Arriver jusqu’à Cinjira prend longtemps. Sur la route, nous nous arrêtons à Bijaga, le village de la deuxième vague de personnes délocalisées en 2017. Les erreurs commises à Cinjira ne semblent pas avoir servi de leçon à Banro. Les nouvelles constructions dépassent rarement les 15m2 où s’entassent parfois des familles entières. À flanc de colline, ils ne disposent pas de surfaces cultivables ni d’électricité. À cette altitude au moins, contrairement à Cinjira, le climat est supportable. Mais les habitants sont déçus de leur nouveau cadre de vie, certains ont même fui plus loin, chez des proches ou à Bukavu.
Nous continuons notre route et découvrons l’immense mine à ciel ouvert. Ces paysages apocalyptiques frappent par leur gigantisme. Le trou ronge peu à peu la montagne et engloutit progressivement les maisons. Nous observons des habitations occupées à la limite des opérations minières, dont la vie est ponctuée par les explosions quotidiennes. À Kantanbwe, il n’y a même plus de passage pour aller chercher de l’eau. Les habitants demandent à être délocalisés mais Banro prétexte un manque de moyens.
S’ensuit notre ascension vers Cinjira. Arrivés au sommet de la montagne, le froid et le vent se font sentir. Pourtant, les habitants que nous croisons sont vêtus légèrement, la plupart pieds nus dans des tongs. Ils détonnent complètement avec ce climat plutôt andin. Beaucoup d’enfants que nous croisons toussent et semblent malades. Nous nous rendons au dispensaire où nous rencontrons l’infirmière titulaire, de 21 ans. Le médecin ne passe que de temps en temps. « 10 à 15 nouveaux cas se présentent par jour. On ne parvient pas à soigner tout le monde, on manque de moyens. Les gens souffrent surtout de pneumonies, gastro entérites, diarrhées. Les enfants souffrent aussi de malnutrition » nous dit-elle. Son vif investissement personnel n’est cependant pas à la hauteur des défis sanitaires du village. À l’extérieur, un enfant malade et son père attendent assis dans l’herbe une prise en charge. Le père nous confie ne pas savoir où aller. Nous apprendrons quelques semaines après notre retour que cet enfant est décédé faute d’avoir pu être pris en charge.
Nous traversons ensuite le village accompagné du chef et allons visiter une des minuscules maisons construites par l’entreprise. 3 pièces sur 15m2 accueillent une famille de 6 personnes, parfois plus. Les briques mal cuites sont humides et s’effritent, les maisons sont fissurées. Chaque famille essaye de cultiver sur les quelques mètres carrés de jardin qui leur ont été octroyés. La plupart des gens ont des carences alimentaires sévères.
La majorité des gens ici n’ont pas de travail. Cinjira est à ce point isolé qu’il faut marcher des heures pour rejoindre le village le plus proche ou aller chercher de l’eau potable. Certaines personnes travaillent pour Banro, mais ces emplois ne sont pas stables. Récemment, avec la revente de Banro aux investisseurs chinois, plusieurs travailleurs ont perdu leur emploi.
De nombreuses promesses de Banro n’ont pas été tenues vis-à-vis de la population de Cinjira. « On nous avait promis de très belles maisons, de l’eau potable, une belle clinique, des écoles, la satisfaction de nos besoins, des emplois, de l’électricité, mais rien n’a été fait. » nous dit le chef du village.
En contrebas se trouve l’usine de traitement de l’or de Banro. Des infrastructures modernes où se pratique la cyanuration, une pratique qui consiste à utiliser du cyanure, produit toxique, pour isoler l’or du reste de la pierre extraite. Une grande quantité d’eau est nécessaire. Les habitants se plaignent d’ailleurs du tarissement de plusieurs sources. Les eaux sales sont ensuite versées dans un lac artificiel non protégé. Des animaux et des oiseaux y sont morts après en avoir bu l’eau. L’information et la prévention de ces dangers n’ont pas lieu. Les études d’impacts environnementales indépendantes font aussi cruellement défaut. Banro en avait rédigé une à l’époque qui devait être révisée tous les 2 ans. Cela fait 8 ans qu’elle ne l’a pas été.
Du côté des autorités publiques, l’adjoint du Ministre des mines de Bukavu que nous avons rencontré tente de temporiser la situation. Il évoque le nouveau code minierqui va rapporter plus de fonds pour le développement de la population. Il explique également que les populations essayent de piéger l’entreprise : « les communautés piègent la société en se mettant juste à côté de l’exploitation, en construisant de nouvelles maisons et ne vont pas dans les maisons construites pour eux. Ils veulent une double indemnité ». Ce que la société civile dément fermement.