afin de faire passer ses idées auprès de deux instances qui ont déjà fait savoir qu’elles étaient satisfaites avec la proposition initiale publiée le 6 mars 2014 par la Commission Européenne qui entendait proposer un régime de « diligence raisonnable » de type uniquement volontaire.
Malgré ce vote favorable du Parlement européen, soulignons néanmoins que la société civile n’est toujours pas satisfaite du fait que les minerais visés par le règlement se restreignent à l’or, l’étain, le tantale et le tungstène. C’est oublier qu’il y a pourtant de nombreuses autres ressources naturelles qui sont susceptibles de provoquer des exactions dans le monde, comme par exemple le cuivre, le jade et le rubis en Birmanie, mais aussi le charbon en Colombie ou encore le diamant au Zimbabwe et en Centrafrique. Les rapports des organisations de la société sont légion et devraient être davantage pris en compte.
Justice et Paix appelle le gouvernement belge à respecter la position du Parlement européen et à la défendre au sein du Conseil de l’Union européenne. D’autant que nous notons avec satisfaction que les europarlementaires francophones belges se sont mobilisés massivement en faveur de ce vote ambitieux. Nous demandons également au Parlement fédéral belge et à l’ensemble des partis politiques d’adopter une résolution forte qui demande fermement à la Belgique de confirmer la volonté exprimée par le Parlement européen.
Il est utile de rappeler que 157 organisations de la société civile, le Docteur Mukwege (récent prix Sakharov), 145 Évêques du monde entier, ainsi que des investisseurs européens se sont prononcés clairement en faveur d’un règlement contraignant. Ces soutiens variés montrent que cette demande n’émane pas uniquement d’un secteur spécifique de la société, mais qu’elle est partagée.
Justice et Paix, la CIDSE And EurAC ont mené une campagne électronique virale qui a conduit près de 10.000 citoyens européens à envoyer des emails à des parlementaires européens leur demandant d’adopter une posture ambitieuse en la matière . La pression citoyenne (également réalisée grâce à d’autres campagnes internationales comme celle initiée par Walk Free) a constitué un élément indispensable qui a permis de contribuer à convaincre nombre de parlementaires européens de voter en faveur d’un texte contraignant davantage les entreprises.
En effet, nombre de parlementaires, issus pour la plupart du Parti Populaire Européen (droite conservatrice) et du groupe ALDE (Libéraux et Démocrates) se montraient récalcitrants à adopter une réglementation obligatoire pour les entreprises, arguant que la législation américaine similaire, le Dodd Frank Act, avait poussé les entreprises états-uniennes à s’approvisionner ailleurs que dans la région des Grands Lacs, créant ainsi un embargo de fait et appauvrissant les creuseurs artisanaux.
Cet argument a été à maintes fois repris également par le secteur industriel afin de montrer qu’une loi européenne forte n’était pas souhaitable.
Justice et Paix s’est attachée affirmer et continuera à marteler que le Dodd Frank Act n’est pas responsable des effets négatifs observés sur le terrain, que du contraire. D’après notre vaste réseau de partenaires congolais issus d’organisations de la société civile, il est impossible d’isoler les effets de cette législation du reste du contexte local et global, comme la décision du Président Kabila de stopper le commerce de minerais en 2012 ou encore la baisse importante des cours des minerais sur les marchés mondiaux due à la crise financière.
Ajoutons que le Dodd Frank Act étant entré en vigueur en janvier 2013, il est encore trop tôt pour en tirer une évaluation sérieuse.
Le Dodd Frank Act est au contraire responsable, depuis son adoption, d’un développement d’un marché « propre ». Ainsi, la RD.Congo a multiplié des missions de validation de sites miniers. Désormais une centain ont été déclarés « verts », c’est-à-dire sans la présence de milices armées, de femmes enceintes ni d’enfants de moins de 18 ans. Les protocoles de traçabilité de minerais se sont multipliés comme le processus d’étiquetage ITRI.
Seul un régime obligatoire a pu créer cette dynamique commerciale positive et tournée vers le respect des droits humains fondamentaux, alors que le guide de l’OCDE sur le devoir de diligence, de nature volontaire, n’est que fort peu appliqué par les entreprises depuis son lancement en 2010 (4 % des entreprises européennes à peine, selon la Commission Européenne). La fin de l’impunité économique dont jouissent certaines entreprises est à ce prix et l’UE peut désormais y contribuer…
Santiago Fischer