La crise qui traverse la région du Grand Kasaï depuis plus d’une année z des conséquences dramatiques sur les populations : plus d’1,5 million de personnes ont été déplacées et 35 000 personnes sont allées se réfugier en Angola voisin. Cette crise, bien qu’elle prenne racine dans des tensions locales spécifiques, semble catalyser plusieurs dynamiques qui traversent aujourd’hui le pays dans son ensemble.

Face à ces protagonistes, une autre milice fait peu à peu son apparition jusqu’à devenir partie prenante au conflit [4]Rapport des Nations Unies, Août 2017, point 14. : les « Bana Mura ». Cette milice se compose d’individus d’origines ethniques tchokwe, pende et tetela. L’apparition de ce nouvel acteur met en exergue la dimension ethnique que revêt la crise kasaïenne à partir d’avril 2017. Les Bana Mura se seraient constitués sur base de leur appartenance ethnique, et de leur position pro-gouvernementale [5]Rapport des Nations Unies, Août 2017, points 35 à 50.. Si les Kamuina Nsapu s’en prennent avec une rare violence aux agents de l’État, les Buna Mura s’en prennent quant à eux directement aux populations Luba et Lulua. Ils participent également à la destruction de villages, pillent, brûlent sur leur passage.
Vivant dans une région jusque-là épargnée par les conflits qui bousculent la RD Congo, les populations kasaïennes ont été bouleversées par la virulence des attaques, la banalisation et la généralisation de cette violence inouïe. En quelques mois, plus de 3.000 décès sont enregistrés par les paroisses de ce territoire enclavé, grand comme 10 fois la Belgique. Cette crise a rapidement eu des conséquences dramatiques pour la population et celles-ci continueront à se faire ressentir durablement. Selon l’UNICEF, plus de 400.000 enfants dans la région sont sévèrement malnutris et risquent de mourir.
AUTORITÉ COUTUMIÈRE VS AUTORITÉ NATIONALE : la décentralisation en question
Les évènements décrits ci-dessus, peuvent s’inscrire dans la réflexion plus globale de l’organisation du pouvoir en RD Congo. Ce qui se dessine en effet en arrière-plan de cette situation particulière du Kasaï, c’est une dichotomie entre d’une part, l’autorité coutumière des pouvoirs locaux et d’autre part, la concentration d’un pouvoir fort aux mains des autorités centrales.
La volonté de rapprocher les gouvernants des gouvernés a conduit à l’inscription dans la Constitution congolaise de 2006 du principe de décentralisation. Il est prévu que l’État se subdivise en 25 provinces auxquelles s’ajoute la ville de Kinshasa. Or, depuis 2006 aucune avancée n’a été faite en ce sens. C’est en janvier 2015 que les autorités nationales actent finalement le projet de loi qui entérine les nouvelles frontières des 26 provinces. Mais les autorités étaient-elles réellement prêtes à accorder plus de pouvoir aux autorités provinciales ? Les compétences de chacune des entités sont clairement définies et leur sont propres. Il n’y a donc pas a priori d‘empiètement des compétences à redouter. L’animosité suscitée par cette réforme doit donc trouver son explication ailleurs.
Derrière cette réforme, on peut en effet lire une volonté claire de politisation des chefs coutumiers, voulue par le pouvoir central pour instaurer au sein de cette région, considérée comme un bastion historique de l’opposition, des relais des messages présidentiels et de mettre en place des soutiens stratégiques dans la région.
Le redécoupage précipité des provinces en 2015 avait suscité la méfiance de l’opposition qui accusait Kinshasa de vouloir réorganiser la province de manière à optimiser la répartition des groupes ethniques en présence à son avantage en vue des élections à venir – et notamment des Luba qui sont en majorité ralliés à l’opposition.
Plutôt qu’une opposition franche entre ces deux niveaux de pouvoir, on peut voir dans le processus de décentralisation une complémentarité de ces derniers, comme une solution pour pallier les lacunes de gouvernance de l’État central.
Ainsi, au-delà des efforts de stabilisation et de réconciliation communautaire à mener suite au récent conflit, il importe pour le futur de la région de consacrer le processus de décentralisation dans le respect de l’autorité coutumière. Ce mode de gouvernance a été choisi par les Congolais qui l’ont consacré dans leur Constitution. Il est en outre nécessaire de dépasser les antagonismes révélés brutalement par la crise, en identifiant les points de convergence vers des intérêts communs et partagés entre les autorités centrales et locales.
Documents joints
Notes[+]
| ↑1 | Lieu où se déroulent les rituels initiatiques. |
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| ↑2 | Parmi ces morts, on retrouve des membres des Forces Armées de la RD Congo (FARDC), Police Nationale Congolaise (PNC), Agence National du Renseignement (ANR), des agents de la Direction Générale des Migrations (DGM) et des responsables de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI). |
| ↑3 | Rapport des Nations Unies, Août 2017, points 51 à 62. |
| ↑4 | Rapport des Nations Unies, Août 2017, point 14. |
| ↑5 | Rapport des Nations Unies, Août 2017, points 35 à 50. |
| ↑6 | On appelle « soudure » la période qui s’étale entre la fin des réserves de la précédente récolte et la disponibilité des produits issus de la récolte suivante. |
| ↑7 | La MIBA (Minière de Bakwanga) est une entreprise productrice du diamant. La SNCC (Société Nationale des Chemins de fer du Congo) permettait l’acheminement de la marchandise. |
| ↑8 | Voir à ce sujet l’analyse de la Commission Justice et Paix sur les élections, Décembre 2017. |
| ↑9 | Le 11 décembre 2017, 15 casques bleus de la MONUSCO ont été tués et plus de 50 autres blessés lors d’une attaque armée dans une de leurs bases à Semuliki (Nord Kivu) – Source : Le Monde |
| ↑10 | L’UDPS est l’un des principaux partis d’opposition. |
| ↑11 | Voir à ce sujet l’analyse de la Commission Justice et Paix sur les élections, Décembre 2017. |
| ↑12 | On pense par exemple au conflit en Équateur en 2010-2011 qui trouvait son origine dans une question de pêche et qui a fait plus de 200 000 réfugiés, mais aussi plus récemment au Tanganyika, aux Kivus… |



