Droit à la déconnexion : laissons le travail au travail

Face à l’omniprésence du numérique, qui peut avoir de nombreuses implications psychologiques sur les travailleurꞏeuses, le droit à la déconnexion s’est peu à peu imposé comme un droit fondamental.  Il est en application depuis 2022 en Belgique.

Depuis plusieurs décennies, l’émergence du numérique a considérablement changé nos vies, rendant presque impossible de se « déconnecter » complètement de la technologie et impactant notre façon de communiquer, de consommer, de nous divertir, mais surtout de travailler.

Les innovations technologiques sont une source d’optimisation de nos capacités professionnelles. En effet, elles permettent non seulement d’améliorer l’organisation du travail, mais aussi de gérer des volumes importants d’information tout en facilitant la communication au sein d’une équipe.

Par ailleurs, le télétravail a connu un essor considérable ces dernières années et a été entériné à la suite des mesures prises dans le cadre de la crise provoquée par la COVID-19. Le télétravail a d’abord été pensé comme une ressource pour concilier vie professionnelle et vie privée en permettant aux employé.es de travailler à leur rythme. Néanmoins, selon l’usage qui en est fait, il peut amener à un isolement des travailleurꞏeuses et à la perte de l’équilibre entre la carrière et vie personnelle et familiale.

Bien que les technologies numériques aient permis une certaine flexibilité et une autonomie dans l’organisation du travail, elles ont également créé une culture de la « connexion permanente » qui grignote l’espace réservé au droit au repos des travailleurꞏeuses. La séparation du droit au travail et du droit au repos est devenue poreuse due à l’hyperconnectivité et, par conséquent, impacte sérieusement la qualité du repos.

Des répercussions physiques et psychologiques dues à une utilisation excessive du numérique

Avec l’émergence du numérique dans nos vies, les travailleurꞏeuses peuvent voir l’équilibre vie privée et professionnelle impacté, ce qui peut entraîner des conséquences sur leur santé mentale.

L’hyperconnectivité peut provoquer un certain nombre de conséquences néfastes. En effet, cela peut entraîner une surcharge de travail et un stress excessif, augmentant le risque de burn-out. De plus, les travailleurꞏeuses peuvent être tentéꞏes de poursuivre leurs tâches à domicile ou en dehors des heures de bureau. Cela peut entraîner un isolement social et un manque d’interaction entre collègues. Avec l’utilisation massive d’appareils électroniques, il est possible de devenir dépendant.es de ces outils et avoir du mal à s’en déconnecter, ce qui peut nuire à la santé mentale et physique. Enfin, les employé.es qui sont sollicité.es à tout moment pour des questions professionnelles peuvent ne plus distinguer leur vie professionnelle de leur vie privée, ce qui peut affecter cette dernière[1].

Pour relever ces défis, il est important de mettre en place des mesures pour encourager le droit à la déconnexion et aider à se déconnecter du travail en dehors des heures à prester. Les mesures peuvent être de plusieurs ordres, telles que des politiques internes pour limiter l’utilisation des technologies de l’information et de la communication en dehors des heures de travail, ou encore, l’insertion de formations à destination des employé.es sur la gestion du temps et du stress, ainsi que la prise de pauses et de déconnections organisées.

Des réponses juridiques pour faire face à ces conséquences néfastes

Le droit international et le droit belge tentent de réguler la barrière entre temps de travail et temps de repos, devenue floue à la suite de l’incursion du numérique dans nos vies.

« Toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée du travail et à des congés payés périodiques ».

Le droit au repos, reconnu par la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) en son article 24, est étroitement lié au droit à la déconnexion. En effet, le droit au repos vise à garantir un droit à des périodes de repos suffisantes afin de profiter de la vie personnelle et familiale. Le droit à la déconnexion, quant à lui, garantit le droit d’interrompre le travail en dehors des heures légales. Ce droit permet de se ressourcer sans être perturbé par un appel ou une notification en lien avec le travail.

Le droit au repos et le droit à la déconnexion sont deux droits qui se complètent mutuellement. Le droit au repos garantit des périodes de repos suffisantes pour les travailleurꞏeuses, tandis que le droit à la déconnexion permet de profiter pleinement de ces périodes de repos en se déconnectant du travail.

« Le droit à la déconnexion est le droit des travailleurꞏeuses de pouvoir se déconnecter mentalement et numériquement du travail ».

L’OIT, qui est l’organisation internationale du travail, n’a pas encore adopté de convention sur le droit à la déconnexion. Cependant, cette question a été discutée lors d’une conférence de l’OIT en 2019, à laquelle ont participé des représentant.es des gouvernements, des employeur.es et des travailleurꞏeuses.

