L’industrie minière à la conquête des fonds marins : un nouvel eldorado ?

Les industries extractives, en particulier l’exploitation minière, ont récemment connu une résurgence par le biais de la transition vers une « énergie verte ». Celle-ci risque pourtant d’aggraver les inégalités mondiales. Les voitures électriques et la mobilité en général, ainsi que les nouveaux systèmes de batteries et de stockage de l’énergie, entraînent déjà une augmentation des activités minières partout dans le monde. C’est la conséquence d’une transition guidée par les valeurs du marché et du profit et qui laisse souvent la justice sociale et environnementale de côté. Le problème dépasse largement la question de l’exploitation minière ou des industries extractives. Il réside notamment dans une vision économique extractiviste de la nature.

Dans le cadre de la transition écologique, les industries minières n’entendent pas s’arrêter aux sols et sous-sols ; elles partent désormais à la conquête des océans et des fonds marins. Mais à quel prix en termes d’impact sur les écosystèmes sous- marins ?

Puiser dans les fonds marins pour satisfaire l’appétit croissant en minerais

La transition vers les énergies renouvelables nécessite de grandes quantités de métaux et de minerais, ce qui conduit à un vrai boom minier. Selon un rapport de la Banque mondiale publié en 2020, la production de minerais, tels que le graphite, le lithium et le cobalt, augmentera de près de 500 % d’ici à 2050 pour répondre à la demande croissante de technologies énergétiques dites « propres ».

Cette demande croissante conjuguée à la pénurie des minerais sur Terre pousse l’industrie minière à se lancer dans de nouvelles voies d’exploration, notamment l’espace et les grands fonds marins. Plusieurs Etats européens détiennent des licences d’exploration dans les eaux internationales avec des intentions d’exploitation envisagées dès 2023. D’autres pays côtiers prévoient d’exploiter leurs plateaux continentaux. Mais qu’en est-il des normes juridiques qui régissent ces nouveaux projets ? Un cadre normatif est déjà mis en place par rapport à la gouvernance des grands fonds marins, même si un certain flou juridique persiste.

La référence légale qui régit les océans est la Convention des Nations –Unies sur le droit de la mer signée en 1982. Celle-ci distingue différentes zones d’exploitation : les eaux territoriales, la zone économique exclusive (ZEE), le plateau continental, la haute mer et « la Zone » (« the Area ») qui fait référence à la portion de fonds marins exempte de toute souveraineté ou de tout droit d’exploitation. Ce concept a été conçu pour garantir la protection de l’environnement. La Zone est définie comme faisant partie de « l’héritage partagé de l’humanité ».

La présence de différents métaux cruciaux pour ces industries justifierait cette quête. Plus précisément, on évoque trois types de métaux[1] :

  • les nodules polymétalliques, qui sont des « cailloux » sur le fond marin contenant du cuivre, du cobalt, du manganèse, du nickel, etc. ;

  • les encroûtements cobaltifères ;

  • sulfures polymétalliques qui rejettent différents métaux dans l’eau.

On assiste donc à une nouvelle « ruée vers l’or », mais cette fois-ci dans les fonds de nos océans. Parmi ceux-ci, la zone de Clarion-Clipperton, située dans l’océan Pacifique, abondante en nodules polymétalliques, attise la convoitise de nombreuses entreprises minières parfois parrainées par des États.

La question se pose alors : quelle est l’institution qui sera la gardienne de nos grands fonds marins et qui s’assurera que ces entreprises minières respectent les standards internationaux en matière d’exploration des abysses, ainsi que les engagements pris par rapport au respect de l’environnement et de la vie sous-marine ?

Autorité Internationale des Fonds Marins : gardienne des fonds marins ?

