Les défis de l’éducation au développement: les méthodes participatives au secours de l’autonomie associative

Cette analyse se penche sur les enjeux autour des contextes, mondial et belge, de l’éducation au développement et la manière dont les méthodes de l’éducation permanente peuvent permettre au milieu associatif de garder une liberté d’action et d’expression par rapport au pouvoir subsidiant.

La première analyse Les défis de l’éducation au développement se penche sur la vision développée autour des conflits mondiaux et la manière dont une association belge peut les aborder. Comme ONG d’éducation au développement et association d’éducation permanente, Justice et Paix bénéficie d’une double identité qui l’aide à mieux remplir ses missions : observer et comprendre les contextes de conflits, partir des réalités vécues dans les sociétés (du Nord et du Sud), construire des alternatives avec les citoyens. Cette double reconnaissance par des bailleurs de fonds publics représente une complémentarité au service de l’action. Cette réflexion, tirée d’une expérience de travail issue de nos démarches en éducation permanente, a pour objectif de nourrir la réflexion dans le secteur associatif. Depuis une dizaine d’années, le domaine de la coopération au développement est l’objet d’une profonde réflexion internationale. Les successives Déclarations de Rome (2003), Paris (2005), Accra (2008) et Busan (2011) attestent d’une volonté de s’adapter à un contexte, toujours mouvant, où le monde est de plus en plus interdépendant. À la base de ces rassemblements, une question : comment transformer les partenariats d’aide en de véritables forces pour le développement ? Cinq principes ont ainsi été institués comme devant régir les stratégies d’aide au développement :
    • Appropriation : Les pays en développement définissent leurs propres stratégies de réduction de la pauvreté, améliorent leurs institutions et luttent contre la corruption.
    • Alignement : Les pays donneurs s’alignent sur ces objectifs et s’appuient sur les systèmes locaux.
    • Harmonisation : Les pays donneurs se concertent, simplifient les procédures et partagent l’information pour éviter les doublons.
    • Résultats : Les pays en développement se concentrent sur les résultats souhaités et leur évaluation.
    • Redevabilité mutuelle : Les donneurs et les partenaires sont responsables des résultats obtenus en matière de développement.
On le voit, la préoccupation centrale est donc la recherche de l’efficacité de l’aide internationale. L’Union Européenne a traduit ces principes en une nouvelle politique de coopération (Agenda for change). La Belgique, à son tour, suit l’évolution du contexte international en réformant la structure de la Direction Générale de la Coopération et en faisant évoluer ses relations avec les acteurs qu’elle finance, dont les ONG. Cette nouvelle vision, si elle cherche une plus grande cohérence (entre autres effets bénéfiques attendus de cette réforme, signalons qu’elle pourrait inciter les différents acteurs à plus de concertation et de collaboration), comporte des risques relevés par le secteur : entre autres la perte de la diversité et donc de la richesse du secteur ainsi que son autonomie. En effet, à nos yeux, la diversité associative, et donc la survie de petites associations, peut être synonyme de créativité, réactivité et d’adaptabilité : la chaîne de prise de décision d’une petite organisation est souvent adaptée à sa taille et lui permet de répondre plus facilement et rapidement à l’actualité. Par ailleurs, le nombre restreint de membres d’une équipe permet de gérer plus facilement la tendance de « résistance au changement » et d’ainsi s’adapter aux contextes sociétaux mouvants. Le « screening » [1]En français : “examen du système performant de maîtrise de l’organisation” du secteur, qui peut être vu comme une étape préalable à une nouvelle réforme du secteur, aura pour objectif de juger du professionnalisme des ONG et donc de la légitimité de leur accès à des financements. En contrôlant des critères tels que la gestion financière ou des ressources humaines, par exemple, ne risque-t-on pas de laisser sur le côté une série de « petites » ONG ? Le « screening » du secteur de la coopération au développement ne risque-t-il pas de laisser sur le côté une série de « petites » ONG, et de perdre par là-même une diversité et richesse associative ? La tendance de la coopération gouvernementale à réduire la liste déterminant les pays partenaires impose de facto au secteur de suivre sa ligne de priorité sur les pays dits fragiles et les zones post-conflit. Pour exemple, la sortie du Pérou de la liste de pays partenaires de la Belgique impliquera une réduction non seulement de l’aide (financement de projets) mais risque aussi d’entraîner une diminution des collaborations inter-associatives entre nos deux pays. Pourtant, comme nous le disions dans une précédente analyse , bien que les critères macro-économiques du Pérou le situent comme un Pays à Revenu Intermédiaire (PRI), il mérite un maintien de l’attention internationale, ne serait-ce qu’au vu de ses fortes inégalités économiques et des nombreux conflits sociaux qui y sévissent. Cet exemple illustre la perte d’autonomie que le secteur pourrait connaître. Nous sommes dès lors en droit de nous demander si, in fine, le secteur ne court pas le risque d’être instrumentalisé. En effet, en restreignant l’accès à des financements et en créant des modalités proches de l’appel d’offre (ce qui est prévu), la Coopération belge ne risque-t-elle pas de faire mener, sur le terrain, des projets comportant ses propres priorités, imposant ainsi sa vision ? Il est important que le monde associatif continue à réfléchir et à se positionner sur ce sujet et à interpeller, avec toute sa liberté d’expression, les administrations compétentes. Car, la cohérence des politiques de développement est un défi commun et l’associatif a pour missions d’une part d’identifier les incohérences entre les discours politiques et les actes posés et d’autre part de formuler des recommandations. Nous saluons à cet égard le travail qui est réalisé par les coupoles et fédérations associatives que sont le CNCD et Acodev. Enfin, le pouvoir d’action des associations dans le secteur du développement se situe également dans le maintien de certains critères fondamentaux, tels que le dialogue et la concertation avec les partenaires et les citoyens. Pour s’établir dans la confiance, les relations de coopération avec des partenaires locaux doivent être durables. Or, les aléas de la vie politique impliquent de facto une instabilité… les priorités changent en fonction du Ministre en place. Éloge de la participation Face à ce contexte changeant, la méthodologie de l’éducation permanente représente, à nos yeux, une véritable valeur-ajoutée : travailler aux changements de comportements collectifs et individuels des citoyens doit partir du dialogue entre les différentes parties prenantes, d’une sensibilisation des acteurs à travers l’échange et le débat, du respect des points de vue, du partage d’une vision du bien commun non imposée mais qui se construit en concertation. En effet, une norme régulant l’un ou l’autre aspect de la vie en société est d’autant plus pertinente et crédible qu’elle repose sur l’adhésion des parties concernées. [2] Habermas J. (1987), Théorie de l’agir communicationnel, Paris, Fayard et Habermas J. (1992), De l’éthique de la discussion, Paris, Cerf En ce sens, nous concevons la sensibilisation à un monde plus juste comme un processus d’accompagnement des publics qui mène à l’action de ceux-ci en faveur du changement vers un monde plus juste, en paix, et d’un modèle de développement coopératif et durable. La traditionnelle démarche du « voir », « juger » et « agir » se traduit donc par une volonté de partir des réalités concrètes, donner des clefs de lecture, réfléchir avec nos partenaires et publics et encourager à l’action et à la construction d’alternatives. À partir de l’exemple du thème de la gestion des ressources naturelles dans le monde (qui est une des priorités du plan de travail de Justice et Paix dans la Coopération belge), nous montrons ici comment l’interaction constante entre les domaines de l’éducation permanente et au développement ont permis de nourrir nos démarches de sensibilisation citoyenne et d’interpellation politique :

