Le Brexit fait énormément parler de lui et se retrouve dans chaque discours sur le futur de l’Union européenne. Rappelons-nous, en juin 2016, les Britanniques décidaient par référendum de quitter l’Union européenne à 51,9% des voix. Après de douloureuses négociations, un accord a finalement été trouvé en novembre 2018 sur les conditions de la sortie du Royaume-Uni de l’UE. Mais depuis janvier, la Chambre des Communes a rejeté par quatre fois l’accord négocié par la Première Ministre Theresa May. Un second report du Brexit a été accepté pour le 31 octobre. L’issue est incertaine.
Le Brexit cristallise la division entre pro et anti-européens. Même si d’aucuns disent que le Brexit aura eu pour effet de calmer les velléités séparatistes, on ne peut nier que les voix eurosceptiques ont pris de l’ampleur ces dernières années. Une étude du centre de recherche américain Pew Research Center de 2016 montrait que seuls 38% des français avaient un avis positif sur l’Europe [2] , plaçant le pays comme 2e pays le plus eurosceptique après la Grèce. Le sondage révélait aussi que les plus de 50 ans sont généralement plus méfiants envers l’Europe que les plus jeunes. Par contre, la prise de distance avec l’Europe bouleverse les clivages politiques. Si au Royaume-Uni, la gauche (69%) est davantage pro-UE que la droite (38%), c’est l’inverse en Espagne où seuls 32% des adhérents de Podemos soutiennent l’Europe contre 59% de la droite. Tout comme 58% des proches du Mouvement 5 étoiles en Italie ont un avis positif sur l’Europe. Les idéologies des partis n’influencent donc pas forcément l’opinion de leurs adhérents.
Il reste que les partis populistes et eurosceptiques ont pris plus de poids ces dernières années. Viktor Orban en Hongrie, Geert Wilders aux Pays-Bas, Marine Le Pen en France, le PiS en Pologne, Mateo Salvini en Italie, le FPÖ en Autriche, tous posent un doute sur l’Europe et manifestent le souhait de la réformer profondément de l’intérieur. Pour le moment, trois groupes parlementaires s’affichent comme eurosceptiques : le CRE (Conservateurs et réformistes européens) qui compte 71 députés, l’ELDD (Europe de la liberté et de la démocratie directe) qui compte 46 députés et l’ENL (Europe des Nations et des Libertés), créé par Marine Le Pen et comptant 35 députés. En tout, 152 députés divisés dans 3 groupes différents. Leur unité semble encore lointaine même si plusieurs d’entre eux affirment très bien s’entendre [3] .
Le prétexte de l’immigration
Les raisons qui ont poussé le Royaume-Uni à poser le choix de la séparation ressemblent en apparence aux arguments repris par les eurosceptiques. La question de l’immigration est le principal exemple.
Du côté de l’UE, la question migratoire aura été sur le devant de la scène durant pratiquement toute cette législature. Certains prédisent qu’elle sera déterminante lors des élections européennes de la fin du mois de mai. Une enquête d’opinion menée par l’ECFR [4] (Conseil européen pour les relations internationales) avance toutefois que le souhait des leaders eurosceptiques de faire de l’élection un référendum contre l’immigration ne sera pas rencontré. Seuls 14% des 45 000 personnes interrogées voient l’immigration comme la principale menace pour l’Europe aujourd’hui. D’autres préoccupations semblent davantage concerner les citoyens européens : selon le même sondage, ceux-ci se focaliseraient sur le coût de la vie, le chômage ou l’émigration de citoyens de Hongrie ou de Roumanie vers d’autres pays.
Comme le montre le sondage, des motifs socio-économiques apparaissent en tête des préoccupations. Il semblerait donc bien qu’il existe un décalage entre la place accordée à l’immigration dans les discours médiatiques et politiques et les véritables priorités des populations européennes [5].
Du côté des pro-Brexit, la lutte contre l’immigration a été le prétexte majeur mobilisé pour encourager ce choix. Le message de la campagne des europhobes était clair : « quitter l’Europe et maîtriser l’immigration, ou rester et subir une immigration illimitée, une baisse des salaires et des tensions culturelles [6] ». Cet argument a pris une place centrale dans le débat invisibilisant d’autres raisons sociales expliquant ce choix : des populations de villes post-industrielles se sentant abandonnées et accablées par les mesures d’austérité promues par l’UE, en recherche de meilleures perspectives [7]. Le Brexit révèle en effet une profonde fracture entre les élites partisanes de rester dans l’UE et les masses populaires qui subissent de plein fouet les conséquences d’un système économique néo-libéral mondialisé creusant toujours plus les injustices.
Ce constat social est sans doute aussi ce qui maintient les Gilets jaunes [8] dans les rues de France depuis plusieurs semaines. Ce mouvement, arrivé par surprise, mobilise une frange populaire de la population peu habituée aux mobilisations massives. Malgré la variété des structures et un rapport hésitant à la représentativité, le leitmotiv des gilets jaunes est clair : critiquer radicalement les politiques de fiscalité nationales et dénoncer une autorité politique déconnectée des réalités des couches sociales défavorisées. Il est important de noter que, contrairement aux discours pro-Brexit, les textes officiels de groupes de Gilets Jaunes ne contiennent pas de propos racistes et xénophobes [9] . Si certains dérapages ont été constatés, dont l’écho a été renforcé par une stratégie de diabolisation du pouvoir [10], il n’en demeure pas moins essentiel de se pencher sur ce ras-le-bol exprimé massivement.
Vers une hausse des protestations ?
Plus largement, ces manifestations de colère risquent de se multiplier sur le continent face à des inégalités toujours plus aigües, une précarisation du marché de l’emploi et une paupérisation croissante. Les chiffres en attestent : en 2011, 120 millions de personnes vivaient sous le seuil de pauvreté, soit ¼ de la population européenne. Selon Oxfam [11], ce nombre pourrait augmenter de 15 à 25 millions de personnes d’ici à 2025 si les politiques d’austérité européennes se poursuivent. Les écarts de revenus se creusent également. Un travailleur sur dix est pauvre en Europe en raison de facteurs tels que la précarité et la flexibilité du travail grandissantes. Depuis 1980, les 1 % d’Européens les plus riches ont vu leur revenu moyen croître deux fois plus vite que celui des 50 % les moins aisés [12].
Les politiques européennes ne semblent pas à même de prendre des mesures plus égalitaires. Au contraire, depuis la crise financière de 2007-2008, les politiques d’austérité (baisse des dépenses publiques, augmentation des recettes fiscales, etc.) mises en place ont renforcé les inégalités sociales (augmentation du chômage, des inégalités de revenus, etc.). Le cas de la Grèce est exemplatif à ce sujet, la pauvreté ayant explosé suite aux mesures d’austérité imposées. Des experts du FMI (Fonds Monétaire international, protagoniste central dans la mise en place des politiques d’austérité) ont d’ailleurs reconnu en 2012 avoir sous-estimé les effets négatifs de l’austérité sur l’emploi et l’économie [13].