Minerais dans la construction : comment alléger la facture écologique ?

Si Justice et Paix concentre le plus souvent son travail sur les impacts de l’exploitation des minerais métalliques (fer, cuivre, zinc, cobalt, etc.), le secteur des minerais non métalliques (sable, chaux, plâtre, argile, graviers, etc.) mérite qu’on y prête de l’attention. En effet, l’exploitation de ces minerais, dédiés principalement au secteur de la construction, est en expansion tout comme les impacts qui l’accompagnent. Tour d’horizon de ces enjeux.

Zoom sur les enjeux et impacts des minerais non métalliques dans le secteur de la construction. Quelles alternatives pour plus de durabilité ?

Le monde accro aux matériaux

L’organisation Circle Economy documente la consommation mondiale de matériaux. Celle-ci a atteint le record de 100 milliards de tonnes en 2020. La moitié correspond à des minerais non métalliques : sable, ciment, argile, gravier, béton[1]. Globalement, les matériaux utilisés pour l’économie mondiale ont quadruplé depuis 1970 tandis que la population a doublé[2]. Le rapport pointe que nous continuons à utiliser les ressources comme si elles étaient infinies alors que ces ressources ne sont pas renouvelables et que leur exploitation engendre d’importantes pollutions. Le réchauffement climatique, la perte de la biodiversité et les stress hydriques que connaît notre monde sont principalement dus à l’extraction et la transformation de ressources fossiles, minérales et agricoles[3]. En 2015, 23% des émissions mondiales de gaz à effet de serre étaient dues à la production de matériaux, par rapport à 15% en 1995[4]. Pratiquement la moitié de ces émissions provient de la production de ciment, plâtre, chaux, et autres minerais non métalliques.

Les minerais non métalliques représentent un ensemble assez vaste dont certains matériaux se démarquent par les volumes importants extraits. Parmi ceux-ci, le sable est un élément de base pour le ciment et le béton ; le calcaire et la dolomie sont transformés en chaux pour le secteur de la verrerie, de la construction (briques), de la sidérurgie ou encore de l’agriculture (fertilisants) ; la craie pour le ciment ; l’argile pour des briques, etc.  Et l’on peut encore citer le marbre, le granite, l’ardoise, le phosphate, le sel ou même les pierres précieuses et les diamants.

Le sable est ainsi la 2e ressource la plus utilisée après l’eau. Chaque année, 40 à 50 milliards de tonnes de sable sont extraites pour construire en grande majorité des bâtiments, des routes et du verre. Mais les usages du sable se diversifient, ce qui augmente encore plus la pression sur cette ressource[5]. Aujourd’hui, il est aussi utilisé dans les cosmétiques (gommages entre autres), le traitement de l’eau potable, les micro-processeurs ou les panneaux photovoltaïques[6].

Nous ne chercherons pas à parler de tous les minerais non métalliques, mais nous concentrerons sur un secteur qui en absorbe une grande part : le secteur de la construction.

Le secteur du bâtiment pèse lourd

Le secteur du bâtiment et de la construction est le secteur qui capte le plus de minerais non métalliques. « Il représente à lui seul près de 50% de la consommation de ressources naturelles sur l’ensemble du territoire européen[7] ».  Si l’on regarde de plus près le secteur du bâtiment, on constate qu’il a un impact environnemental important. Au niveau mondial, ce secteur compte pour 36% de l’utilisation finale d’énergie et pour 40% des émissions de CO2 reliées à l’énergie[8]. Il représente en moyenne 11% des émissions de GES dans le monde[9].

Le béton et le ciment[10] concentrent les impacts les plus élevés, car ce sont les matériaux produits dans les plus grosses quantités/volumes. Le ciment représente à lui seul 7% à 8% des émissions mondiales de CO2[11] (près de 4 fois plus que l’aviation civile). La production de ciment revient à chauffer du calcaire (80%) et de l’argile (20%) dans des fours à très haute température (1450°C) pour obtenir du clinker qui, une fois broyé, deviendra du ciment. Le ciment est le liant qui assemble le sable et les graviers pour ensuite former le béton. Les émissions de CO2 issues du processus de production du ciment proviennent pour 1/3 des combustibles fossiles utilisés pour chauffer les fours et pour 2/3 de la réaction chimique produite dans le four[12].

Alors que la filière devrait urgemment réaliser de gros progrès en matière de décarbonation, les projections futures semblent aller à la hausse.  En raison de l’urbanisation rapide et du développement économique de pays émergents (Asie du Sud-Est, Afrique sub-saharienne), la production de ciment devrait augmenter de 25% d’ici 2050 passant de 4 à 5 milliards de tonnes[13]. Une perspective peu souhaitable pour la planète…

Construire toujours plus

Cette augmentation mondiale du bâti s’explique principalement par le développement industriel et la croissance démographique mondiale. La population tend à se concentrer dans les villes qui ont connu un véritable boom ces dernières années. La population mondiale compte déjà 50% de citadins et en 2040, les deux-tiers s’y concentreront[14].

