L’or bleu, sera-t-il le nouvel enjeu de conflits ?

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L’accès à l’eau, élément fondamental et vital pour l’homme après l’oxygène est un droit inaliénable et universel. De plus en plus rare, la gestion de l’or bleu dans le monde nécessite des actions multilatérales et globales de plus en plus concertées.


Chacun de nous l’utilise et la consomme quotidiennement, plusieurs fois par jour et, peut-être, sans s’en rendre compte par habitude et par insouciance; parfois elle semble invisible et négligée et devient au final presqu’un détail. Cette eau dont nous jouissons à chaque instant de notre vie est l’élément le plus nécessaire après l’oxygène. Les effets du changement climatique et de la pollution par des déchets en font une ressource stratégique. Mais sa rareté projetée la replace comme un des enjeux de potentielles graves tensions à travers le monde.

Par son encyclique « Laudato Si’», le Pape François invite toutes les personnes à prendre soin de la terre comme de notre « Maison commune », cette dernière est menacée par l’humain qui se veut maître du monde. Il en contrôle toute la dynamique et possède tous les droits mais résiste à assumer les responsabilités de sa mission primordiale de gardien qui pourrait dès lors lui incomber.

L’eau est un élément fondamental et précieux. Elle est un bien vital [1]Après l’oxygène l’eau est un bien vital. Un homme peut vivre cinq semaines sans manger mais seulement 3 à 4 jours sans boire. bien qu’on ait tendance à le négliger. Sur Terre, 97,5 % de l’eau disponible est salée et impropre à la consommation. Elle est contenue dans les océans. Seuls 2,5 % sont constitués d’eau douce [2]Du point de vue de la salinité, une eau douce est une eau dont la salinité est inférieure à 0,5. , soit environ 35,2 millions de milliards de mètres cubes. Dans le monde 3 personnes sur 10 n’ont pas accès à des services d’eau potable.

Bien que sa quantité semble donner l’illusion parfaite d’une ressource infinie, de nos jours, 70 % de l’eau douce est consacrée à l’agriculture, 20% à l’industrie dont les 2/3 est consommée pour refroidir les réacteurs nucléaires et seuls les 10% restants servent pour les besoins quotidiens de l’Homme. Les grandes entreprises mondiales sont accusées également de contribuer conséquemment au « stress hydrique » selon une étude du CDP[3]CDP est un organisme de bienfaisance sans but lucratif qui gère le système mondial de divulgation (pour investisseurs, les entreprises, les villes, les États et les régions) afin de gérer leurs … Continuer la lecture (Disclosure Insight Action).

Aujourd’hui encore, des millions de personnes à travers l’Europe restent encore sans accès à des services d’assainissement collectif, de nombreuses coupures d’eau s’observent, et les tarifs de l’eau potable ne cessent d’augmenter en Belgique et partout dans le monde.

« Le pourcentage de la population mondiale privée d’’accès à des services de base d’approvisionnement en eau potable a été divisé par deux, passant ainsi de 19 % en 2000 à 10 % en 2017. Cette proportion, diminuée dans toutes les régions priorisée par les « Objectifs de Développement Durable » (ODD en sigle). En 2017, 90 % des 785 millions de personnes qui avaient encore un accès précaire aux services, qui utilisaient des points d’eau non améliorés ou qui puisaient dans des eaux de surface, se concentraient dans trois régions du monde à savoir l’Afrique subsaharienne (400 millions), l’Asie de l’Est et du Sud-Est (161 millions) et l’Asie centrale et du Sud (145 millions). Plus de la moitié des 144 millions de personnes qui collectaient encore de l’eau directement dans les cours d’eau, les lacs ou les étangs vivaient en Afrique subsaharienne » [4]Progrès en matière d’eau, d’assainissement et d’hygiène des ménages 2000-2017. Gros plan sur les inégalités. New York, Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et Organisation … Continuer la lecture.

L’eau : un bien commun et un droit fondamental (ODD 6) L’accès à l’eau est un enjeu mondial majeur pour les populations, que ce soit en termes de santé, d’alimentation ou de lutte contre les inégalités. Il s’agit de l’un des 17 objectifs considérés comme prioritaires pour permettre un développement durable au niveau mondial. L’eau doit demeurer un patrimoine public accessible à toutes et tous [5]Galland F., Le grand jeu. Chroniques géopolitiques de l’eau, CNRS, Paris, 214..

