L’Accord entre l’Union européenne et le Pérou a été signé en 2012 et est entré en vigueur provisoirement en 2013. L’Union européenne est le 3e partenaire commercial du Pérou. Avec ses partenaires péruviens, Justice et Paix effectue un suivi de l’application des engagements pris dans cet Accord par le Pérou. Et nous constatons à plusieurs niveaux que le Pérou bafoue très clairement ses engagements en matière de travail et d’environnement.
De façon générale d’abord, sur les 16 millions de personnes économiquement actives au Pérou, 70% se trouvent en situation de travail informel [8]. Le taux de syndicalisation dans le secteur privé est 6 fois moins élevé qu’il y a 30 ans. L’administration manque cruellement d’inspecteurs du travail (105 au lieu de 2000 qui couvrent 7% des unités économiques [9] ) laissant la porte ouverte à de multiples transgressions. On relève encore des pratiques d’esclavage moderne au Pérou. Il se situe à la 18e place sur 181 dans ce domaine [10].
Par ailleurs, au niveau de sa législation du travail, le Pérou dispose d’une Loi Générale mais aussi de nombreux régimes spéciaux parallèles qui mettent en danger les travailleurs. Cette Loi Générale conditionne les contrats temporaires à une cause qui les justifie (travail de saison par exemple) mais elle prévoit aussi une série de modalités qui autorisent ce type de contrats sans aucun lien avec une justification temporaire. Des emplois normalement permanents deviennent ainsi des emplois temporaires et permettent à l’employeur d’éviter tous les coûts liés à la protection des travailleurs. Ainsi, en 2014, seuls 56,8% des travailleurs disposaient d’un contrat de travail dont 61,1% d’un contrat de courte durée.
En plus de la Loi Générale du travail, des régimes spéciaux facilitent encore plus les emplois temporaires. C’est le cas de la Loi d’Exportation Non Traditionnelle qui permet le renouvellement infini de contrats temporaires liés à des activités d’exportation. Cette dernière rend la situation des travailleurs très instable et met en difficulté l’exercice de leurs droits, notamment celui de la liberté syndicale. Il a été prouvé que de nombreux contrats n’étaient plus renouvelés en raison de l’affiliation syndicale des travailleurs.
La Loi de Promotion du Secteur Agricole est un autre régime parallèle à la Loi Générale qui réduit les droits des travailleurs pour favoriser l’expansion du secteur agricole. Cette loi octroie des indemnisations de licenciement réduites et des congés annuels de 15 jours au lieu de 30. Les travailleurs sous ce régime reçoivent également un salaire moins élevé.
Enfin, le Pérou a une attitude particulièrement passive face aux transgressions de ses lois par les entreprises, notamment en matière de liberté syndicale. De nombreux cas de licenciements abusifs pour cause d’affiliation syndicale ont été recensés. Les amendes imposées dans certains cas n’ont pas permis l’arrêt de ces pratiques démontrant la faiblesse des autorités du travail au Pérou.
Comme on le voit, le Pérou ne parvient pas à tenir les engagements conclus dans l’ALE. Sa législation en matière de travail est faible et dispersée. Il ne respecte pas non plus la convention de l’OIT qui concerne la négociation collective et la liberté syndicale.
Au niveau environnemental, l’on constate principalement une diminution du niveau de protection depuis 2013 dans le but affiché de faciliter les investissements, de façon tout à fait contraire à l’Accord. À travers l’adoption d’une série de nouvelles normes, le Pérou montre un véritable recul en la matière. La création, par exemple, de l’Instrument Technique Substantiel (ITS) permet à des entreprises de modifier des composantes non significatives d’un projet déjà approuvé sans consulter la population ni réévaluer l’impact environnemental, et cela en 15 jours seulement. C’est ce changement qui a été à la base du conflit de Las Bambas dans la province d’Apurimac en 2015. Lorsque l’entreprise chinoise MMG a racheté le plus gros projet d’extraction de cuivre du Pérou à l’entreprise Xstrata, elle a opéré 5 changements supposés non significatifs sans en avertir la population. Parmi ces changements, le transport des concentrés de minerais via le passage de 300 camions par jour dans les deux sens sur une route bordée par de nombreuses communautés. Mais une fois connus publiquement, les communautés ont souhaité recevoir plus d’informations sur ces changements. Ignorées trop longtemps par l’entreprise et l’État, le conflit s’est envenimé et a atteint son pic lors d’un affrontement entre communautés et forces de police. Bilan : 3 morts, des dizaines de blessés et de personnes poursuivies judiciairement. Aujourd’hui, le conflit n’est pas terminé. Les communautés bloquent régulièrement les routes pour protester. Le gouvernement a récemment prononcé l’État d’urgence dans plusieurs districts.
Cette mesure est loin d’être isolée. Le Ministère de l’Environnement a perdu nombre de ses compétences. Le contrôle des infractions environnementales des entreprises est allégé. Le délai d’approbation des études d’impact environnemental à rendre avant un projet a été réduit et la pression sur les travailleurs chargés de l’approuver a augmenté, etc.