Cette urbanisation croissante conduit à toujours artificialiser plus de terres. En Europe, chaque année, plus de 1000 km2 de terres naturelles et agricoles sont ainsi urbanisées[15]. Inter Environnement Wallonie y a consacré une étude/campagne en 2019 sous le nom de « Stop béton[16] ». Cette urbanisation nouvelle se caractérise par des implantations moins denses ; il s’agit de l’étalement urbain. Les sols artificialisés ne peuvent plus jouer leur fonction de base comme la décomposition de produits chimiques ou l’absorption de pluies, peut-on lire dans l’étude. Cet étalement renforce aussi l’utilisation de la voiture. Le monde politique semble conscient du problème. En effet, la Commission européenne annonce vouloir atteindre l’objectif de zéro nouvelle urbanisation en 2050[17].

L’urbanisation croissante fait du secteur de la construction un gros producteur de déchets. Selon Statbel, près de 22 millions de tonnes de déchets furent produites par le secteur de la construction/démolition en 2018 en Belgique, le plaçant en deuxième position après l’industrie[18]. Pour la seule région de Bruxelles, les déchets du bâtiment représenteraient 30% de tous les déchets de la Région[19]. A l’échelle européenne, 40% des déchets proviendraient du secteur de la construction[20].

Comment faire mieux ?

Une mesure très utile serait de réduire les démolitions de bâtiments qui répondent davantage à des motifs économiques que de fin de vie réelle. « En bref, c’est parce que les promoteurs pensent qu’ils peuvent gagner plus d’argent en construisant de nouveaux bâtiments qu’en les rénovant et qu’il n’y a pas de politique de planification ou de réglementation pour les en empêcher[21] » explique Alice Moncaster, professeure d’ingéniérie à l’Open University au Royaume-Uni.  Sans réglementation contraignante, il sera toujours préférable de démolir et reconstruire que de rénover.

La réhabilitation des bâtiments progresse, mais reste marginale. Le projet pédagogique « Ressources » en France en est un exemple[22]. Conscients des enjeux écologiques, des jeunes architectes en formation veulent changer de modèle et sortir du réflexe constructif du métier pour privilégier la réhabilitation. Cette tendance a influencé l’offre pédagogique de certaines écoles qui accordent à présent plus de place au « développement durable ». Et certaines agences d’architecture, telle qu’Aïno[23] en France, refusent désormais des projets de constructions neuves pour se consacrer à 100% à la réhabilitation. Selon eux, la prise en compte de l’existant et du local est l’avenir de la profession d’architecte.

En lien direct, le réemploi prend aussi de plus en plus de place dans le secteur. Les entreprises Opalis et Rotor DC en sont de bons exemples. La première propose un annuaire des opérateurs professionnels qui vendent des matériaux de construction issus du démontage d’anciens bâtiments. La seconde est une société coopérative qui démonte, reconditionne et revend des matériaux issus de bâtiments en cours de transformation ou démolition. Le concept de « mine urbaine » fait sens dans le secteur de la construction. Il s’agit de voir la ville comme un gisement de ressources prêtes à être réutilisées en fin de vie. Dans un sens, tous les matériaux sont susceptibles d’être récupérés et réutilisés, cela dépend surtout du temps qu’on est prêt à consacrer à leur reconditionnement. L’on en arrive à la question de la rentabilité. Paradoxalement, les matériaux secondaires ne rivalisent pas avec des matériaux neufs aujourd’hui. En effet, les étapes de la collecte, du transport, du reconditionnement, du stockage, etc. représentent un coût en temps et en main d’œuvre. Pourtant, les matériaux issus du réemploi permettent « 90% d’économie carbone[24] » explique Noé Basch de la société Mobius, active dans ce domaine. Ce gain écologique devrait être avantagé ! Le régulateur devrait encourager le secteur de la seconde main.

Pour faciliter le réemploi, comme dans d’autres secteurs (électronique par exemple), les choses doivent être pensées dès le moment de la construction (conception). Il faudrait idéalement que les matériaux et leur assemblage/montage soient pensés de sorte qu’ils puissent ensuite être facilement récupérés. Plus loin encore, l’idée d’un passeport des matériaux est dans l’air également, c’est-à-dire une sorte de gigantesque base de données identifiant l’emplacement des matériaux, leur fin de vie, etc., comme une sorte de cadastre minier géant, dans le but de penser et planifier le réemploi du futur.

Des embryons de ces différentes initiatives existent déjà[25], mais peinent à se généraliser tant que les logiques financières actuelles continuent à prévaloir. Un changement des pratiques et des mentalités doit avoir lieu et intégrer la question des impacts écologiques et de la gestion des ressources dans le secteur de la construction.

Les low tech comme inspiration ?

