Pour déterminer les effets des mesures soumises par la Commission européenne sur les « minerais de conflits », la Commission Justice et Paix Belgique francophone a mené une enquête auprès de 36 entreprises enregistrées à la Bourse de Bruxelles dont les activités sont liées au secteur minéral.
L’étain, le tungstène, le tantale et l’or. Sous ces noms se cachent des métaux rythmant notre quotidien. Ils sont en effet nécessaires au fonctionnement d’une multitude de nos biens de consommation tels que les téléphones portables, les ordinateurs et autres électroménagers. Leur extraction dans des pays riches en ressources naturelles peut toutefois participer au financement de groupes prenant part à des conflits armés et responsables de graves violations des droits de l’Homme. En Europe, de nombreuses entreprises sont exposées à la présence de ces « minerais des conflits » dans les produits qu’elles commercialisent. En conséquence, la Commission européenne a présenté en mars 2014 une proposition incitant- sans toutefois contraindre- les entreprises importatrices de minerais bruts ou transformés sur le marché européen à mettre en place des pratiques de diligence raisonnable afin de s’approvisionner de manière responsable tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Pour déterminer les effets des mesures soumises par la Commission européenne, la Commission Justice et Paix Belgique francophone a mené une enquête auprès de 36 entreprises enregistrées à la Bourse de Bruxelles dont les activités sont liées au secteur minéral. Face à l’introduction de cette initiative législative, les jugements exprimés par deux organisations patronales défendant les entreprises de l’industrie éléctronique et technologique ont également été recueillis. Ces groupes commerciaux sont-ils disposés à appliquer la norme présentée, en dépit de son caractère volontaire ? Les entreprises interrogées s’étant montrées peu réactives quant à la problématique, la réponse européenne qui se profile ne représente assurément pas une solution viable instaurant dans les zones de conflit un secteur minier profitable à la population locale. Au regard de l’analyse développée ci-dessous, il apparaît que seule une proposition contraignante incluant la totalité de la chaîne d’approvisionnement en minerais vers l’Europe permettrait de mettre fin au lien entre le commerce minier et la violence sévissant dans diverses régions du monde.« Notre entreprise doit d’ores et déjà se conformer à de nombreuses normes très lourdes et assurer la traçabilité de différents produits tel que le sable. Les entreprises en aval de la chaîne d’approvisionnement ne maîtrisent pas les activités des différents niveaux du processus. Elles n’ont ni les moyens ni le personnel pour mettre en oeuvre un principe de traçabilité pouvant seulement être implémenté par de grandes multinationales qui ont un service dédié à la thématique. L’impact économique d’une telle législation serait non négligeable. Et cette mesure ne peut pas être reportée sur l’utilisateur final des minerais. »
« Il nous est impossible de connaître la provenance des minerais entrant dans la fabrication des composants électroniques utilisés par les fabricants d’équipements. Je doute qu’ils soient eux-mêmes en mesure de le savoir, étant donné qu’ils s’approvisionnent en composants auprès de grandes marques internationales. La chaîne d’approvisionnement est très longue, l’origine des minerais n’est donc pas traçable.»De même, dix-huit entreprises ont affirmé que les produits qu’elles commercialisent ne comportent pas les minerais ciblés par la législation européenne. La citation suivante atteste ce propos :
« Ce sont les fabricants (chaudronnerie, métallurgie…) qui achètent directement la matière première, je suppose à des grossistes/importateurs de métaux ou alors en direct selon leurs sources. Nous ne sommes donc pas concernés par les minerais dont vous parlez… »Pourtant, les sociétés sélectionnées pour cette enquête font toutes partie des secteurs-clés reconnus pour leurs besoins spécifiques en minerais 3T ou en or. Ces déclarations peuvent donc être remises en question. Est-il seulement possible que ces acteurs privés ne soient pas renseignés sur ces dits minerais que contiennent leurs biens? N’ayant pas une connaissance complète de la composition de leurs biens ni des implications qui en découlent, ces entreprises ne prévoient donc assurément pas d’appliquer volontairement une nouvelle norme européenne relative aux minerais du conflit. Une entreprise a eu l’opportunité d’aborder le thème des minerais du conflit au cours d’une analyse ISO 26000 réalisée en son sein. Cette norme présente les lignes directrices pour des organisations cherchant à contrôler les impacts de leurs activités sur la société et l’environnement. Pour la responsable du département responsabilité sociétale de l’entreprise, « il est important et réaliste de se renseigner sur la provenance des minéraux qui composent nos produits ; c’est un processus qui nécessite la mise en place d’une analyse du lieu d’où proviennent les matières premières. Á ce jour, nous n’avons pas développé de politique définie sur la question des minerais du conflit. Pour autant, prendre des mesures pour développer une chaîne d’approvisionnement propre est une piste d’action de notre entreprise dans les années à venir. Notre priorité actuelle s’axe davantage sur la substitution des métaux rares qui composent nos produits.» Une seule entreprise met actuellement en œuvre un processus de diligence raisonnable et fournit des informations précises aux acheteurs quant aux impacts de ses activités au sein des pays exportateurs de minerais. Elle soumet notamment ces mesures pour développer une chaîne d’approvisionnement propre à des audits indépendants tels que la London Bullion Market Association (LBMA) et le Responsible Jewellery Council. Cette société, qui a pris connaissance de l’initiative législative et approuve son introduction, est largement favorable à une loi rendant obligatoire le suivi des chaînes d’approvisionnement en minerais. En effet, une mesure reposant sur un engagement volontaire ne permet pas de résoudre la distorsion de concurrence entre les entreprises les plus motrices et celles, moins engagées, qui se dégagent de toute responsabilité en matière des droits de l’Homme.
