L’impact des conflits armés sur l’environnement, justice climatique et actions éco-solidaires

Les conflits armés, qu’ils soient internes ou internationaux, ont un coût humain et environnemental considérable. Outre les pertes en vies humaines et les déplacements massifs de populations qu’ils peuvent causer, ces conflits ont un impact majeur sur les écosystèmes. Les dégradations de l’environnement causées par les conflits contribuent de manière significative au dérèglement climatique mondial. Cette situation soulève notamment la question du partage des responsabilités climatiques entre les nations industrialisées encore en course de croissance au Nord (principaux producteurs d’armes et munitions) d’une part et les nations économiquement faibles du Sud de l’autre. 

Crédit : Comet Photo AG (Zürich)_ Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International

Les activités militaires, telles que les bombardements et l’utilisation d’armes, peuvent détruire des habitats naturels, des forêts, des cours d’eau, et même perturber la faune et la flore. Ces activités à travers les déversements de produits chimiques et de déchets entraînent également des pollutions.. Les Mines terrestres, quant à elles, peuvent demeurer actives longtemps après la fin des conflits, empêchant la régénération des terres et présentant des dangers néfastes pour la faune et la flore. Notons aussi que les parties en guerre recourent, le plus souvent, à la surexploitation insoutenable des ressources naturelles pour financer leurs efforts de guerre. 

Conséquences des conflits armées 

Comme nous venons de le voir, les guerres produisent des conséquences dévastatrices sur les populations, les économies et les écosystèmes. Parmi ces effets, la contribution directe et indirecte à l’émission de gaz à effet de serre (GES (Gaz à Effet de Serre) est souvent sous-estimée. Voici comment ces émissions sont générées dans le contexte des conflits : 

Douze milliards de balles (environ deux pour chaque humain) sont produites chaque année. Personne ne veut être à court de munitions, et pour qu’on nous foute la paix. Ben Carmer 

Déplacement de populations :

Lorsqu’un conflit éclate, il entraîne souvent des déplacements massifs de populations. Celles-ci fuient les zones de guerre pour trouver refuge ailleurs. Ces mouvements aboutissent généralement à la création de camps de réfugiés. Dans ces camps, les ressources naturelles locales sont fortement sollicitées pour répondre aux besoins des réfugiés. Par exemple, les arbres sont abattus pour fournir du bois de chauffage, ce qui contribue à la déforestation. Or, les forêts jouent un rôle essentiel dans l’absorption du dioxyde de carbone, l’un des principaux gaz à effet de serre1

Destruction d’infrastructures : 

Les guerres et conflits entraînent souvent des destructions massives d’infrastructures, allant des bâtiments aux routes en passant par les ponts et les usines. La reconstruction de ces infrastructures nécessite des matières premières comme le ciment et l’acier. Leur production est énergivore et génère des émissions importantes de GES. Par exemple, la production de ciment est l’une des principales sources industrielles d’émissions de CO22

Militarisation :

La production et l’utilisation d’équipements militaires nécessitent une grande quantité d’énergie. Par exemple, un char d’assaut peut consommer 40 fois plus de carburant qu’une voiture ordinaire3. Les opérations militaires, les mouvements de troupes, l’utilisation de véhicules et d’armes, ainsi que la production d’armements sont autant d’activités qui consomment d’énormes quantités de combustibles fossiles. 

De plus, l’industrie de l’armement elle-même est énergivore. Les usines produisant des équipements militaires fonctionnent souvent à plein régime lors des conflits, ce qui augmente leur consommation d’énergie et, par conséquent, leurs émissions de GES4

En résumé, bien que les guerres et les conflits soient avant tout connus pour leurs coûts humains et économiques, leur impact sur l’environnement, notamment en termes d’émissions de gaz à effet de serre, ne doit pas être négligé. La prise de conscience de cet impact peut contribuer à renforcer les arguments en faveur de la prévention des conflits et de la recherche de solutions pacifiques aux différends. 

Nous avons des missiles guidés, mais de gens égarés . Martin Luther King.