Au cours de cette conférence, les participant.es ont discuté des effets négatifs de l’utilisation excessive des technologies de l’information et de la communication sur la santé et le bien-être des travailleurꞏeuses. Les participant.es ont également discuté des différentes approches adoptées par les pays pour réglementer le droit à la déconnexion. Cependant, il n’y a pas eu de consensus clair sur la question. Certain.es participant.es ont soutenu l’adoption d’une convention contraignante pour garantir le droit à la déconnexion, tandis que d’autres ont préconisé des approches plus souples basées sur des codes de conduite ou des accords interprofessionnels[2].

Au niveau de l’Union européenne, le Parlement européen a adopté en 2021 une résolution qui soutient et encourage le droit à la déconnexion[3].

Dans l’ensemble, il semble y avoir un intérêt croissant pour la question du droit à la déconnexion au sein de l’OIT et des partenaires sociaux, mais il faudra probablement encore du temps pour parvenir à un consensus sur les modalités de réglementation de ce droit au niveau international.

Qu’en est-il chez nous, en Belgique ?

Le droit à la déconnexion en Belgique est une notion relativement récente qui a été discutée pour la première fois en 2017. À l’époque, le gouvernement belge a créé un groupe de travail pour réfléchir à la mise en place d’un cadre légal concernant ce droit.

En juillet 2018, un accord interprofessionnel a été conclu entre les partenaires sociaux, qui a ensuite été transposé dans une loi en avril 2019. Après plusieurs mois de négociations, le gouvernement s’est accordé sur le « deal pour l’emploi » le 3 octobre 2022. Il s’agit d’un ensemble de mesures visant à adapter les règles qui organisent le travail en Belgique à nos réalités contemporaines. L’accord comprend des possibilités telles que la semaine de quatre jours de travail[4], une meilleure protection des travailleurꞏeuses de plateforme e-commerce, et le droit à la déconnexion en-dehors des heures de travail.

En garantissant le droit à la déconnexion en Belgique, la loi contraint les employeur.es à prendre des mesures pour éviter la surcharge de travail et le stress lié aux nouvelles technologies de l’information et de la communication[5]. Les entreprises d’au moins vingt travailleurs doivent assurer le droit à la déconnexion de leurs collaborateurs lorsque ceux-ci ne sont plus censés travailler et définir les modalités pour y parvenir, comme la régulation des moyens de communication.

Depuis le 1er avril 2023, les entreprises de plus de vingt personnes sont dans l’obligation d’inclure le droit à la déconnexion, soit dans les conventions collectives de travail, soit dans le règlement de travail de l’entreprise.

Le texte de loi permet une certaine flexibilité aux employeur.es qui doivent au minimum s’engager à inscrire les modalités pratiques de l’exercice du droit à la déconnexion, ainsi que les consignes relatives à l’usage des outils numériques, et mettre en place des formations et des actions de sensibilisation quant à l’utilisation raisonnée des outils numériques et les risques liés à la connexion excessive.

Dès lors, les modalités de mise en place du droit à la déconnexion peuvent varier d’une entreprise à l’autre. Les employeurs.es doivent être en mesure de trouver des solutions adaptées à leur contexte pour garantir un équilibre entre vie professionnelle et privée pour leurs employéꞏes.

Cependant, il est difficile de prouver l’efficacité de la loi portant sur le droit à la déconnexion, non seulement car elle est très récente et, mais aussi, car elle peut engendrer des inégalités de traitement. Pendant que les grandes entreprises peuvent facilement mobiliser les moyens de mettre en place des systèmes adéquats pour encadrer ce droit, les petites entreprises peuvent rencontrer des difficultés d’accès aux mêmes outils et solutions de déconnexion. Cependant, la concrétisation d’une loi sur le droit à la déconnexion en Belgique est à saluer et relève d’une grande avancée concernant la prise en compte des réalités contemporaines et du bien-être des travailleurꞏeuses.

Louise Lesoil.


[1] Marie-Pierre Fourquet-Courbet et Didier Courbet, « Anxiété, dépression et addiction liées à la communication numérique », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 11 | 2017, mis en ligne le 01 août 2017, consulté le 27 juin 2023.

[2] Rapport du Directeur Général, de la 108e session de la Conférence internationale du Travail, Travailler pour bâtir un avenir meilleur – Commission mondiale sur l’avenir du travail Genève, Bureau international du Travail, 2019.

[3] Textes adoptés – Droit à la déconnexion – Jeudi 21 janvier 2021 (europa.eu)

[4] Un travailleur qui ne preste pas plus de 38 heures effectives par semaine peut prester 9 h 30 par jour pour répartir ses prestations à temps plein normales sur quatre jours, et ainsi atteindre une occupation à temps plein de 38 heures sur quatre jours.

[5]  L’article 16 de la loi du 26 mars 2018 relative au renforcement de la croissance économique et de la cohésion sociale modifié par l’article 29 de laLoi portant des dispositions diverses relatives au travail du 03 octobre 2022.

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