Période électorale : entre désinformation genrée et polarisation exacerbée

En Juin et Octobre 2024, les citoyen·nes belges franchiront l’isoloir pour voter. En cette période électorale, la désinformation et la polarisation s’alimentent mutuellement, freinant la participation des femmes à la vie politique et menaçant la stabilité démocratique et la cohésion sociale.

Crédit image : Mohamed Hassan pixabay.

L’émergence de la participation des femmes dans les sphères publique et politique

1906, la Finlande a ouvert la voie en accordant le droit de vote aux femmes. Cette avancée marque le début d’une longue lutte pour l’émancipation politique des femmes en Europe et dans le monde. En Belgique, le droit de vote a été instauré progressivement entre 1919 et 1948. Les premières mesures appelées « voix des morts » ne visaient qu’exclusivement les veuves ou mères de militaires morts au combat ainsi qu’aux héroïnes de guerre, ou bien seulement un accès aux élections communales ou régionales.
Il faudra attendre 1948 pour que toutes les femmes belges puissent être reconnues comme des citoyennes en ayant accès à toutes les urnes, alors que le suffrage universel masculin est déjà actif en Belgique depuis 1919.

En dépit des avancées significatives au cours des dernières décennies en Europe et dans le monde, les femmes restent sous-représentées sur la scène politique. Pour atteindre la parité, certains États ont instauré des quotas sur les listes électorales. C’est le cas par exemple de la Belgique, qui exige une égalité parfaite entre candidat·es femmes et hommes. Au niveau mondial, à ce rythme actuel, la parité dans les hautes positions de pouvoir des gouvernements ne pourra être atteinte que dans 130 ans[1].

Malgré les progrès réalisés dans la représentation des femmes au Parlement européen et dans les gouvernements nationaux, un constat s’impose :  les femmes continuent de faire face à des obstacles concernant leur participation politique[2]. Ces dernières rencontrent un niveau de défiance important lors de leur ascension aux différents niveaux de pouvoir. L’Indice de leadership de Reykjavík met en évidence que dans nos sociétés, des croyances persistent quant à la capacité des femmes à participer pleinement à la vie publique en tant que citoyennes actives ou dirigeantes. Celles-ci sont alimentées par des attitudes traditionnalistes et des préjugés tant chez les hommes que chez les femmes. Par exemple, es femmes politiques sont souvent dépeintes comme « fragiles »,  « peu fiables », « trop émotionnelles »,  « hystériques », « Niaiseuse »  ou « inaptes aux postes de dirigeantes »[3].

Ces attitudes et préjugés sociétaux nourrissent la diffusion de la désinformation genrée. Il s’agit d’un ensemble de pratiques et techniques de communication visant à influencer l’opinion publique en diffusant volontairement des informations fausses, faussées ou biaisées[4]. La désinformation devient genrée lorsqu’elle est propagée à l’encontre de personnalités publiques féminines, en suivant des scénarios qui s’inspirent de la misogynie et des rôles stéréotypés des femmes et des hommes.  Cette diffusion, lorsqu’elle cible spécifiquement les femmes, nuit directement à la crédibilité des personnes visées et peut avoir un impact psychologique profond, mais aussi des conséquences néfastes sur l’exercice démocratique de nos sociétés.

On constate que les attaques de désinformation qui ciblent les femmes politiques ont plus tendance à aborder des contenus spécifiques comportant des insinuations sexuelles, menaces et langages misogynes, contenus dont les hommes, eux, sont plus souvent épargnés. Et ce, d’autant plus depuis la dominance de communication via les réseaux sociaux ou les critiques anonymes sont plus faciles.  

Selon une étude menée par l’UNESCO[5]:

  • 42 % des femmes parlementaires ont vu des images d’elles extrêmement humiliantes ou sexualisées dans les réseaux sociaux, incluant des photomontages les montrant nues. 
  • 96 % des images « deep fakes » en ligne mettent en scène des femmes, le plus souvent connues, dans des images de pornographie non consensuelle.

Récemment, nous avons pu voir passer dans les médias : une image manipulée de la première dame d’Ukraine seins nu sur une plage, des premières dames soupçonnées d’être nées de sexes masculins, une vidéo au ralenti de la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis donnant l’impression qu’elle est ivre, ect.

Femmes et Démocratie confrontées à la désinformation genrée

Nos systèmes démocratiques reposent sur la transparence et l’accès à l’information, afin que les citoyenn·es puissent faire usage de leur esprit critique et participer au débat public. En période électorale, la désinformation peut émaner d’acteurs et d’actrices divers·es et varié·es : individus proches de gouvernements, services de police, armée ou encore partis politiques, acteurs et actrices non-étatiques, comptes extrémistes, médias non-indépendants, citoyen·nes lambda. À travers ce flot d’informations, il n’est pas rare que certaines pratiques visent à discréditer les candidats politiques. Les femmes, sont à cet égard, loin d’être épargnées.

Lorsque la désinformation vise spécifiquement les femmes avec des campagnes qui colportent des mensonges entremêlés d’insinuations sexuelles, de menaces et d’un langage misogyne, elle compromet non seulement leur réputation, leur crédibilité ainsi que leur carrière, mais également    elle compromet de manière tangible la parité de la participation à la vie démocratique. Ce phénomène alarmant réduit l’espace dont disposent les femmes pour s’impliquer dans la sphère publique et dans la vie politique, et dissuade les jeunes femmes à s’y engager. La désinformation genrée dans la sphère politique réaffirme les préjugés sexistes, les stéréotypes, la misogynie et les valeurs patriarcales.

