Le 21 juillet 1831, le roi Léopold Ier prêtait serment. Il jurait fidélité à la Constitution et devenait le premier roi des Belges. La Belgique devenait officiellement une monarchie constitutionnelle, parlementaire et indépendante.
Déjà dans sa version originelle, adoptée le 7 février 1831, la Constitution belge énonçait, dans son article 25, que : « Tous les pouvoirs émanent de la Nation ». Depuis lors, la Constitution a été profondément remaniée, mais cette phrase est restée, à l’article 33 de la Constitution actuelle. Bien sûr, on peut penser qu’il s’agit là d’une phrase qui n’engage à rien. Pourtant, celle-ci résume l’essence même de la démocratie, qui est le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple. Elle inscrit la Belgique, qui vient de naître, dans l’héritage révolutionnaire. Le pouvoir n’émane plus de Dieu, mais de la Nation.
Mais qu’est ce que la nation ?
La Nation, ce sont des personnes en chair et en os. C’est le peuple, présent et à venir, organisé politiquement, et dans toutes ses diversités. Former une nation démocratique, c’est partager la volonté d’organiser conjointement notre vie commune sur la base de fondations aussi essentielles qu’indissociables : la liberté, l’égalité, l’inclusion, la non-violence et les droits humains. C’est jouer un rôle politique actif sur la base de son droit d’initiative et d’une éthique du dialogue et de la délibération. C’est pouvoir compter sur un État représentatif et fondé sur le droit, un État dont la mission première est d’incarner, de préserver et de renforcer ces mêmes fondations.
Quelle politique pour construire une telle nation?
La Constitution indique que les pouvoirs, et donc l’État, émane de la Nation. Mais, en même temps, c’est à ce dernier qu’il revient de construire cette Nation. La politique qu’il doit mettre en place pour cela garantit l’égalité effective des droits. Elle limite et réduit les inégalités, notamment sociales et économiques, et les compense si besoin est. Elle refonde l’économie sur l’égalité et la démocratie et en fait une institution au service des droits. Elle promeut et soutient, notamment par la culture et l’éducation, une culture et une éthique démocratique. Elle place les valeurs de liberté, d’égalité, d’inclusion, de non-violence et de droits humains au cœur même de toutes les institutions publiques et de l’État dans son ensemble. Elle favorise et soutient une citoyenneté active et autonome. Elle évite de prendre ou de maintenir des politiques, règles ou institutions contraires à ces objectifs.
Comment s’y mettre?
Fêter le 21 juillet devrait être l’occasion de se rappeler que nous devons encore construire cette fameuse nation à laquelle, pourtant, la Constitution belge fait référence depuis la naissance même de notre pays. Cette commémoration devrait être, pour chacune et chacun de nos mandataires et responsables politiques, l’occasion de se rappeler que cette nation est démocratique et souveraine. Elle s’oppose à toute exclusion ou rejet de l’autre. Elle refuse de se soumettre, sans examen sérieux, à quelque divinité que ce soit, même quand cette divinité s’appelle croissance économique, argent-roi ou technocratie.
Une initiative dans ce sens consiste à mettre en place un processus de refondation politique. Ce processus explore et discute comment faire évoluer la politique, les institutions publiques, la société et l’économie, dans le sens évoqué. Ce processus adopte une approche large, globale et multidisciplinaire fondée sur un dialogue ouvert entre ses diverses composantes. Il pose un regard critique sur les principales institutions sociales, politiques et économiques actuelles, en particulier en ce qu’elles favorisent ou entravent la réalisation des fondations démocratiques. Il envisage les propositions alternatives. Il débouche sur des points de consensus réel, pouvant servir de base à l’action commune. Il explicite les principaux points de dissensus non résolus, devant être approfondis. Ce processus de refondation suscite, promeut et soutient, dans l’opinion publique, dans les parlements, dans les institutions d’enseignement et de recherche, les médias et ailleurs, une discussion ouverte sur ces questions. Il informe et éclaire tant l’opinion publique que le travail des institutions, auxquelles il revient alors de transformer ces travaux en politiques et en réformes effectives.
Le processus est composé d’une assemblée ou commission interparlementaire, d’une assemblée multidisciplinaire et pluraliste de recherche (sciences physiques et de la nature, sciences humaines, droit, philosophie), d’une assemblée citoyenne et d’une assemblée de la société civile. L’assemblée citoyenne est elle-même composée et organisée de manière à favoriser une participation effective, en particulier des couches sociales défavorisées et des femmes.
Une nécessité
Si nous voulons réaffirmer et renforcer le caractère démocratique de la Belgique, mettre un frein à la montée des idées autoritaristes et inégalitaristes (qui ne servent que les intérêts et privilèges des plus riches et puissants), si nous souhaitons garantir les droits de toutes et tous et, en même temps, agir de manière responsable, et donc écologique, c’est une démarche de ce type qu’il nous faut entreprendre. C’est ainsi également que nous pourrons contribuer à un projet européen réellement démocratique, social, pacifique et écologique, qui assume ses responsabilités et porte ses valeurs tant vers l’intérieur que vers l’extérieur.
Il revient à nos mandataires et responsables politiques, mais aussi aux organisations de la société civile et aux membres de la communauté académique, ainsi qu’à nous toutes et tous, d’y contribuer.
Mikaël Franssens, chargé de plaidoyer.