Une Europe fragmentée face à la « crise des migrants »

Au quotidien, dans nos maisons comme dans la rue, dans les journaux comme sur les sites web, nous sommes bombardés par une pluralité d’informations focalisées sur ce que l’opinion publique internationale aime définir comme la “crise des migrants”. Des journalistes aux politiques, le terme employé pour qualifier cette réalité, qui nous concerne depuis des années, est “crise”. Un terme négatif, qui amène à percevoir les migrants comme un problème, comme un facteur de déstabilisation dans nos vies. Mais ce qui émerge est la nécessité de trouver une solution, urgemment, et qui risque d’être controversée. analyse_une_europe_fragmentee_face_a_la_crise_des_migrants_710x280.jpg

La “crise des migrants” est perçue comme telle sur la base de justifications économiques et sécuritaires. D’une part, l’accueil des migrants est vu uniquement comme un coût social et économique insoutenable pour nos pays, encore écrasés par le poids de la crise économique. D’autre part, le discours sécuritaire séduit, lui qui qualifie le migrant de menace contre laquelle il faut se protéger. Pourtant, le nombre de migrants qui ont rejoint le sol européen ne peut pas être comparé avec le nombre de migrants ayant mis les pieds en Turquie et au Liban. De plus, les auteurs des attentats du 13 novembre à Paris ne sont pas de nouveaux migrants mais plutôt des citoyens vivant de longue date dans des pays européens. Il est dès lors plutôt questionnable de continuer à penser que les migrants sont une menace pour notre sécurité “physique”. Il est également nécessaire de considérer les responsabilités et les erreurs des pays occidentaux. Leurs décisions en matière de politique extérieure ont joué un rôle déterminant dans la guerre au Moyen-Orient, à l’origine des flux de migrants vers l’Europe. La prise de conscience des responsabilités de l’Europe et de l’Occident dans cette crise devrait amener à repenser les politiques d’accueil trop restrictives et conduire à une réponse politique commune. Demandes d’asile Selon l’Organisation Internationale pour la Migration (OIM), 1.006.000 réfugiés sont entrés en Europe depuis le début de la “crise migratoire” en 2015. Le nombre de personnes demandant le statut d’asile n’a cessé d’augmenter depuis. Plus de 216.300 demandes ont été enregistrées dans les 28 pays de l’UE. Les 5 pays européens à recevoir le plus de demandes sont l’Allemagne, la France, la Suède, l’Italie et la Grande-Bretagne. La peur qui discrimine Les politiques gouvernementales des pays européens face à la crise des migrants ne peuvent pas être appréhendées sans donner la juste importance au sentiment de peur existant au sein des États. La peur, alimentée par les discours et les images des médias internationaux, est un facteur essentiel pour expliquer les réactions nationales au phénomène migratoire. Il s’agit d’une peur “circulaire”. Une peur qui émerge de chacun de nous et due au sentiment d’hostilité face à l’inconnu. Mais elle est peut être instrumentalisée par les dirigeants politiques. Ces derniers considèrent la peur envers l’ennemi – le migrant – comme une légitimation de leurs politiques agressives. C’est également la peur perçue par leurs citoyens qui les conduit à des virages à droite, nécessaires à leur maintien au pouvoir. Les gouvernements ont donc donné la priorité à la sécurité de leur pays, au détriment des droits de l’Homme, qui subissent des restrictions tous azimuts. L’Union Européenne, face à cette crise, a démontré son incapacité à fournir une réponse unique et efficace. Tout au long de l’année 2015, des lentes et controversées négociations ont amené les membres de l’UE à accepter le compromis concernant la relocalisation de 160.000 demandeurs d’asile qui avaient rejoint les territoires de l’Italie et de la Grèce. Mais selon son Rapport mondial 2015, Human Rights Watch déclare que seulement 272 demandeurs ont été relocalisés au début du mois de janvier 2016. Les États ont donc préféré adopter des mesures indépendamment des autres, au risque d’entrer en contradiction avec les valeurs démocratiques et les principes humanitaires de nos sociétés. Si d’un côté la Hongrie a procédé à la construction de clôtures pour empêcher l’arrivée massive de migrants irréguliers, d’un autre côté l’Allemagne n’a pas hésité à affirmer publiquement son soutien aux réfugiés. Elle a souligné la nécessité d’une politique européenne commune, fondée sur les répartitions proportionnelles, par quotas, des migrants parmi les États européens. La position allemande, qui n’a pas changé après les agressions sexuelles commises pendant le réveillon de la Saint-Sylvestre 2015 à Cologne, devrait être considérée comme exemplaire. Nombreux ont été les partis de droite qui ont instrumentalisé les évènements de Cologne pour confirmer leurs discours xénophobes et pour légitimer leurs politiques discriminatoires. Sous ce prétexte, plusieurs États ont pris des mesures restrictives en matière d’asile et ont procédé à la fermeture de leurs frontières. Ainsi, depuis le 4 janvier, la Suède a imposé des contrôles d’identité à la frontière avec le Danemark et a déclaré sa volonté d’expulser jusqu’à 80.000 migrants dont la demande d’asile a été ou sera rejetée. Parallèlement, l’Autriche a décidé d’introduire des contrôles plus stricts des voyageurs provenant de Slovénie