En prenant un peu de recul, on peut mettre en avant des cadres théoriques à même de guider les grandes orientations de la société, que ce soit dans le domaine de la construction, des villes ou encore des choix techniques et technologiques. Les notions de sobriété, low tech ou encore de maintenance en seraient les lignes directrices.

À ce sujet, le dernier numéro du magazine d’Usbek et Rica pose une question centrale : « faut-il encore innover ? » et propose d’entrer dans l’ère de la maintenance. Plutôt que de toujours construire du neuf et innover, tâchons plutôt de prendre soin de l’existant, de lui re-donner de la valeur, d’entretenir nos biens matériels pour les faire durer. Cela concerne également nos bâtiments et nos infrastructures.

Les réflexions sur une ville low tech[26] nous semblent aller dans le même sens. Conscients de l’urgence écologique de réduire notre consommation d’énergie et de ressources, nous devons faire le choix de produire/construire avec discernement. Réfléchissons nos vies en termes de simplicité, d’économie et de convivialité plutôt qu’à coups de smart cities high tech, dépendantes et vulnérables.  Un rapport récent du Labo d’économie sociale et solidaire expose les liens évidents entre la philosophie low tech et l’économie sociale et solidaire. Toutes deux développent une approche centrée sur les besoins des territoires, visent une plus grande autonomie et s’engagent pour une société durable. Ces pistes gagneraient à être explorées par nos décideur·euse·s politiques.

Géraldine Duquenne.


[1] L’autre moitié se compose de 10,1 milliards de tonnes de minerais métalliques, 15,1 milliards de tonnes de combustibles fossiles et 24,6 milliards de tonnes de cultures et arbres.

[2] https://www.theguardian.com/environment/2020/jan/22/worlds-consumption-of-materials-hits-record-100bn-tonnes-a-year

[3] Voir le rapport « Perspectives des ressources mondiales » de l’International Group Panel de l’ONU, 2019

[4] Il s’agit des métaux (10%), des autres minerais (9%), du bois (3%) et des plastiques (2%). Les carburants, les aliments et les produits chimiques ne sont pas inclus. Chiffres issus du rapport « L’efficacité des ressources face au changement climatique » de l’International Resource Panel, ONU, 2020

[5] Pour en savoir plus, lire l’étude de Justice et Paix « Ressources limitées, conflits interminables ? » dont un chapitre est consacré au sable.

[6] Dite « Qu’est-ce qu’on fait ? », Attention : Ressources naturelles sous haute tension !

[7]http://www.confederationconstruction.be/Portals/28/Cellule%20dechets/R%C3%A9utilisation%20R%C3%A9emploi/Guide_reemploi_materiaux_lecture_2013.pdf

[8]https://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/27140/Global_Status_2018.pdf?sequence=1&isAllowed=y

[9] https://www.rtbf.be/article/cop26-quel-est-limpact-du-secteur-de-la-construction-sur-les-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-10868512

[10] Le béton se compose de sable, de graviers et d’un peu de ciment. La fabrication du ciment se fait à partir de calcaire qu’il faut chauffer à très hautes températures (1450°C). Cette dépense énergétique engendre d’importantes émissions de CO2.

[11] https://www.chathamhouse.org/2018/06/making-concrete-change-innovation-low-carbon-cement-and-concrete

[12] Rapport du Shift Project, « Décarboner la filière ciment-béton », janvier 2022

[13] Ibid

[14] https://www.un.org/fr/chronicle/article/relever-le-defi-de-lurbanisation-durable

[15] https://www.iew.be/wp-content/uploads/2019/12/DossierIEW_StopBeton.pdf

[16] Ibid

[17] Voir plus loin dans le dossier d’IEW « Stop Béton » page 81

[18] https://statbel.fgov.be/fr/themes/environnement/dechets-et-pollution/production-de-dechets

[19] https://environnement.brussels/lenvironnement-etat-des-lieux/rapports-sur-letat-de-lenvironnement/synthese-2011-2012/dechets-1

[20] https://www.rtbf.be/article/dechets-de-construction-la-pollution-cachee-9883385

[21] Cité dans un article de la RTBF, « COP26, quel est l’impact du secteur de la construction sur les émissions de gaz à effet de serre ? »

[22] https://magazine.usbeketrica.com/fr/et-si-on-arretait-d-innover-bienvenue-dans-l-age-de-la-maintenance/la-nouvelle-generation-ne-veut-plus-construire-en-beton

[23] https://www.atelier-aino.com/

[24] https://magazine.usbeketrica.com/fr/et-si-on-arretait-d-innover-bienvenue-dans-l-age-de-la-maintenance/place-a-la-seconde-main-avec-les-plateformes-de-reemploi

[25][25] https://www.rtbf.be/article/et-si-la-ville-etait-une-mine-le-reemploi-progresse-dans-le-secteur-de-la-construction-10923817

[26] Pour aller plus loin, voir le plaidoyer de Justice et Paix « Pour une commune low tech » ou encore le rapport « Pour des métropoles low tech et solidaires » du Laboratoire de l’économie sociale et solidaire.

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