L’exploration et l’exploitation des ressources minérales dans la « Zone » est régie par l’Autorité Internationale des Fonds Marins (AIFM), fondée en 1994 sous l’égide de l’ONU. Il s’agit d’un organisme intergouvernemental autonome « mandaté en vertu de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer pour organiser, réglementer et contrôler toutes les activités liées aux minéraux dans la zone internationale des fonds marins dans l’intérêt de l’humanité dans son ensemble ».[2]

L’AIFM est également chargée d’accorder des permis d’exploration et d’exploitation des ressources minérales dans la zone internationale des fonds marins : « l’exploration et l’exploitation des minéraux des fonds marins dans la Zone ne peuvent être entreprises que dans le cadre d’un contrat avec l’Autorité internationale des fonds marins et en étant soumises à ses règles, à ses réglementations et à ses procédures. Les contrats peuvent être conclus à la fois avec des entreprises minières publiques et privées à condition qu’elles soient parrainées par un État partie à la Convention et remplissent certains critères en matière de capacités technologiques et financières »[3]

AIMF a accordé 22 contrats d’exploration à des États (Gouvernement de la Corée du Sud, Gouvernement indien, Ministère des Ressources Naturelles de la Russie) ainsi qu’à de nombreux acteurs privés issus d’États européens[4]

Au niveau des contractants européens, il y a 9 licences d’exploration qui ont été émises et cela inclut : 

  • 2 entreprises privées : GSR (Belgique) et UK Seabed Resources Ltd sponsorisés respectivement par la Belgique et le Royaume Uni ;
  • 2 agences publiques : l’Institut Français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER) et l’Institut Fédéral allemand pour les géosciences et les ressources naturelles (BGR) ;
  • Le gouvernement de Pologne ;
  • Un consortium intergouvernemental IOM : the Interoceanmetal Joint Organization) composé de la Bulgarie, de la Pologne, la République Tchèque, la Slovaquie, le Cuba et la Russie.

On constate donc qu’il s’agit d’une poignée de gouvernements de pays industrialisés et des entreprises privées issues de ces pays qui ont la mainmise sur l’exploration de « l’héritage partagé de l’humanité » que constituent les grands fonds marins. 

“Brebis mal gardée du loup est tôt happée”

Composée de 167 États membres et de l’Union européenne, l’Autorité Internationale des Fonds Marins a le devoir d’assurer la protection efficace du milieu marin contre les effets nocifs pouvant découler des activités liées à l’exploration et l’exploitation des grands fonds marins.

Plusieurs Etats européens sponsorisent des contrats d’exploration auprès de l’AIFM : la Belgique, la Bulgarie, la République Tchèque, la Slovaquie, la Pologne, la France, l’Allemagne et le Royaume Uni. Selon un rapport publié par Seas at Risk l’année dernière, d’autres pays ont signalé leur intérêt potentiel pour l’exploitation minière en eaux profondes sur leurs plateaux continentaux ou ont des entreprises qui participent de manière significative au développement de la technologie d’exploitation minière en eaux profondes. Il s’agit de l’Italie, la Norvège, le Portugal, l’Espagne et les Pays Bas.

Des voix critiques s’élèvent pour interroger les actions de l’Autorité des Fonds Marins et son manque de transparence notamment. Dans un rapport publié en 2020, Greenpeace pointe du doigt le fait que l’organisme de réglementation du secteur « ait constamment donné la priorité au développement de l’exploitation minière en eaux profondes plutôt qu’à a préservation de l’océan profond ».

D’autres reproches portent sur la mainmise d’une poignée d’acteurs issus des pays du Nord qui ont obtenu ces licences d’exploitation alors que ce sont en général les petits pays insulaires du Sud qui seraient les premières victimes directes d’une telle exploitation, comme le démontre Greenpeace : « Près d’un tiers des contrats d’exploration dans les fonds marins internationaux impliquent des entreprises privées dont le siège social se trouve en grande partie dans le Nord global ». Ce sont ces pays qui subiront les impacts concrets de ces activités, sur l’environnement, leurs ressources économiques (telle que la pêche, indispensable pour la survie de nombreuses populations côtières).

Enfin, Greenpeace relève dans son analyse le manque crucial de transparence, le rôle important que joue de puissants lobbys du secteur privé dans la prise de décision au niveau des instances de l’AIMF. Celle-ci évoque en même temps les enjeux financiers qui se trament et se négocient en coulisses.

Et l’Union européenne dans tout cela ?

D’un point de vue géologique, des nodules polymétalliques, des encroûtements cobaltifères et des sulfures polymétalliques sont présents dans les eaux européennes, comme l’indique le rapport « The EU blue economy » publié en 2021 par la Commission européenne[5].  