Ainsi, les Etats du monde doivent garantir l’accès à l’eau à chaque individu et à des conditions qualitatives, quantitatives et à des coûts acceptables. C’est pour cela que le Pape François adopte une réflexion globale sur les enjeux contemporains. Il aborde ainsi les questions les plus concrètes de la vie ordinaire tant au niveau structurel que de la manière dont elles se traduisent dans le quotidien des populations. Cela s’illustre par différentes questions liées à la problématique de la privatisation de l’eau alors que celle-ci est un bien commun ; les questions de prise de conscience de la responsabilité du sort commun de l’humanité. Il borde aussi les questions éducative et Culturelle pour affronter les défis de la paix et de justice la mondiale.

L’eau est un « bien commun », et ne doit pas être commercialisable. Son accès est un droit inaliénable. Dans nos villes et nos campagnes, comme dans le monde entier, le droit à l’eau, comme tous les droits humains [6]L’Assemblée a adopté par 122 voix pour et 41 abstentions un projet de résolution, présenté par la Bolivie, sur le droit fondamental à l’eau et à l’assainissement (A/64/L.63/Rev.1) dans … Continuer la lecture, est fondé sur la dignité humaine et non sur des évaluations purement quantitatives prenant l’eau comme un bien économique. Sans eau, la vie est menacée. Par conséquent, le droit à l’eau est un droit universel et inaliénable.

Après 15 ans de débats, l’Assemblée Générale de l’ONU a reconnu l’accès à une eau de qualité et à des installations sanitaires comme « un droit fondamental de l’homme, indispensable à la pleine jouissance du droit à la vie ».
En effet, pour la justice sociale et pour réduire les risques de conflits futurs, la gestion de l’eau doit être remise entre les mains des citoyen·ne·s en interaction avec leurs communautés locales, afin de garantir sa conservation pour la transmettre aux générations futures.

Le stress hydrique comme menace pour la paix

Au-delà de l’échelle individuelle, avec les questions d’accessibilité et de droit fondamental qu’elle soulève, l’eau représente également un enjeu collectif de paix et de sécurité.

La 9ème édition du Forum mondial de l’eau, qui aura lieu en mars 2022 à Dakar, se concentrera sur cette lecture de la thématique. Ce forum sur « la sécurité de l’eau pour la paix et le développement » devrait permettre aux professionnels et aux responsables politiques de réfléchir à des solutions pour répondre aux problèmes de l’eau du XXIe siècle et formuler des propositions concrètes pour les porter à l’attention du monde.

On parle de stress hydrique lorsque la planète subit des agressions de sécheresse, de salinisation et de refroidissement qui se caractérisent par une évaporation au-delà de l’évaporation normale. Cela est aussi le cas de toute région qui tend à consommer une quantité d’eau supérieure au stock disponible. Ce peut être dû aux besoins industriels ou agricoles grandissants ou à l’épuisement des nappes phréatiques (ce qui engendre aussi comme conséquence l’exposition de la croûte terrestre au danger de séismes). Bien qu’elle soit une ressource essentielle, l’accès à l’eau est de plus en plus menacé par la pression démographique et les besoins industriels ou agricoles.

Au Moyen-Orient : Dans cette région du monde, les conditions climatiques et hydriques sont parmi les moins favorables de la planète. Les deux grandes sources, le Tigre et l’Euphrate, se retrouvent surexploitées par la Syrie, la Turquie et l’Irak (des Etats fortement peuplés) qui ont construit des barrages et canaux afin d’en exploiter les eaux. Dans ce contexte de tension le partage des eaux devient un enjeu sécuritaire. La Turquie, avec sa position géographique avantageuse, met unilatéralement en place une politique de maximisation de son potentiel hydraulique en accaparant le plein potentiel. Comme ces pays ne gèrent pas ces eaux de manière concertée, cela a entraîné un rapport inégal de force qui fragilise profondément leurs relations. Inévitablement, la pénurie d’eau devient, dans la région l’une des causes majeures du conflit ouvert armé dans la zone [7]Bruno HEUCHON, « Gestion de l’eau et conflits au Moyen-Orient Etude-de-cas : Turquie-Syrie-Irak » Mémoire, UCL, 2919..

En Australie : 70 % de la surface du territoire est constituée de déserts. Pourtant, grâce à l’aménagement du fleuve Murray, l’agriculture irriguée reste l’une des richesses déterminantes du pays. Bien que la majeure partie des propriétés privées soit équipée de piscines, les Australiens, pris individuellement, sont classés parmi les plus grands consommateurs d’eau au monde. Depuis la fin des années 1990, la salinisation des terres australiennes s’intensifie davantage causant défrichement, incendies de forêt. Par ailleurs, la baisse continuelle des quantités des pluies accroit, chaque année, des inquiétudes certaines des migrations climatiques et conflits futurs.

