La participation électorale des Congolaises en 2023 : un goût de déjà vu ?

Les élections de décembre 2023 en RD Congo ont fait la une des médias pendant quelques jours. Nous voici à l’heure du bilan qui doit commencer par l’analyse de la participation politique des femmes et de ce que les images ont pu nous montrer, ou pas.

Le 20 décembre 2023, le décor des élections générales en RD Congo fut vite planté. Dès 6h du matin, des milliers de Congolais·es se pressaient à l’entrée des bureaux de vote, brandissant leurs cartes d’électeur·rices ou des duplicatas, parfois durement obtenus. Parmi les queues interminables foulant un sol d’argile, des bébés portés en écharpe se fondaient dans une masse de pagnes multicolores.

À Kinshasa, comme partout ailleurs, des candidat·es à la députation nationale, provinciale, aux élections communales ou à la présidentielle défilaient au fil des heures devant les caméras des smartphones et les micros. Un essaim de journalistes nationaux et internationaux les entouraient comme des boucliers afin d’obtenir la photo traditionnelle d’introduction du bulletin de vote… notamment les photos prisées du président finalement réélu, Félix Tshisekedi, ainsi que du prix Nobel de la paix Denis Mukwege, de Moïse Katumbi et de Martin Fayulu, les chefs de file de l’opposition.

Des images semblables tournaient déjà en boucle dans les médias belges et européens lors des élections présidentielles de 2006, 2011 et de 2018 en RD Congo : des files composées majoritairement d’hommes, à l’instar des listes électorales.

Mais en 2023, une candidate sortait tout de même de la mêlée : Marie-Josée Ifoku, ancienne gouverneure de la province de la Tshuapa et seule femme en lice parmi 19 candidat·es à la présidence, qui posait avec détermination son bulletin à la main, malgré une couverture médiatique bien plus modeste. Et pourtant elle se savait irrémédiablement perdante dans un scrutin dont l’issue était quasiment jouée d’avance, ou du moins, très prévisible, même avant le début de la campagne officielle. D’ailleurs, elle avait déjà fait le même pari en 2018, étant alors la seule femme parmi 22 candidat·es à la présidentielle.

Nous avons ainsi assisté à nouveau à un véritable acte de foi. Un acte politique qui ne voulait rien dire d’autre que les femmes peuvent aussi défendre leurs propres projets de société, rafler des voix aux autres et perdre. Car en RD Congo, les femmes ne peuvent pas rivaliser avec le vote utile lorsque leurs homologues masculins figurent en tête d’affiche.

L’hypothèse du report des élections : un levier de dissuasion 

Un mois plus tôt, beaucoup auraient été prêt·es à parier sur un report des élections, dont la rumeur circulait sur les réseaux sociaux, les médias, les conférences et les débats. C’est l’une des raisons pour lesquelles des candidats comme Martin Fayulu et le Dr Denis Mukwege auraient tardé à lancer et à consolider leurs campagnes électorales. Cette ambiance d’incertitude prolongée a représenté également un écueil considérable pour un grand nombre de candidates dans tout le pays, lesquelles ne pouvaient pas compter sur les mêmes ressources que les autres candidats pour financer leurs campagnes. Des candidats influents, jouissant des fonds de leurs partis, des sponsors de leurs provinces, voire de fonds propres, comme ce fut le cas de l’homme d’affaires Moïse Katumbi.

En RD Congo, comme partout ailleurs, les campagnes électorales sont onéreuses. Dans un pays 80 fois plus grand que la Belgique, il faut des moyens pour affréter des avions ou d’autres moyens de locomotion pour atteindre des zones rurales enclavées par les longues distances et les mauvaises routes. Il faut de l’argent pour payer une équipe de campagne, de jeunes artistes qui scandent des slogans, des influenceurs et influenceuses, « des cadeaux, des pagnes et des boissons ».

Aussi faut-il des milliers de dollars pour la diffusion des affiches et des annonces publicitaires dans les radios. Par ailleurs, le président Félix Tshisekedi est passé maître en la matière. Même avant le début officiel de la campagne le 19 novembre 2023, les Congolais·es voyaient quotidiennement son visage ainsi que celui de ses proches et sympathisant·es à la Radio-Télévision nationale congolaise (RTNC). Bien que de nombreuses femmes, notamment les candidates aux élections locales, aient fait preuve de créativité en investissant les réseaux sociaux et en faisant du porte-à-porte pour élargir leur base électorale, la concurrence était rude. En bref, il faut ce que la majorité des candidates n’avaient pas : de l’argent, du pouvoir, des contacts et de l’influence. S’endetter dès le départ pour investir dans des élections qui risquaient de ne pas avoir lieu…le calcul était vite fait.

L’incertitude du chaos

L’usage du conditionnel était alors la norme, car « si » la CENI (Commission électorale nationale indépendante) parvenait à honorer le calendrier électoral qu’elle s’était fixée, des craintes subsistaient sur la qualité de l’organisation logistique. Comment la CENI comptait-elle coordonner l’afflux des 43 millions de Congolais·es appelé·es aux urnes dans 75 000 bureaux de vote répartis sur tout le territoire, dans une course composée de près de 100 000 candidat·es ? Il y avait de quoi se creuser la tête.