Dégradation environnementales invisibilisée consécutive aux conflits armés 

Quelques exemples de dégradation de l’environnement spécifiquement liés aux conflits :  

  • Guerre du Golfe (1990-1991) : L’un des incidents environnementaux les plus marquants a été l’incendie de puits de pétrole par les forces irakiennes lors de leur retraite du Koweït. Ces incendies ont libéré d’énormes quantités de suie et de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, affectant gravement la qualité de l’air et contribuant potentiellement au changement climatique5.  
  • « Agent Orange » pendant la guerre du Vietnam : Les États-Unis ont largué de l’Agent Orange, un herbicide, sur de vastes zones du Vietnam pour détruire la végétation et exposer les positions ennemies. Cette substance contenait de la dioxine, un composé hautement toxique qui a affecté des générations de Vietnamiens et a entraîné une déforestation massive6.  
  • Conflits en République démocratique du Congo : Les conflits armés ont souvent conduit à une exploitation minière illégale et non réglementée dans des zones écologiquement sensibles. Cela a non seulement dégradé l’environnement local, mais a également financé la poursuite des hostilités7 jusqu’à nos jours.  
  • Déplacements de populations : Les conflits peuvent déplacer des millions de personnes, les obligeant souvent à s’installer dans des zones où les ressources naturelles sont limitées. Cela peut entraîner une déforestation, un épuisement des ressources en eau et d’autres formes de dégradation environnementale. En ce qui concerne des chiffres précis, la quantification est difficile en raison de la variabilité des conflits et des méthodes de mesure. De plus, les conflits peuvent entraîner des conséquences environnementales indirectes, comme lorsque les systèmes économiques et sociaux d’un pays en guerre s’effondrent, conduisant à une mauvaise gestion des ressources bafouant les biens communs8
  • Pollution au plutonium en Andalousie : L’accident aérien du 17 janvier 1966 en Andalousie, où un Boeing B-52 de l’US Air Force transportant quatre bombes à hydrogène est entré en collision avec un tanker, a entraîné la chute de ces bombes. Bien que ces armes n’aient pas déclenché d’explosion atomique grâce à un dispositif de sécurité, elles ont dispersé une grande quantité de particules de plutonium dans l’atmosphère et le sol. La situation était d’autant plus préoccupante que l’Espagne, sous la dictature de Franco, n’avait alors aucun protocole pour les accidents atomiques. Bien que l’Espagne ait été en phase de développement de son programme nucléaire civil, la première centrale n’était prévue qu’en 1970, et la sécurité n’était pas une priorité. Des décennies plus tard, en 2015, un accord de décontamination a été signé entre les États-Unis et l’Espagne pour nettoyer ce désastre historique9
  • Guerre toxique en Ukraine :  Le PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement) a révélé l’impact environnemental dévastateur de l’invasion russe en Ukraine. Inger Andersen, Directrice exécutive du PNUE, a déclaré que la guerre est « toxique », avec de graves conséquences écologiques. Des milliers d’incidents, notamment des pollutions atmosphériques, de l’eau et du sol, ont été identifiés. Andersen a insisté sur l’importance de mettre fin à ces destructions pour la sécurité et la santé publique des Ukrainiens et des pays voisins. Après une visite en 2022, le PNUE appelle à un soutien accru pour évaluer les dommages. Le conflit a endommagé d’importantes infrastructures, entraînant des pollutions multiples et des risques pour la santé publique, tels que des explosions dans des installations agro-industrielles ou des déchets de bétail. Le nettoyage sera colossal, avec des débris mixtes, des incendies en zones protégées, et une pollution due à l’usage massif d’armes. 

La Justice climatique : Un défi mondial 

Les pays industrialisés ont historiquement été les principaux contributeurs aux émissions mondiales de GES10 en raison de leur industrialisation précoce. Cependant, les pays économiquement moins développés subissent souvent de manière disproportionnée les conséquences du réchauffement climatique. Les conflits armés dans le Sud peuvent être exacerbés par des facteurs environnementaux, notamment les sécheresses et les pénuries d’eau, qui sont liés au changement climatique. Cela crée un cercle vicieux de conflits, d’impact environnemental et les migrations. 

