Le rôle de l’école dans l’éducation citoyenne

En Belgique, depuis 1830, le droit de vote n’a cessé de s’élargir afin d’inclure progressivement un plus grand nombre de personnes, reflétant davantage la diversité de la population. Cependant, une partie de celle-ci demeure exclue de ce droit : les jeunes de moins de 18 ans. Cette limite d’âge coïncide généralement avec la fin de l’obligation scolaire, et l’on attend de l’école qu’elle remplisse une mission d’éducation à la citoyenneté.

Crédit : Freepick.

L’exclusion des jeunes des espaces démocratiques

Cette exclusion suscite régulièrement débats et interrogations au sein des nations européennes. En Belgique, le droit de vote aux élections européennes a d’ailleurs été élargi en 2024 aux jeunes de 16 et 17 ans. Certain∙es envisagent même sérieusement d’abaisser encore cette limite d’âge, voire de permettre aux enfants de voter. C’est ainsi qu’avait été discuté au Parlement allemand, en 2004, le Kinderwahlrecht, un sujet qui refait périodiquement surface.

Mais au-delà du droit de vote, les jeunes restent généralement écarté∙es des espaces démocratiques. On leur reproche leur immaturité, une méconnaissance du système en place, ou encore une trop grande influençabilité. Parfois, cette mise à l’écart est justifiée par la crainte d’une instrumentalisation politique : les exclure serait alors une manière de les protéger et de préserver leur innocence.

Pourtant, nous, leurs aîné∙es, ne faisons pas toujours preuve de plus grande compétence politique. Et nous savons tous∙tes que l’âge n’est pas le seul facteur déterminant en matière de maturité et d’esprit critique.

Ces reproches relèvent peut-être d’une prophétie auto-réalisatrice : en confinant les jeunes à l’école, dans un entre-soi coupé du monde extérieur, et en les excluant des espaces démocratiques, ils et elles finissent par se désintéresser naturellement de la politique. D’après UNICEF France[1], près de trois quarts des enfants et adolescent∙es estiment ne pas être assez ou mal associé∙es aux décisions qui les concernent. De plus, un quart des élèves de terminale (équivalent de la 6ème secondaire en Belgique) déclarent ne pas avoir confiance dans le système démocratique[2].

En réalité, les jeunes s’ouvrent au monde autrement, notamment à travers les réseaux sociaux, qui regorgent d’informations et d’actualités politiques. Cette ouverture nourrit une connaissance globalisée, mais souvent fragmentaire, des enjeux de société.

La responsabilité de l’école en matière de citoyenneté

L’une des missions fondamentales de l’école est d’éduquer à la citoyenneté. Les initiatives en ce sens ne manquent pas, au point qu’il serait impossible de toutes les énumérer : il existe presque autant de pratiques que d’écoles. Résultat : les objectifs et les visions qui sous-tendent ces activités ne sont pas clairement délimités et il n’existe pas toujours un consensus pédagogique clair.

Une dimension plus traditionnelle de cette éducation consiste à répondre aux reproches d’incompétence faits aux jeunes, en leur enseignant en détail le système démocratique, son histoire et ses institutions. Mais cette approche transmissive peine souvent à susciter l’intérêt des élèves.

Une autre dimension, plus expérientielle, est explorée à travers la participation aux conseils d’élèves, la médiation, ou encore des activités de mobilisation à l’extérieur de l’école. Les visions divergent alors selon que l’accent est mis sur la responsabilité individuelle ou collective.

La diversité de ces initiatives montre que les écoles s’efforcent de préparer les jeunes à exercer leur citoyenneté. Cette multiplicité n’est pas à comprendre comme un choix idéologique, mais bien comme le reflet de la complexité du sujet.

Des moyens insuffisants

Il ne faut pas oublier que ces initiatives reposent encore trop souvent sur des individualités engagées : enseignant∙es, directions, ou intervenant∙es extérieurs, notamment du secteur associatif. Au vu des priorités affichées par le gouvernement, la pérennité de ces projets reste incertaine.