**Mettre la priorité sur la participation et l’inclusion : l’exemple de modèles démocratiques participatifs

Des modèles démocratiques participatifs (complétant des modèles démocratiques en voie de consolidation) existent dans les pays du Sud ! Nous voulons promouvoir l’existence de mécanismes participatifs issus des contextes géographiques divers. Ainsi, l’existence et le fonctionnement des rondes paysannes au Pérou ou les assemblées des peuples en Amérique latine) démontrent que plus d’engagement citoyen est possible.

**S’adapter aux réalités du terrain : l’exemple de la prise en compte des femmes comme actrices de changement

Les revendications des associations du Sud pour une prise en compte d’une lecture « genrée » illustrent parfaitement la plus-value amenée par ceux-là même qui sont touchés par nos actions. Si le rôle des femmes en matières de cohésion sociale et de production de richesses sur le plan local n’est plus à démontrer aujourd’hui, force est de constater que les implications de l’exploitation des ressources naturelles sur la situation des femmes et des jeunes filles sont loin d’être négligeables en termes de violences économiques et physiques (notamment sexuelles) à leur encontre dans les zones d’exploitation. En outre, elles sont en général privées du pouvoir et du contrôle sur les ressources naturelles dont la propriété et la gestion reviennent généralement aux hommes. C’est pourquoi les activités et les messages délivrés par le secteur de la coopération au développement doivent refléter non pas uniquement le rôle de « victime » des femmes, mais aussi leur expérience et leurs préoccupations en matière de gestion des ressources naturelles, en vue de soutenir la réalisation de leurs droits individuels et collectifs : Les femmes dans le Sud sont de véritables « pivots » de l’économie domestique et communautaire.

**Partir du vécu de nos publics : l’exemple du citoyen européen, consomm’acteur ?

Il est nécessaire d’appuyer une réflexion et une action citoyennes sur notre consommation en ressources naturelles et sur les alternatives qui existent ou sont à développer : prise en compte des coûts énergétiques dans la transformation d’énergies fossiles ; investissement dans les énergies renouvelables ; appui aux avancées technologiques basées sur des systèmes économiques alternatifs responsables et durables (fondés sur la récupération et sur des changements de la logique de production…). À terme, c’est l’ensemble de notre système de perception de valeurs qui doit évoluer avec l’utilisation d’autres indicateurs que le PIB pour évaluer le développement de nos sociétés, au Nord comme au Sud et atteindre un équilibre entre croissance, bien-être social et respect de l’environnement. Ces trois priorités méthodologiques impliquent que nous sommes dans une logique, non seulement d’efficacité et d’atteinte de résultats chiffrés, mais aussi de respect de toutes les parties prenantes et du temps qui leur est nécessaire pour cheminer avec nous. Entre « top-down » et « bottom up », entre « efficacité de l’atteinte d’un résultat» et « respect du temps nécessaire au processus », nous pensons qu’un équilibre peut être trouvé pour respecter à la fois la nécessaire redevabilité auprès des bailleurs de fonds et le principe d’interaction, sources de richesse et de travail commun. Tout aussi pertinentes et cohérentes qu’elles peuvent être, les règles édictées par les bailleurs de fonds doivent être dépassées . Car ce qui doit continuer à inspirer et guider le monde associatif, c’est ce que la base pense et dit. Ce texte s’inscrit dans le cadre d’une démarche collective volontaire qui a associé plusieurs organismes actifs dans le secteur de l’Éducation permanente. Ces associations (Cefoc, Centre Avec, CESEP, Couples et Familles, Justice et Paix, Media Animation, Pax Christi, SAW-B, Ufapec) ont défini un thème sur lequel travailler collectivement. A savoir : le rôle de contre-pouvoir des associations et l’autonomie associative. Au départ de l’ancrage et des champs d’action qui sont les siens, chaque association a produit une analyse qui reflète son point de vue sur cette thématique. Le processus entamé sera poursuivi par un débat entre elles et avec les lecteurs. Les autres analyses produites dans ce cadre sont lisibles en suivant ces liens : L’éducation permanente en tension, par le CEFOC : http://www.cefoc.be/L-Education-permanente-en-tensions Entre liberté et dépendance, les médias sur le fil, par Média-Animation : http://www.media-animation.be/Entre-liberte-et-dependance-les.html Et si l’éducation permanente disparaissait, par le Centre Avec : www.centreavec.site/Et-si-l-education-permanente-disparaissait Les associations comme résistance et riposte au néolibéralisme : http://www.saw-b.be/spip/IMG/pdf/a1512_associationnisme.pdf
Axelle Fischer

Documents joints

Notes

Notes
1 En français : “examen du système performant de maîtrise de l’organisation”
2 Habermas J. (1987), Théorie de l’agir communicationnel, Paris, Fayard et Habermas J. (1992), De l’éthique de la discussion, Paris, Cerf
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