Mission économique belge au Pérou : à quel jeu joue-t-on ?

Du 18 au 25 octobre 2014, une mission économique présidée par la Princesse Astrid s’est déroulée au Pérou et en Colombie. Pas moins de 300 représentants du monde entrepreneurial et universitaire sont allés découvrir le vaste potentiel économique qu’offrent ces pays, aux taux de croissance engageants.

Car le Pérou, c’est 6.8% de croissance en moyenne annuelle entre 2006 et 2013, mais c’est aussi 214 conflits sociaux répertoriés en juin 2014 et directement liés aux impacts des investissements économiques dans ce pays. Alors, l’attrait du profit des acteurs économiques belges peut-il laisser une place à la prise en compte de ces réalités ? Mines et populations locales « Quand il n’y a plus d’eau, nous ne buvons plus de soupe ni de café non plus, les animaux aussi se mettent à pleurer. Nous devons faire des kilomètres pour chercher de l’eau potable. » Nous sommes dans la sierra surplombant Cajamarca au Pérou, partenaire commercial privilégié de la Belgique et de l’Union européenne. Il n’y a presque plus d’eau potable dans ce haut bassin séculairement riche en lacs, rivières et sources multiples car les mines à ciel ouvert se sont installées, et l’eau a inévitablement été contaminée. Plomb, cyanure, mercure, arsenic, tous de violents poisons qui provoquent différents types d’affections graves, depuis les cancers jusqu’aux malformations fœtales. La liste est impressionnante ! Toute la faune et la flore paient du reste le prix fort car, au Pérou, les réglementations en matière de respect de l’environnement sont quasi inexistantes en comparaison à l’Europe où ces mines à ciel ouvert auraient depuis longtemps été classées « Seveso » avec les mesures de précaution et protection qui y sont associées ! À Cajamarca et dans plusieurs autres zones du pays affectées par les impacts socio-environnementaux néfastes de l’extraction minière, les populations non consultées n’ont plus d’autre possibilité que de descendre dans la rue. Elles réclament pacifiquement le respect de leurs droits fondamentaux et s’entendent répondre avec violence qu’elles nuisent au bon développement du pays. La loi péruvienne permet en effet aux forces de police d’être employées par les entreprises privées et d’ouvrir le feu sur la population sans qu’aucune investigation ne soit menée en cas de bavure. La police agit donc en toute impunité. En 2013, on recensait 216 conflits sociaux au Pérou dont 104 étaient liés à des projets miniers. Le régime péruvien pro-minier L’implantation de projets miniers a encore été facilitée en juillet de cette année avec l’approbation et la promulgation de la loi 30230 qui établit « des mesures fiscales, la simplification des procédures et des permis pour la promotion et la dynamisation de l’investissement dans le pays ». Ce règlement affaiblit considérablement les mesures de protection environnementale et augmente le risque de conflictualité sociale. Dans un contexte global de crise environnementale, cette loi s’inscrit complètement à contre-courant, d’autant plus ironique que le Pérou reçoit en décembre la Conférence sur le changement climatique (COP20) qui précède le Sommet de Paris en 2015. Bénéficiant des faveurs de l’État, l’entreprise doit encore se faire accepter de la population située sur sa concession. Le cas actuel de Huancabamba, dans la région de Piura, est édifiant. L’entreprise chinoise Río Blanco Copper, dont un projet avait déjà été rejeté par consultation populaire en 2007 à 97% des voix, semble refaire surface. Organisation d’ateliers sur la promotion de l’investissement minier destinés à convaincre la population, ouverture de locaux, séduction de la population à travers des campagnes d’assistance notamment dans les collèges où les représentants de l’entreprise offrent des cadeaux en tout genre aux enfants. La désinformation s’installe et s’accompagne du harcèlement des dirigeants locaux opposés au projet au moyen d’arrestations arbitraires et de diffamations dans les médias locaux, nous signalent des observateurs sur place. Il faut dire que le Pérou est un acteur important sur les marchés internationaux des métaux (cuivre, or, argent,..). Et cela se reflète également dans ses relations commerciales avec la Belgique, dont les importations en provenance du Pérou en 2013 étaient