Aux Etats-Unis , la Californie avec ses 100 Km d’aqueduc qui achemine l’eau de la « Owens river » vers la ville de Los Angeles est un exemple qui confirme, comme le prévient le chercheur Jon christensens qu’« Il n’y a plus assez d’eau pour approvisionner tout le monde ! », et qui propose d’investir davantage pour garantir le respect du droit humain à l’eau inscrit dans la loi californienne et aussi pour défier les méandres du changement climatique. Cette situation est la base d’un conflit entre les Etats-Unis et le Mexique. En effet les États-Unis cherchent à récupérer les quelque 200 millions de m3 d’eau du Colorado qui s’infiltrent dans le sol mexicain, en projetant de cimenter le Canal All American situé à la frontière.

Un autre exemple d’une « guerre de l’eau » à l’horizon et qui ne doit pas passer inaperçue, est celle de la situation du bassin du lac Tchad , un lac peu profond frontalier du Nigeria, du Niger, du Tchad et du Cameroun. Son épuisement serait une catastrophe géopolitique mais aussi économique pour les quatre pays qui en dépendent. Les causes sont principalement anthropiques. En 55 ans, il a perdu 90% de sa superficie. La situation est urgente car aujourd’hui le lac couvre un bassin d’environ 2500 km2. Le lac est surexploité et la population ne prête pas suffisamment attention à ce grand réservoir d’eau dont la situation est précaire. Les conséquences d’un épuisement total seraient dramatiques, il n’y aurait plus d’opportunité de pêcher dans le lac, plus de cultures vivrières, plus de bétail et surtout plus de source d’eau potable. Une solution serait à l’étude et envisagerait le transfert des eaux de la rivière Ubangi qui arrose le nord de la RDC vers le bassin du Lac Tchad. Il n’est pas question, pour le gouvernement de la R. D. Congo de transférer ses eaux vers le lac Tchad. Les raisons avancées sont la crainte d’autres retombées notamment l’altération de la biodiversité, et la sécheresse des régions d’Ituri et Uélé due au vent sec en provenance du Sahara.

La déclaration finale du Sommet des chefs d’Etat sur le Bassin du Congo et le Fonds bleu, tenu à Brazzaville, a été rejetée par la RD Congo. On observe donc une fois de plus, un potentiel conflit en devenir autour de la précieuse ressource.

Enfin, parmi les projets qui ont posé problème il y a la construction du barrage Ethiopien. La mise en eau de ce barrage « de la renaissance de l’Ethiopie » avec la plus grande retenue d’eau d’Afrique, a posé à l’Égypte le problème lié au stress hydrique potentiel sur le débit du Nil.

Quelles solutions pour la gestion de la crise de l’eau ?

Etant une ressource renouvelable, sa gestion requiert des mesures qui doivent permettre de maîtriser la demande en eau en augmentant l’efficacité économique globale de son utilisation en tant que ressource naturelle. La bonne gouvernance des bassins doit respecter les besoins et nécessités de toutes les parties en présence face à l’utilisation des eaux en respectant la démocratie écologique et l’hydro-diplomatie.

Un bel exemple est la gestion du bassin du Sénégal. Ce cas illustre bien les concepts de l’hydro-diplomatie et de l’hydro-solidarité appliqués entre les pays abreuvés par le même bassin. Un second exemple est issu de l’accord sur « le partage équitable » des ressources en eau entre les pays du Proche-Orient à savoir l’Israël, tous les Etats arabes voisins et palestiniens pour un développement d’une véritable politique de coopération régionale dont l’objectif était de parvenir à une paix globale et suffisamment inclusive.