et a affirmé la suspension des règles de Schengen. Les différentes réactions et mesures des États montrent la pluralité des réactions qui se concrétisent en une fragmentation politique au niveau européen. De plus, ces déclarations semblent remettre en question l’existence même des principes de libre circulation des personnes, les accords de Schengen. Vers un accord entre la Turquie et l’UE ? Au moment de mettre sous presse, nous apprenons que lors d’un sommet extraordinaire entre l’Union européenne et la Turquie qui s’est tenu à Bruxelles le 7 mars, ces derniers se sont entendus sur un schéma d’accord, encore à avaliser officiellement dans le courant du mois de mars. “Nous avons franchi une étape supplémentaire dans la bataille pour résoudre la crise des réfugiés”, a commenté sobrement le premier ministre belge Charles Michel. Lequel avouait ensuite son “sentiment mitigé : je ne dis pas ‘eurêka ‘, nous avons trouvé la solution. C’est un pas dans la bonne direction”. L’élément le plus spectaculaire : la Turquie accepte désormais de se faire renvoyer par la Grèce tous les migrants qui y arriveront irrégulièrement. C’est-à-dire tant les migrants économiques qui ne peuvent prétendre à l’asile, que les réfugiés syriens. L’UE quant à elle acceptera d’accueillir directement à partir de la Turquie un réfugié syrien pour un Syrien réadmis par la Turquie. Source : Le Soir, mardi 8 mars 2016 L’Europe se tourne vers la Turquie Au sein de l’UE, l’opposition des États à une politique de relocalisation et de partage des demandeurs d’asile entre les pays membres a amené la Commission Européenne à chercher une voie alternative pour la gestion des flux migratoires. à partir du mois de septembre 2015, elle a ouvert un nouveau dialogue avec la Turquie qui a abouti à la conclusion d’un “Plan d’Action Commun”, le 29 novembre 2015. L’accord entre l’UE et la Turquie établit que l’Union Européenne fournit 3 millions d’euros à la Turquie pour qu’elle collabore à mettre fin à l’immigration illégale vers l’Europe. Ainsi, le soutien économique de l’UE sera directement alloué à la protection des réfugiés et à l’amélioration de leurs conditions d’accueil. L’UE s’engage également à soutenir les efforts de la Turquie pour prévenir les afflux massifs de migrants vers les États membres. De son côté, la Turquie voit d’un bon œil l’acceptation du Plan d’Action Commun car il permet une accélération du processus d’octroi de visas européens pour les citoyens turcs et une amélioration des relations avec l’UE, fondamentale pour son projet d’adhésion. Cette réponse donnée par l’UE rencontre beaucoup de critiques de la part de la société civile internationale. Amnesty International a dénoncé les violations des droits de l’Homme perpétrées en Turquie par les forces de police, les conditions de vie précaires des réfugiés et l’augmentation de la traite d’êtres humains comme conséquences à la fermeture de la frontière avec la Grèce. De plus, l’inefficacité de l’accord est démontrée par l’arrivée continue des migrants sur le territoire grec et par les difficultés de collaboration entre les forces grecques et turques pour patrouiller en mer Egée. Et la Belgique ? La faiblesse des réponses politiques fournies par les États européens concerne aussi la Belgique. La réticence du gouvernement face à l’accueil des réfugiés se manifeste dans l’inaction et dans les déclarations “grotesques” des représentants publics. Les réfugiés dont la demande d’asile a été acceptée ont été envoyés dans plusieurs communes belges sans aucun projet de vie solide à l’appui, et sans que ni critiques ni oppositions notables ne se soient manifestées. Dans la foulée de ce désintérêt du politique, certains citoyens se sont montrés hostiles à l’arrivé réfugiés et ont montré des sentiments xénophobes envers ces “inconnus dangereux”. L’exemple doit venir d’en haut, a-t-on l’habitude de dire… Face à la réalité des nombreux réfugiés ayant dormi plusieurs nuits au Parc Maximilien à Bruxelles et aux pressions des citoyens qui s’en sont indignés, le gouvernement belge a donné son autorisation à l’ouverture du centre de pré-accueil dans le bâtiment du WTC III le 1er octobre 2015. Cependant, cette mesure n’a pas semblé suffisante face au nombre et aux nécessités des réfugiés. Plusieurs familles belges ont accueilli les nouveaux arrivés dans leur maison, les églises ont ouvert leurs portes et des citoyens se sont mobilisés pour trouver des solutions là où le gouvernement n’y est pas parvenu. Les citoyens, organisés au sein de la “Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés”, ont offert aux migrants les services basiques mais aussi un endroit où ils ont pu se sentir acceptés. Face à ce réveil citoyen, une réponse commune politique au niveau européen doit se profiler et ne peut pas être reportée indéfiniment. Elle doit se fonder sur une intégration effective des migrants dans notre société, qui ne soit pas synonyme de perte des caractéristiques culturelles, mais plutôt de respect et de compréhension de leurs valeurs. Nos décideurs politiques doivent se montrer novateurs et au-dessus de la mêlée. Ils doivent dépasser les peurs ressenties par le citoyen lambda et faire preuve de davantage d’humanité en termes d’accueil des réfugiés… Veronica Lari, avec la collaboration d’Angela Ocampo

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