Comment atténuer les impacts et promouvoir la Justice climatique ? Les nations du Nord peuvent jouer un rôle actif en réduisant les émissions de GES liées à l’armée, en encourageant des pratiques de désarmement plus durables et en fournissant une assistance environnementale post-conflit. Elles peuvent en outre, promouvoir le développement durable dans les régions touchées par les conflits pour contribuer à la résilience environnementale et aider à prévenir les conflits futurs liés aux ressources naturelles. 

Nous estimons que la communauté internationale doit adopter une approche équitable pour la répartition des responsabilités climatiques. Elle doit tenir compte des contributions historiques et des vulnérabilités actuelles des pays et investir dans la prévention des conflits et la médiation. Cela contribuera à réduire de manière considérable les risques de déplacement de populations ainsi que les perturbations environnementales associées aux conflits. 

Actions pour minimiser les impacts des conflits armés sur l’écosystème  

Réduction des Émissions liées aux Conflits : 

Les pays industrialisés ont la responsabilité de réduire les émissions de GES liées aux conflits. Cela peut être accompli par la transition vers des technologies sécuritaires de moins en moins militarisées et plus respectueuses de l’environnement, telle la réduction de la dépendance aux carburants fossiles, et le développement de tactiques de guerre plus efficaces sur le plan énergétique. De plus, les pays du Nord peuvent investir dans la recherche et le développement des Low-Tech durables. L’utilisation des véhicules électriques sous réserve du respect des mesures de la « traçabilité11 » et du devoir de diligence, pourrait constituer une alternative. Encore faut-il se baser sur la certitude absolue de la disponibilité des infrastructures d’approvisionnement électriques durables pour les opérations militaires. 

Assistance environnementale post-conflit : 

Après la fin des conflits armés, les zones touchées sont souvent laissées avec des problèmes environnementaux graves. Les nations industrialisées du Nord peuvent fournir une assistance technique et financière pour la restauration de l’environnement dans ces régions, y compris la décontamination des zones polluées par des munitions non explosées et la restauration des écosystèmes endommagés. 

Promotion de la Justice climatique et du Développement durable : 

La notion de justice climatique souligne les disparités socio-économiques et environnementales qui existent entre les pays industrialisés (souvent qualifiés de pays du Nord) et les pays en développement (souvent qualifiés de pays du Sud). Ces inégalités questionnent le droit au développement industriel des pays en voie de développement, d’une part, et les responsabilités historiques et actuelles en matière d’émissions de gaz à effet de serre incombant aux les plus pays industrialisés, de l’autre. 

Les mesures adoptées lors des COP tiendront-elles compte des responsabilités historiques des pays industrialisés ? Ces nations sont sous pression afin de non seulement réduire significativement leurs émissions, mais aussi, afin d’aider les pays du Sud à s’adapter aux impacts du changement climatique12

Leur droit à se développer tout en s’adaptant aux défis climatiques actuels est une préoccupation majeure de la justice climatique13

La justice climatique plaide en faveur d’une compensation des pays du sud pour les sacrifices faits au nom de la préservation de l’environnement. Les pays du Nord, conscients de leur responsabilité historique, sont-ils prêts à soutenir financièrement les pays du Sud? Seront-ils globalement reconnus comme « gardiens des forêts » et autres écosystèmes cruciaux ? 

La justice climatique reste au cœur des négociations climatiques internationales. Il est impératif de trouver un équilibre entre le droit au développement industriel et la nécessité de préserver notre environnement. La COP28 et les conférences ultérieures joueront un rôle essentiel « d’éco-diplomatie » pour définir cet équilibre.  

Conclusion 

La crise climatique, complexe et multidimensionnelle, figure parmi les défis les plus colossaux de notre génération. Si le constat est alarmant, la Belgique, en concertation avec l’Union Européenne, possède un rôle pivot à jouer pour inverser la tendance. Les efforts antérieurs, quoique louables, ne parviennent pas à l’envergure des défis actuels, imposant une réévaluation profonde de nos stratégies. 

 Cette crise interagit étroitement avec d’autres problèmes mondiaux, comme les conflits armés et les inégalités Nord-Sud. Il s’avère ainsi primordial de reconnaître le rôle historique du Nord industrialisé, tout en s’assurant qu’il devient un partenaire constructif pour le Sud. Ceci inclut de fournir une aide adaptée, de promouvoir une exploitation durable des ressources et de militer en faveur d’une justice globale. 