D’un point de vue législatif, différentes options sont sur la table européenne.

En 2018, le Parlement européen a appelé à un moratoire sur l’exploitation des minerais des fonds marins jusqu’à ce que les conséquences environnementales sur la biodiversité et sur les activités humaines de cette industrie puissent être bien évaluées et pas avant que tous les risques aient été compris.

Quant à la Commission UE, elle a adopté en 2020 la « Stratégie en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030 » fixant des objectifs à atteindre d’ici 2030 et qui constitue le premier pas vers la mise en place d’un moratoire sur l’exploitation des grands fonds marins. La proposition de la Commission européenne vise à soutenir le Pacte Vert européen (« Green deal ») et sa promesse de « do no harm »[6]

Toutefois, le Plan d’Action sur les Matières Premières Critiques publié en 2020 par la Commission européenne soulève l’épineuse question de leur approvisionnement responsable et d’autonomie stratégique. Ces matières critiques sont indispensables à la transition énergétique que l’UE clame haut et fort. Le concept même de « croissance verte » mélangé à toutes les sauces est en soi problématique. En effet, il se base sur un modèle de développement et une croissance effrénée qui ne prennent pas en compte les limites en ressources naturelles qu’on commence petit à petit à atteindre au niveau mondial. Le rapport publié par Seas at Risk précédemment mentionné est explicite à cet égard : « si tous les habitants de la planète consommaient comme un citoyen européen moyen, 2,6 planètes seraient nécessaires pour alimenter la surconsommation qui en résulte et absorber les déchets qui en découlent. Le paradoxe est d’autant plus interpellant que malgré les réserves limites, les métaux au lieu d’être recyclés, sont déversés sous forme de déchets électriques et électroniques, alimentant ainsi une spirale destructrice. Le « urban mining »[7] n’est pas encore là. En s’attaquant aux grand fonds marins et sans mettre davantage l’accent sur le recyclage, on ne ferait que nourrir cette spirale destructrice de la surconsommation des métaux » 

Les acteurs européens rejoints par d’autres entreprises internationales telles que Google, BMW, Volkswagen, Renault, Samsung plébiscitent un moratoire sur l’exploitation des grands fonds marins. Une liste exhaustive de ces acteurs a été publiée par la Coalition pour la conservation des grands fonds marin. Plus de 600 scientifiques leur ont emboîté le pas également.

Quelle responsabilité pour la Belgique dans l’exploration des grands fonds marins ?

La Belgique a adopté sa législation sur l’exploitation minière des fonds marins le 17 août 2013. Une révision de cette loi est discutée actuellement au niveau fédéral.

Quant au secteur privé, l’entreprise belge Global Sea Mineral Resources (GSR) a une licence d’exploration de nodules polymétalliques dans les grands fonds marins de la zone de Clarion-Clipperton (l’Océan Pacifique) depuis 2013. GSR a mis au point et testé le collecteur de nodules « Patania II » et se concentre actuellement sur le développement du prototype réel pour récolter les nodules de cette zone, entre 3500 et 5500 mètres de profondeur. L’entreprise a l’intention de demander un permis d’exploitation d’ici 2025. En outre, la Belgique sponsorise ce contrat d’exploration par GSR, filiale de l’entreprise de dragage DEME qui a elle-même réalisé un chiffre d’affaires de 3,6 milliards d’euros en 2021.

Au niveau politique, on met l’accent sur la nécessité de soutenir la recherche scientifique sur les fonds marins. Plus précisément, l’accord de gouvernement contient le passage suivant : « La recherche scientifique et la collecte de données concernant l’exploitation minière des grands fonds marins sera davantage soutenue. La Belgique, en effet, veillera, en participant aux réunions internationales, au respect de la législation environnementale et du principe de précaution ».

Tout en soutenant l’exploration minière des fonds marins, le gouvernement belge prétend être un leader dans la protection d’océan. Cependant, bien qu’un appel au moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins ait été lancé par le Parlement européen en 2018, la Belgique ne l’a pas encore soutenu. Fin 2019, l’opposition a déposé une proposition de résolution visant à instaurer un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins au niveau belge. Après une audition au Parlement fédéral, la résolution n’a finalement pas été votée.

