Élections en RDC : est-on devant une impasse ?

Le 18 novembre 2016, des représentants de la diaspora congolaise appelaient à se rassembler pour défendre la démocratie et les Droits humains dans leur pays d’origine. Les revendications politiques sont bien présentes et nous, membres de la société civile, avons le devoir de rappeler à nos responsables politiques quels sont les principes incontournables, les lignes rouges qui ne peuvent être franchies, au risque de voir l’Afrique centrale s’embraser. Des pistes existent, des acteurs tels que l’Église catholique congolaise nous montrent aujourd’hui comment sortir de l’impasse. analyse_elections_en_rdc_est-on_devant_une_impasse_710x280.jpg

Le constat est triste mais clair : l’Afrique centrale s’embourbe et fait marche arrière par rapport aux progrès constatés par le passé en matière de démocratisation des Droits humains. Si certains considèrent cette introduction en la matière comme une ingérence à la souveraineté nationale, d’autres, comme la société civile locale ou les diasporas présentes dans notre pays aimeraient nous voir réagir de façon plus prononcée. Après les Burundais, c’est au tour des citoyens congolais de craindre le pire pour leur pays. Au Nord-Kivu, la ville de Beni a été l’objet de massacres de civils. Le Groupe rebelle Ougandais ADF est cité comme responsable direct de ces exactions. Cependant, il n’y a qu’un pas, que certains franchissent, pour souligner l’intérêt que l’actuel Président aurait à laisser l’est du pays se déstabiliser. L’insécurité pourrait-elle devenir une nouvelle excuse pour reporter, à nouveau, les élections ? La libération du seigneur de guerre Gédéon laisse un goût amer. Celui qui est apparu devant les caméras de télévision avec un T-shirt « Kabila pour toujours » semble aujourd’hui bénéficier de la protection de l’État. À Kinshasa, les « événements » des 19 et 20 septembre font craindre le pire pour les mois à venir. On dénombre près de 50 morts, ainsi que de nombreux blessés et disparus suite aux manifestations anti-Kabila dans la capitale congolaise. Si, d’un côté, le Président congolais temporise et ne dit pas – officiellement du moins – sa volonté de rester au pouvoir, d’un autre côté, ses gestes politiques, comme l’instrumentalisation de la Commission électorale Indépendante (CENI) et de la Cour Constitutionnelle, sont autant de preuves de son intention de se maintenir à la tête du pays. La question est donc … jusqu’à quand et à quel prix ? L’Église congolaise s’est mise au service d’un dialogue qu’elle souhaite inclusif Impasse ou blocage temporaire ? Il est maintenant clair que les élections n’auront pas lieu, comme prévu par la Constitution, le 20 décembre 2016. Mais est-on pour autant dans une impasse ? Non, car de nombreuses initiatives peuvent être prises pour éviter le chaos. La Conférence épiscopale congolaise s’est d’ailleurs mise au service d’un dialogue, qu’elle souhaite inclusif : en servant d’intermédiaire entre le Président Joseph Kabila et le Rassemblement de l’opposition, elle souhaite un consensus large pour le respect de la démocratie. Les garde-fous à ne pas dépasser sont bien présents et il s’agit de ne pas décrédibiliser le processus de transition : les élections devraient avoir lieu en 2017, et non pas en 2018 comme annoncé par la CENI. Techniquement, il est prouvé que les élections peuvent être organisées en 8 mois, enregistrement des électeurs compris ! Il faut par ailleurs que les forces en présence s’impliquent activement dans un comité de mise en œuvre qui, dans ses tâches prioritaires, aurait pour mission de présenter un plan de décaissement. Soyons réalistes : en l’état actuel, la RDC n’a pas les moyens de financer entièrement ses élections. Le Congo aura besoin de l’appui Occidental. Des USA, bien sûr, mais également de l’Europe et donc de la Belgique. L’élection de Donald Trump à la tête des États-Unis ne fait que renforcer le besoin d’un positionnement européen fort. La voix de l’Église congolaise semble avoir, en partie en tout cas, été entendue par le Conseil de l’union européenne du 17 octobre . En effet, les Ministres des Affaires étrangères condamnent fermement les actes de violence commis à l’encontre des citoyens congolais et appellent au respect des Droits humains et de l’État de droit. L’UE fait un pas en plus et avertit très clairement ses interlocuteurs congolais : elle utilisera tous les moyens en sa possession, y compris « le recours à des mesures restrictives individuelles contre ceux qui sont responsables de graves violations des droits de l’Homme ». Bien entendu, nous, défenseurs des Droits humains européens comme congolais, aurions souhaité que nos représentants politiques aillent plus loin. Ainsi, le réseau associatif Eurac, dont Justice et Paix fait partie, attendait un positionnement politique beaucoup plus volontariste. Nous comprenons que la menace est parfois plus efficace que la sanction elle-même. Mais, à l’avenir, un discours trop clément dicté par le principe de non-ingérence, risquerait