composées à plus de 50 % de « produits minéraux » et de « métaux communs ». À côté des mines, l’agriculture familiale reste une des activités économiques principales des communautés locales et la menace que représentent les entreprises minières à la responsabilité relative met directement en jeu la survie des populations. État des relations entre Pérou et Union européenne Ces dernières années, la demande mondiale en matières premières a fortement augmenté, poussée notamment par le boom économique des pays émergents. La concurrence est aigue et la pression sur le Pérou est devenue plus forte. Le Pérou lui-même parie sur l’attrait d’investisseurs étrangers comme vecteur de croissance et leur ouvre grand ses portes au moyen d’une législation souple. Afin d’assurer son approvisionnement, l’Union européenne a mis en place des stratégies qui visent à lui assurer un libre accès aux ressources naturelles et à protéger ses investissements dans ce secteur. En atteste le Traité de Libre Commerce (TLC) conclu en 2012 entre le Pérou et l’UE. Cet accord accentue la dépendance du Pérou envers le commerce de matières premières, fragilisant davantage son économie. Il ne bénéficiera que très peu aux populations locales, mais risque d’affecter fortement l’agriculture familiale et d’amplifier l’accaparement des terres. La mainmise des entreprises minières sur les sols, l’eau et les infrastructures sera renforcée et légitimée par cet accord ; les populations locales perdront encore de leurs possibilités d’être consultées et écoutées dans les conflits sociaux qui risquent de s’intensifier. Le TLC est vivement critiqué par la société civile péruvienne. Les organisations y voient l’imposition de politiques internationales empêchant la mise en œuvre de politiques de développement autonomes. Le processus d’intégration régionale de la région andine semble en contradiction avec l’acceptation de la part du Pérou et de la Colombie de relations bilatérales avec l’Union européenne. De plus, libéraliser l’accès aux ressources naturelles et aux secteurs stratégiques est perçu comme une démission de l’État à la faveur des sociétés transnationales. Aveugles aux violations des droits de l’homme existantes lors de son approbation, l’accord comporte malgré tout un chapitre consacré au développement durable qui dispose d’un comité de suivi chargé de veiller au respect de ses termes. Ce comité offre une place à la consultation de la société civile européenne. Mais la question des mesures prévues en cas de non-respect des termes de l’accord reste un mystère. La Belgique a son mot à dire ! Les États membres, dont la Belgique, doivent encore ratifier le TLC et notre pays devrait se montrer davantage à l’écoute des avertissements de la société civile péruvienne et européenne. Pourtant, la mission économique princière montre des signaux inverses, en n’ayant prévu aucune rencontre avec la société civile au Pérou. Et le gouvernement fédéral belge actuel se montre favorable à la ratification de l’accord commercial. Alors, à quel jeu jouons-nous avec cette mission économique belge ? Les rendez-vous d’affaires avec les acteurs du secteur des mines, de l’énergie et de l’agro-industrie peuvent-ils faire l’impasse sur les conflits sociaux en cours ? Nos responsables politiques sont-ils prêts à parler de responsabilité sociale des entreprises ? Sont-ils capables de tenir compte de la corrélation entre investissements économiques et impacts sur les populations locales et l’environnement dans un pays qui se prétend démocratique ? Ne fermons pas les yeux ; donnons-nous la peine de visiter ces concessions minières bien surveillées par les forces de police engagées comme milices privées par les entreprises, de voir les montagnes saccagées, les lagunes desséchées, les déchets toxiques amoncelés. Allons à la rencontre des communautés affectées et des organisations de défense des droits humains criminalisées et menacées. Écoutons les propositions alternatives des autorités locales et soyons solidaires des populations locales durement réprimées lorsqu’elles revendiquent de façon non-violente, elles, leur droit à être consultées. Bref, la prise en compte de ces réalités conflictuelles n’est-elle pas un préalable aux investissements belges ? Géraldine Duquenne

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