Ces craintes, portées en bonne partie par les organisations de la société civile congolaise, ont été largement dépassées par la réalité. Le 20 décembre en fin de matinée, la Mission d’observation électorale (MOE – CENCO-ECC) de nos partenaires de la CENCO et de l’ECC[1] annonçait déjà de graves dysfonctionnements, avec presque un tiers des bureaux fermés, des pannes d’électricité et des machines à voter ou des saccages. Les votes, censés durer onze heures, ont été prolongés pendant plusieurs jours dans les bureaux retardataires, mettant à rude épreuve à la fois les électeur·rices et le personnel de la CENI. Même en pleine nuit, on voyait les un·es et les autres, tantôt attendant leur tour affalé·es sur des bancs d’école, tantôt en train de dépouiller les bulletins, éclairé·es par des lampes de fortune. Malheureusement, l’ouverture tardive des bureaux a été un élément dissuasif pour beaucoup de femmes, qui devaient faire face à des contraintes sécuritaires au vu des heures tardives d’ouverture de certains bureaux de vote.

Plusieurs missions électorales de la société civile congolaise ont décompté, parmi les nombreuses irrégularités, des agressions graves contre des employées de la CENI. Les mêmes missions ont observé des menaces, voire des passages à tabac, de femmes accusées arbitrairement de bourrage d’urnes ou persécutées par leur prétendue proximité filiale ou politique avec des candidat·es adversaires. C’est ce que le cardinal Fridolin Ambongo a dénoncé publiquement quelques jours plus tard, qualifiant ces scrutins de « gigantesque désordre organisé et planifié ». Or, on sait à quel point le chaos et le respect des droits civiques et politiques des femmes ne font pas bon ménage.

Réforme de la Loi électorale : une avancée qui ne constitue pas une panacée

La nouvelle Loi électorale de la RD Congo, promulguée le 22 juin 2022, a fait un pas en avant en termes de promotion de la participation politique des Congolaises et ce, grâce aux plaidoyers menés par des réseaux de femmes militantes de la société civile congolaise. Deux mesures phares ont été l’exonération des frais d’inscription pour les partis politiques ayant aligné au moins 50 % de femmes dans leurs listes électorales et la suppression de la phrase « la non-représentation de la femme ou des personnes handicapées ne constitue pas un motif d’irrecevabilité de la liste concernée ». Hélas, beaucoup de partis se sont simplement contentés de payer les frais d’inscription au lieu d’assurer la parité des genres dans leurs listes.

L’absence de contraintes est le véritable talon d’Achille de cette réforme incitatrice, suivie donc seulement sur base volontaire par les dirigeant·es des partis. Il va falloir de nombreuses années avant de pouvoir mesurer les retombées positives de cette nouvelle loi. En attendant, les Congolaises vont probablement devoir se serrer les coudes pour se frayer une place dans les rangs des partis.

Aussi devront-elles faire face à de nombreux obstacles structurels qui demeurent, tels que la précarité économique (61 % des Congolaises vivent sous le seuil de pauvreté), l’important taux d’analphabétisme et l’abandon de la scolarisation lié aux mariages précoces et au travail. L’accès à l’éducation est un enjeu démocratique majeur car elle est indispensable au renforcement des capacités des femmes pour le plein exercice de leur citoyenneté.

Le 29 janvier dernier, lors de la séance inaugurale de la nouvelle Assemblée nationale de la RD Congo, dominée par une majorité pro-Thisekedi, 64 femmes siégeaient parmi 477 député·es[2]. Elles étaient 50 aux législatives nationales de 2018. Certes, il y a eu une légère amélioration, mais ce chiffre demeure interpellant dans un pays où les femmes représentent 52 % de la population. Dans certaines provinces, comme au Kasaï, en Ituri, à Sankuru, à Mongala, à la Tshuapa ou au Sud-Kivu, aucune femme n’a été élue à la députation nationale.[3]

La démocratie ne se limite pas aux scrutins

Les stéréotypes ont la vie dure en ce qui concerne les capacités des femmes à participer dans la sphère publique et dans la prise de décisions qui les concernent. C’est un défi qui transcende la RD Congo et touche aussi les pays européens, qui se targuent pourtant de leurs valeurs progressistes. De manière générale, il y a du pain sur la planche pour parvenir à un changement des mentalités en faveur de l’égalité des genres et d’une démocratie inclusive.

Beaucoup de Congolaises y croient fermement et ont créé des réseaux d’entraide pour la préparation des dernières campagnes électorales, même entre des candidates de partis adverses.[4] Elles ont rappelé leurs convictions les plus profondes : les droits civils et politiques sont des droits inaliénables pour toutes et tous les citoyen·nes de la RD Congo. La démocratie que le peuple congolais mérite ne se construira jamais sans les femmes.

Il incombe au gouvernement congolais de mettre en place des mesures propices pour changer la donne, même dans ses propres cénacles. Cependant, la Belgique peut largement y contribuer en apportant un soutien sans faille aux projets d’éducation civique portés continuellement par les organisations de la société civile. Certes, ce fut le cas durant les dernières élections, mais il convient d’agir de manière plus opportune sans attendre la dernière ligne droite. Les prochaines élections se préparent dès maintenant ! C’est ainsi que les Congolaises parviendront, tôt ou tard, à réclamer la place qui est la leur. C’est ainsi, goutte à goutte, que les petits ruisseaux deviendront des grandes rivières.

Alejandra Mejia Cardona.


[1] Commission Episcopale Nationale du Congo et Eglise du Christ au Congo.

[2] La liste définitive sera établie le 12 mars 2024 après la fin des contentieux.

[3] « Législatives provinciales : 66 femmes recensées sur les 688 députés élus en RDC », Radio Okapi, 22/01/24

[4] Voir AIDPROFEN, organisation soutenue, entre autres, par Protection international et 11.11.11

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