« the underlying causes of this regional war [that] are political, not economic, and are linked to entrenched ethnic enmities and disputes over political power, land rights and citizenship ».[2]Lire la lettre complète en ligne. A cet égard, les pays desquels sont extraits les minerais du conflit sont indéniablement caractérisés par la défaillance de leur appareil étatique et par une corruption endémique. Une profonde réforme du mode de gouvernance de ces régions est donc indispensable pour rétablir une paix durable. Pour autant, force est de rappeler que les acteurs privés ont un rôle-clé à jouer dans les zones caractérisées par un potentiel minéral aux relents conflictuels. En s’approvisionnant dans des mines tombées sous le contrôle de milices qui génèrent violence et insécurité, les entreprises alimentent leur activisme. Á contrario, en vérifiant de manière proactive les impacts de leurs activités et en s’approvisionnant de manière responsable, les entreprises peuvent priver ces groupes de leurs ressources financières et forcer leur désengagement. Ainsi, les acteurs privés ont l’opportunité d’agir en faveur d’une pacification des zones de conflit en aidant les États riches en ressources naturelles à démilitariser leur secteur minier. De plus, chaque intervenant de la chaîne d’approvisionnement est tenu de se conformer au cadre de référence « Protéger, Respecter, Réparer » élaboré par les Nations Unies. Cette norme énonce les obligations des États et des entreprises en matière des droits de l’Homme. Les acteurs non étatiques dont les activités présentent des risques pour les populations locales ont ainsi la responsabilité de respecter les droits fondamentaux inhérents à tout être humain.
- Pilier 1: Protéger Il incombe aux États de protéger leur population contre les violations des droits de l’Homme commises par une entité tierce, y compris une entreprise.
- Pilier 2: Respecter Il appartient aux entreprises de respecter les droits fondamentaux inhérents à tout être humain.
- Pilier 3: Réparer Les entreprises tenues pour responsables d’atteintes aux droits d’autrui doivent offrir, avec l’assistance des Etats, un accès effectif à la justice et des mesures de réparation judiciaire ou non judiciaire aux victimes.
« le développement et la mise en œuvre d’une chaîne d’approvisionnement transparente et d’un programme certifiant l’origine des minerais extraits requierent des investissements substantiels en temps et en ressources financières. »Pour la répresentante de la Fédération Agoria, les démarches à entreprendre pour développer une chaîne d’approvisionnement transparente nécessitent en effet du temps et des adaptations. Pour autant, si les entreprises établissent un parallèle entre un approvisionnement en minerais responsable et des contraintes techniques et des charges administratives trop lourdes, le projet est assurément viable économiquement, pour les grandes multinationales comme pour les PME. Préalablement à l’introduction de la proposition, la Commission européenne a mené une analyse auprès de 330 entreprises mettant en œuvre des mesures pour certifier l’origine des minerais importés. L’enquête révèle que les coûts associés à une telle démarche représentent 0.05 % du chiffre d’affaires de chacune des entreprises interrogées, y compris des PME. Parmi celles-ci, 74% ont reporté avoir dépensé environ 13.500 € au cours de la première année marquant la mise en oeuvre d’une chaîne d’approvisionnement propre. L’argument du « trop cher et trop compliqué » n’est donc pas pertinent et dénote la nécessité d’un cadre juridique obligatoire pour que les entreprises soient contraintes de proposer des produits certifiés « conflict free ».
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Notes[+]
↑1 | L’étain, le tantale et le tungstène |
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↑2 | Lire la lettre complète en ligne. |