Selon Maria Ressa, Prix Nobel de la Paix en 2021 « La désinformation sexiste va écarter les femmes de l’espace public car personne ne veut avoir à faire à ce type d’attaques ». Qui plus est, l’objectif n’est pas seulement d’attaquer les femmes individuellement, mais aussi de faire reculer l’égalité des genres. Dès lors, ce phénomène fragilise les femmes publiques, les valeurs libérales ainsi que les principes démocratiques de nos sociétés.

Certains médias, par leur pouvoir d’influence, peuvent consolider les stéréotypes de genre en présentant les femmes politiques de manière biaisée, en les réduisant à leur identité de genre, à leur « rôle »de mère, etc. Ce phénomène favorise la propagation de fausses informations basées sur le genre.

L’omniprésence des nouvelles technologies d’information tels que les réseaux sociaux, aggravent la création de faux contenus de plus en plus convaincants par le biais de vidéos « deepfake »[6], souvent à caractère pornographique et visant spécifiquement les femmes politiques. Ces vidéos, conçues à partir de l’intelligence artificielle, manipulent plusieurs pistes audios et plusieurs visuels afin de créer un contenu trompeur. Selon une étude de l’Université d’Anvers, 7% des Belges âgés de 15 à 25 ans ont déjà créé des « deepfake » à caractère pornographique.

À l’approche des élections européennes et belges, la création de faux comptes politiques, notamment ceux favorisant l’extrême droite, souligne l’ampleur du problème. En utilisant des pratiques plus proches de celles des influenceur·euses que celles des politicien·nes traditionnel·les en s’adressant à un public jeune et influençable, ces comptes construisent une image séduisante de l’extrême droite. Les jeunes pourtant les plus touché·es par ces nouveaux phénomènes, peinent à discerner le vrai du faux, manquant de critères solides pour évaluer la fiabilité de l’information.

Des réflexes à adopter pour lutter contre la désinformation

Pour contrer efficacement la désinformation genrée en période électorale, il est impératif que les citoyen·nes remettent en question les sources d’information, croisent les données et consultent une variété de perspectives afin d’obtenir une vision plus complète de la réalité. Notons que trouver la vérité peut parfois s’avérer être un casse-tête, au vu de la masse d’information qui nous touche quotidiennement. Parfois, cliquer sur « Partager » semble plus simple que de constamment confronter ses sources en s’efforçant de comprendre les enjeux et intérêts auxquels nous faisons face.

Quelques questions doivent s’imposer lorsqu’une information nous parvient :

  • Comment puis-je re-contextualiser cette information ?
  • Quel est l’objectif de cette information ?
  • Sur quelles sources l’auteur·rices  s’appuie-t-il – t-elle ?
  • Pourquoi cette information m’est-elle destinée ?
  • Quels sont les acteur·rices impliqué·es ?
  • Cette information décrédibilise-t-elle une personne ou un mouvement ?
  • Cette information renforce-t-elle l’image d’une personne ou d’un mouvement ?

Rompre avec les discours binaires et simplistes en adoptant une approche nuancée et inclusive du genre, permet de mieux reconnaitre et déconstruire la désinformation genrée. En remettant en question les stéréotypes de genre et en reconnaissant la diversité des perspectives féminines, les citoyen·nes peuvent contribuer à affaiblir le phénomène de la désinformation genrée et à promouvoir une représentation plus équitable des femmes en politiques et dans la société en général.

Afin d’outiller au mieux les citoyen·nes belges et européen·nes pendant cette période électorale, Oscar Thielen, informaticien de formation et volontaire au sein de la Justice & Paix a créé une plateforme en ligne destinée à lutter contre la désinformation :  Demystificator offre une compilation organisée de divers outils de vérifications d’information, facilitant l’accès aux citoyen·nes belges à des ressources fiables en renforçant le discernement des individus face à la désinformation. Vous pouvez accéder à ce site internet via ce lien.

Les autorités, quant à elles, doivent responsabiliser les plateformes numériques en assurant une transparence des données, fournir aux victimes des droits de procédure, comprenant un droit de recours,  mettre en place des sanctions et tenir pour responsables les auteurs et autrices de violences en ligne et de désinformation basées sur le genre[7].

Louise Lesoil.


[1] Calculs ONU Femmes disponible ici: https://www.unwomen.org/sites/default/files/2022-06/Make-parity-a-reality-fr.pdf

[2] Diego Bravi Sacha, « Les effets de la discrimination sur l’intérêt et la participation politique de ses victimes : une approche comparative et genrée » DIAL, UCLouvain, 2019.

[3] Catherine Achin, Laure Bereni, Dictionnaire genre et science politique, 2013.

[4] Brian G. Southwell, Emily A. Thorson, Laura Sheble, «  Dossier « Misinformation versus Disinformation » American scientist, n° de novembre-décembre 2017.

[5] UNESCO ; Union interparlementaire ; Deeptrace Labs.

[6] Pour accéder à un exemple de « Deepfake », suivez ce link.

[7] Recommandations de l’UNESCO : « Comment contrer les discours de haine et la désinformation genrée en ligne ? Le dialogue mondial organisé par l’UNESCO propose des solutions », 2023.

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