Pour les professeur∙es, les obstacles se situent à plusieurs niveaux. D’abord, la pression des programmes rythme les activités scolaires, et consacrer du temps à l’éducation à la citoyenneté est perçu comme un sacrifice. Pourtant, une intégration thématique est possible, même dans des disciplines abstraites comme les maths ou la chimie, qui sont elles aussi concernées par des enjeux citoyens (numérisation, militarisation, extraction minière, etc.).

Ensuite, les enseignant∙es déplorent un manque de formation[3]. Les écoles ne proposent pas systématiquement des formations, obligeant les professeur∙es à investir des moyens personnels. Beaucoup hésitent alors à aborder ces thématiques, craignant un manque de légitimité et se sentant incompétent∙es.

À cela s’ajoute un phénomène récent : la « police »[4] exercée par certains élèves et parents, qui dénoncent un enseignement jugé « woke ». Cette pression rend certain∙es professeur∙es encore plus prudent·es, voire réticent·es, à aborder ces sujets en classe.

Cultiver l’impuissance

Malgré ces efforts, un aspect reste négligé : les émotions suscitées chez les jeunes. Aujourd’hui, à travers l’école comme à travers les réseaux sociaux, ils et elles sont exposé∙es aux injustices sociales, aux conflits internationaux et à d’autres réalités anxiogènes.

Un constat préoccupant est que l’école peut contribuer à cultiver un sentiment d’échec. Le poids de la réussite scolaire fragilise la confiance en soi et l’estime de soi, ce qui peut pousser de certain·es jeunes au repli ou à l’apathie[5].

De plus, les jeunes sont souvent confrontés à des discours perçus comme anxiogènes. Parler d’écologie en classe, par exemple, suscite majoritairement anxiété et sentiment d’impuissance[6]. Il pourrait alors être tentant pour certain·es jeunes de rejeter la responsabilité citoyenne au nom d’un « droit à l’innocence », lassés d’être sans cesse confrontés à des sujets lourds et répétés.

La question se pose alors : les opportunités de mise en action à l’école permettent-elles vraiment de ressentir un impact et de nourrir l’espoir ? Quels moyens d’engagement sont offerts aux jeunes, sachant que leur voix n’est pas reconnue ?

La grève scolaire pour le climat, initiée par Greta Thunberg en 2018, a illustré cette possibilité : remettre en cause l’obligation scolaire pour faire entendre ses préoccupations et ses revendications.

Le danger serait que l’école reproduise les schémas de verticalité du monde extérieur et cultive un sentiment d’impuissance, en confrontant les jeunes à des responsabilités citoyennes colossales sans leur donner de véritables perspectives d’action. Dans ce cas, elle contribuerait à maintenir le système en place, en encourageant les jeunes à renoncer à toute tentative de transformation sociale.

Une affaire de confiance ?

Un point de blocage majeur réside peut-être dans la confiance que les aîné∙es accordent à la jeunesse. Qu’il s’agisse de la prudence avec laquelle nous abordons l’éducation citoyenne, de la volonté de préserver leur innocence ou de nos doutes sur leurs compétences, tout cela traduit un manque de confiance et peut contribuer à maintenir un rapport de force dont ils et elles ne peuvent s’échapper.

Renouer un lien de confiance apparaît alors comme une étape essentielle pour une véritable intégration citoyenne. Plus encore qu’une question de droits institutionnels ou de compétences. Cela suppose de cesser de projeter nos propres insécurités et de libérer l’espace citoyen pour leur accorder une place réelle. À ce titre, peut-être faut-il repenser l’école en profondeur, et la réinventer à partir de ce principe fondateur.

Alex Loué.


[1]https://www.unicef.fr/article/vote-a-16-ans-parce-que-les-jeunes-ont-une-voix/

[2] Eurobaromètre 2022

[3] Fédération Wallonie-Bruxelles, Rapport sur l’éducation à la citoyenneté, 2020

[4] https://www.tijd.be/politiek-economie/belgie/algemeen/de-klas-als-politiek-mijnenveld/10541672.html

[5] OCDE PISA 2018, anxiété scolaire.

[6] Hickman et al., The Lancet Planetary Health, 2021.

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