En outre, la motion 069, présentée au congrès de l’Union internationale pour la Conservation de la Nature (IUCN) en septembre 2021, appelle à un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins. Parmi les gouvernements et les agences gouvernementales, 81 ont voté pour le moratoire, 18 contre et 28 se sont abstenus. Les 2 agences gouvernementales belges présentes ont voté contre.

Dans les années à venir, des négociations cruciales sont prévues au sein de l’Autorité Internationale des Fonds Marins pour parvenir à un règlement sur l’exploitation des fonds marins, un sujet d’importance stratégique sur le plan environnemental et économique. La Belgique est attendue sur ce terrain.

Quel impact sur l’environnement ?

De nombreuses incertitudes demeurent notamment en ce qui concerne l’impact sur l’environnement de cette potentielle industrie liée à l’exploitation des fonds marins, comme le démontre un rapport publié l’année dernière par WWF. Etant donné que l’on en sait moins sur les fonds marins que sur la surface de la Lune, les conséquences d’une telle activité seraient potentiellement catastrophiques, entraînant notamment la perte directe d’espèces uniques bien avant même que celles-ci n’aient pu être « découvertes ».

Des questions émergent quant à la reconstitution des nodules polymétalliques qui mettraient des millénaires à se constituer. Afin d’amortir les coûts d’investissement, l’exploitation des fonds marins se ferait en permanence 7j/7, 24h/24. Là encore, un problème se pose par rapport à la constante pollution lumineuse et sonore subie par les espèces marines.

Les sédiments marins seront aussi aspirés dans ce processus, y compris la microfaune qui y réside et que l’on ne connaît toujours pas assez. Les différents appareils d’exploration utilisés (exemple : Patania) créeraient une vague de sédiments issus de la fouille des fonds marins ainsi qu’une modification de leur morphologie, tous deux susceptibles d’entraîner des changements dans les courants marins avec, sur le long terme, une capacité réduite de l’océan à atténuer le changement climatique.

On constate donc qu’on a à faire à des méthodes d’exploration et potentiellement d’exploitation qui sont assez délétères et bien trop radicales que pour nous permettre de les accepter sans nous interroger sur leurs impacts environnementaux. 

Pistes d’action pour garantir la protection des grands fonds marins

D’abord, il convient de s’interroger si l’exploitation des grands fonds marins est vraiment indispensable à notre société alors qu’on pourrait plutôt réduire notre consommation de minerais et favoriser l’économie circulaire. Si exploitation des fonds marins il y a, elle devrait être régulée par la connaissance scientifique et projetée dans un débat public préalable et informé.

Il faudrait également cesser de financer les technologies d’exploitation minière en eaux profondes et soutenir plutôt la recherche fondamentale sur le rôle et la fonction des écosystèmes des eaux profondes, étudier leur contribution au stockage du carbone et à la régulation des processus planétaires et investir davantage dans l’innovation, le recyclage et la réparabilité.

Quant à nous, simples consommateurs, on pourrait recycler nos vieux téléphones et ordinateurs, réduire leur consommation et revoir notre manière de consommer en général. Faisons le lien avec nos responsables politiques : questionnons- les sur ce sujet épineux et exigeons des engagements forts.

Larisa Stanciu.


[1] Mathot Claire, Etude Commission Justice et Paix : Ressources limitées, conflits interminables, p. 17

[2] Site AIFM :  https://www.translatetheweb.com/?from=&to=fr&dl=en&a=https%3A%2F%2Fisa.org.jm%2F#

[3] https://www.un.org/fr/chronicle/article/lautorite-internationale-des-fonds-marins-et-lexploitation-miniere-des-grands-fonds-marins

[4] Site AIFM : https://www.isa.org.jm/exploration-contracts

[5] European Commission, Directorate-General for Maritime Affairs and Fisheries, Addamo, A., Calvo Santos, A., Carvalho, N., et al., The EU blue economy report 2021, Publications Office, 2021, p.114 https://data.europa.eu/doi/10.2771/5187

[6] Ou “ne pas blesser”, en français. Formule déclarative appelant à la prudence dans les nouvelles orientations stratégiques.

[7] « L’urban mining » consiste à extraire des matériaux bruts qui se trouvent dans les déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE).

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