 Pour façonner un avenir différent, la Belgique pourrait envisager les démarches suivantes : 

Collaboration renforcée : Intensifier les interactions avec les organisations internationales et les organisations de la société civile (OSCs), mettant ainsi la paix et la solidarité au cœur des préoccupations. 

 Éducation à la paix : Élaborer un curriculum national qui inculque, dès le plus jeune âge, des valeurs de paix, de tolérance, et de compréhension mutuelle. Ce curriculum évoluerait avec le temps et les besoins sociétaux. 

Innovation et Recherche : Miser sur des innovations technologiques et sociales qui promeuvent la paix, tout en évitant des solutions militarisées. Favoriser les financements en R&D centrés sur la médiation, la diplomatie et la communication interculturelle. 

Régulation des armements : Prendre la tête des initiatives visant à réguler, voire éliminer, certains types d’armes. Mettre en avant des mécanismes de vérification et de confiance pour garantir le respect des accords. 

Soutien à la société civile : Renforcer les capacités des organisations non gouvernementales, des groupes de réflexion, et d’autres entités qui œuvrent pour la paix et la justice sociale. 

Face à cette situation, la Belgique et l’Europe, en allant au-delà de simples déclarations, doivent traduire leur engagement en actions tangibles. Les solutions à ces problématiques existent et exigent une vision holistique, considérant tous les niveaux d’action : local, régional et mondial. 

 La Belgique, en synergie avec l’UE, est idéalement positionnée pour catalyser ces transformations. Nous possédons la richesse, les compétences, et l’influence pour être à l’avant-garde de ce mouvement. Pourtant, la vraie force motrice réside dans la volonté collective des citoyen·e·s. En soutenant activement ces initiatives et en exigeant des décideurs politiques une action audacieuse, ils peuvent non seulement atténuer l’impact de la crise climatique, mais aussi forger un avenir empreint d’équité, de durabilité et de paix. 

Pour finir, cette crise est aussi une opportunité. Une opportunité de repenser notre relation avec l’environnement, de redéfinir nos engagements envers la paix mondiale et de construire un monde plus juste, équilibré et durable pour tous. Seul un effort conjoint, alliant volonté politique, action citoyenne de la Société civile et coopération internationale, nous permettra d’espérer un avenir harmonieux pour notre planète et ses habitants. 

Références bibliographiques : 
  1. Guerre et paix ??? et écologie : les risques de militarisation durable, Éditions Yves Michel, Paris 1014 
  1. IPCC. (2018). Global Warming of 1.5°C. Special Report. 
  1. Le Billon, P. (2001). The Political Ecology of War: Natural Resources and Armed Conflicts. Political Geography, 20(5), 561-584. 
  1. Scheffran, J., et al. (2012). Climate Change and Violent Conflict. Science, 336(6083), 869-871. 
  1. United Nations. (2020). The Impact of War on the Environment. United Nations Environment Programme (UNEP) Report. 
  1. Victor, D. G., & Runge, C. F. (2007). Global Warming and Global Politics. In Oxford Handbook of Climate Change and Society (pp. 124-138). Oxford University Press. 
  1. UNDP. (2021). Environmental Dimensions of Armed Conflict. United Nations Development Programme (UNDP) Report. 

1Wallensteen, P. « Quality Peace: Peacebuilding, Victory and World Order ». Oxford University Press (2015).  

  1. 1 Anderson, B., & J. M. Shine. « Military technology and the environmental impact of war ». The Routledge Handbook of War and Society (2015). 
  1. Pugh, M. « Post-war reconstruction in Europe ». International Journal of Post-war Reconstruction and Development (2018). 
  1. International Committee of the Red Cross. « Guidelines for Military Manuals and Instructions on the Protection of the Environment in Times of Armed Conflict » 2001 
  1. Brock, L., & A. Dunay. « The environment and international security ». The European Institute for Security Studies (2018) 
  1. Duffield, M. « Global governance and the new wars: The merging of development and security ». Zed Books (2001). 

Patrick Balemba Batumike.

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