de renforcer l’immobilisme congolais. L’intransigeance est nécessaire Il nous paraît dès lors important de rappeler les conditions pour que, dans les mois qui viennent, s’ouvrent des perspectives démocratiques favorables en RDC et, par effet dominos, en Afrique centrale : 1. Le respect des Droits humains est une condition sine qua non Nous demandons à nos représentants politiques, belges et européens, de communiquer de manière beaucoup plus forte et cohérente sur leur engagement et leur détermination à défendre les droits et libertés des citoyens congolais, comme la liberté d’expression, d’association et de réunion. Cela implique :  – D’une part, de condamner la politique d’arrestation et de détention des opposants politiques, des défenseurs des Droits humains et des membres de la société civile, et d’exiger la libération immédiate et inconditionnelle de tous les prisonniers d’opinion, ainsi que l’abandon des charges qui pèsent encore à leur encontre. Cela implique également de pouvoir mettre en œuvre des sanctions ciblées – y compris des interdictions de visa et le gel des actifs – à l’encontre des hauts responsables et des agents des forces de sécurité congolais responsables de répression violente et de violations des Droits humains. – D’autre part, de communiquer clairement notre tolérance zéro pour tout usage excessif de la force et incitation à la violence par les agents des forces de sécurité et officiers de l’armée qui reçoivent par ailleurs une formation ou tout autre soutien, notamment financier, de la part de l’UE ou de ses États membres. Concernant la situation dans l’Est de la RDC, nos décideurs politiques doivent user de leur influence diplomatique pour demander aux États membres du Conseil de Sécurité des Nations Unies de mettre en place une enquête indépendante sur les massacres de Beni et Lubero, enquête qui n’empièterait pas sur les initiatives locales de règlement des conflits communautaires, mais qui agirait en complément de celles-ci. Un outil, la résolution 2293 du Conseil de Sécurité des Nations Unies Dans la résolution adoptée à l’unanimité en juin 2016, le Conseil de Sécurité a décidé de reconduire jusqu’au 1er juillet 2017 les sanctions concernant la République démocratique du Congo (RDC) et de proroger jusqu’au 1er août 2017 le mandat du Groupe d’experts du Comité 1533 chargé de surveiller l’application des sanctions imposées. Cette résolution souligne également qu’il est crucial que le « prochain cycle électoral se déroule de façon pacifique et crédible, comme prévu par la Constitution ». En savoir plus Cette résolution est donc un outil auquel nous, défenseurs des Droits humains comme décideurs politiques, pouvons faire appel pour rappeler notre légitimité à exiger une sanction pour tout acte qui viendrait à compromettre la paix, la stabilité et la sécurité de la RDC. 2. Le respect de la Constitution n’est pas négociable Dans leur déclaration, les Ministres européens des Affaires étrangères ont montré leur volonté d’appuyer le processus électoral en débloquant des fonds. Dans les semaines qui viennent, une communication claire à l’égard des autorités congolaises sera essentielle au processus : nous devons montrer notre détermination à défendre le respect des articles de la Constitution congolaise qui consacrent le principe d’alternance démocratique [1]Tels que le nombre et la durée des mandats présidentiels autorisés ou le mode de scrutin présidentiel (Articles 70 et 220). et exprimer fortement le refus de l’UE de voir le Président Kabila se maintenir au pouvoir par l’intermédiaire d’un troisième mandat et/ou d’un « glissement » du processus électoral. Si le temps est contre nous, l’esprit de la Constitution congolaise doit être respecté… les principes d’alternance et de transparence sont donc non négociables. La récente nomination d’un Premier Ministre de transition est certes perçu comme un premier geste de bonne volonté de la part du Président, il n’en reste que le choix de Samy Badibanga suscite de la méfiance parmi les observateurs. Issu du parti de l’opposition UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social), il avait été exclu de celui-ci alors que, suite à l’élection controversée de Kabila en 2011, il avait refusé de suivre l’injonction de ne pas siéger à l’Assemblée nationale. À l’heure d’écrire ces lignes [2]18 novembre 2016., une manifestation organisée par la diaspora congolaise s’est tenue devant les Affaires étrangères belges. Une soixantaine de personnes se sont rassemblées sous le slogan « Kabila exit ». L’enjeu c’est la paix au Congo, mais aussi ici où la frustration de nos compatriotes d’origine africaine se fait de plus en plus sentir. Axelle Fischer

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Notes

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1 Tels que le nombre et la durée des mandats présidentiels autorisés ou le mode de scrutin présidentiel (Articles 70 et 220).
2 18 novembre 2016.
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