Conclusion

Il y a 30 ans déjà, les responsables politiques tiraient la sonnette d’alarme sur les risques de conflits liés à la gestion des ressources hydriques. Malgré ces propos souvent pessimistes comme par exemple le vice-président de la Banque mondiale pour les questions de développement durable en août 1995, Ismail Serageldin, qui déclarait lors d’une conférence à Stockholm que « les guerres du prochain siècle auront l’eau pour objet » [8]LASSERRE (Frédéric), DESCROIX (Luc), Eaux et territoires : tensions, coopérations et géopolitique de l’eau, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 2002.. En outre, dans le même sens, le Secrétaire Général de la Seconde conférence des Nations Unies sur les villes avertissait en juin 1996 pour sa part que « (l’eau) pourrait être un facteur de déclenchement de conflit, comme le pétrole dans le passé »[9]Wally N’Dow, Secrétaire Générale de la seconde conférence ONU-HABITAT (Programme des Nations Unies pour les Etablissements Humains), dite HABITAT II, tenue à Istanbul. LASSERRE (Frédéric), … Continuer la lecture, il convient de rappeler aujourd’hui encore l’importance du multilatéralisme et de la bonne gouvernance dans la gestion de la crise de l’eau des bassins encore disponibles et de plus en plus convoités.

Beaucoup de projets sur la gouvernance mondiale de l’eau ont été lancés et abandonnés par après par manque de vision commune et de volonté de gestion durable de cette précieuse ressource. Aujourd’hui on déplore des conséquences directes d’un tel manque de gestion notamment les migrations environnementales et climatiques à grande échelle qui malheureusement continuent à s’intensifier.
Le problème de la bonne gestion de cette ressource par des « hydro puissances » [10]Puissances politiques qui ont une maîtrise sur des grand potentiels bassins., est devenu très urgent. Les problèmes et les défis doivent être considérés par tous les gouvernements, les agences internationales, le secteur privé et les communautés locales. Une plus grande attention doit être accordée à la coordination et à la coopération multilatérale entre ces acteurs à tous les niveaux.

Une des solutions à la crise de l’eau est la démocratie écologique. Une démocratie qui aidera à faire face à la crise hydrique à travers l’hydro-diplomatie et cela à tous les niveaux de la société afin de privilégier les voies du dialogue et éviter ainsi la militarisation des conflits liés à l’eau. C’est ainsi que dans la lettre encyclique « Laudato Si’ » le pape François dit que « Le défi urgent de sauvegarder notre « maison commune » inclut la préoccupation d’unir toute la famille humaine dans la recherche d’un développement durable et intégral, car nous savons que les choses peuvent changer […] J’espère que cette Lettre […] nous aidera à reconnaître la grandeur, l’urgence et la beauté du défi qui se présente à nous » [11]Pape François, « Laudato Si’ » (24 mai 2015). .

Patrick Balemba B. & Patient Baderha Batumike.

Documents joints

Notes

Notes
1 Après l’oxygène l’eau est un bien vital. Un homme peut vivre cinq semaines sans manger mais seulement 3 à 4 jours sans boire.
2 Du point de vue de la salinité, une eau douce est une eau dont la salinité est inférieure à 0,5.
3 CDP est un organisme de bienfaisance sans but lucratif qui gère le système mondial de divulgation (pour investisseurs, les entreprises, les villes, les États et les régions) afin de gérer leurs impacts environnementaux.
4 Progrès en matière d’eau, d’assainissement et d’hygiène des ménages 2000-2017. Gros plan sur les inégalités. New York, Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et Organisation mondiale de la Santé (OMS), 2019.
5 Galland F., Le grand jeu. Chroniques géopolitiques de l’eau, CNRS, Paris, 214.
6 L’Assemblée a adopté par 122 voix pour et 41 abstentions un projet de résolution, présenté par la Bolivie, sur le droit fondamental à l’eau et à l’assainissement (A/64/L.63/Rev.1) dans lequel elle déclare que le droit à une eau potable salubre et propre est un droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’homme. Elle demande aux États et aux organisations internationales de fournir des ressources financières, de renforcer les capacités et de procéder à des transferts de technologies, en particulier en faveur des pays en développement.
7 Bruno HEUCHON, « Gestion de l’eau et conflits au Moyen-Orient Etude-de-cas : Turquie-Syrie-Irak » Mémoire, UCL, 2919.
8 LASSERRE (Frédéric), DESCROIX (Luc), Eaux et territoires : tensions, coopérations et géopolitique de l’eau, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 2002.
9 Wally N’Dow, Secrétaire Générale de la seconde conférence ONU-HABITAT (Programme des Nations Unies pour les Etablissements Humains), dite HABITAT II, tenue à Istanbul. LASSERRE (Frédéric), BOUTET (Annabelle), « Le droit international réglera-t-il les litiges du partage de l’eau ? Le bassin du Nil et quelques autres cas » in Études internationales, vol. 33, n° 3, 2002.
10 Puissances politiques qui ont une maîtrise sur des grand potentiels bassins.
11 Pape François, « Laudato Si’ » (24 mai 2015).
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