Sortir des crises par les droits, l’égalité et la démocratie : une contribution à la discussion (Partie II)

Quelles seraient quelques-unes des questions fondamentales à se poser et quelles pourraient être quelques pistes à explorer pour nous doter de politiques, de règles et d’institutions nous permettant de vivre mieux?

Introduction

Comment faire en sorte que chaque être humain puisse librement définir ce qu’il entend par vivre bien et puisse vivre en conséquence?

Comment faire ceci tout en respectant les limites de l’environnement, le bien-être des animaux et les écosystèmes?

Un élément important de la réponse à cette question consiste à mettre en place un processus politique et sociétal global impliquant une démarche générale, ouverte et permanente d’enquête, de délibération et d’expérimentation. Ce texte est la deuxième et dernière partie d’un tout. La première partie visait à esquisser les caractéristiques de base de ce processus. Cette partie-ci, quant à elle, vise à brosser un tableau, non exhaustif, des questions et problèmes que ce processus aurait à traiter.

Objet du processus

Le processus peut porter sur tout élément faisant ou pouvant faire l’objet d’un choix politique. Néanmoins, il semble important d’en esquisser certains en particulier.

Le processus comme son propre objet

Le processus dont il est question ici est à construire. Il s’agit donc de discuter et d’améliorer les propositions formulées dans la première partie de ce diptyque, d’en imaginer et d’en expérimenter les modalités possibles de mise en œuvre. En outre, tout évolue, et le processus aussi. Il importe donc de garder sur celui-ci un regard constamment critique et créatif afin de le renforcer et d’éviter que, ne changeant pas assez ou pas de manière adéquate, il ne devienne obsolète ou inopérant ou qu’il ne devienne plus une gêne ou un frein qu’un outil dans la quête de la vie bonne pour tout le monde et du respect de l’environnement. Ce regard critique et créatif peut donc amener à tout discuter, pour autant qu’on prenne soin de préserver les conditions de base du processus, sans quoi ce dernier risquerait de se pervertir.

Parmi les questions à se poser dans ce cadre, il y a celle des médias. Il s’agit de se demander comment assurer l’information générale du public, comment mettre en place les conditions de l’accès de tout le monde à des médias de qualité professionnelle, jouissant d’une liberté maximale d’opinion, d’information et de ton et ne dépendant d’aucun pouvoir de quelque sorte que ce soit.

Une autre question cruciale porte sur les manières d’assurer un soutien académique et scientifique à ce processus. Il s’agit de se demander comment faire en sorte que la recherche soit libre et indépendante et que ses résultats, mêmes provisoires, ses questionnements, ses doutes, etc. soient suffisamment vulgarisés, diffusés et discutés dans le public général, mais également construite avec ce dernier.  Il s’agit de faire en sorte que la recherche soit en mesure de contribuer librement et efficacement à la discussion et à la délibération démocratiques.

Il s’agit aussi de trouver les moyens d’assurer l’accès de toute personne à un réseau Internet qui est régi par les principes esquissés plus haut de respect de l’environnement, de démocratie, de discussion et délibération, d’égalité et de droits humains, qui est organisé de manière à réduire son impact environnemental, qui a pour fonction principale d’être un lieu de création et d’échange d’opinions, d’idées, d’œuvres en tous genres, d’informations et qui garantit réellement la vie privée des usagers. 

Enfin, il faut se poser la question de l’autorité politique et de l’administration qui seraient censées, d’une part, en assurer l’encadrement, la régulation et le soutien et, d’autre part, participer à la mise en œuvre des décisions prises. C’est donc se demander aussi en quoi les formes actuelles de l’autorité politique et de l’administration se rapprochent ou s’éloignent des conditions de base du processus et de quelles manières il faudrait les réformer.

L’économie

  • L’économie prise dans son ensemble

Il faut se demander comment mettre l’économie au service de l’objectif double de vie bonne pour tout le monde et de préservation de l’environnement et donc comment fonder cette économie sur les valeurs de respect de l’environnement, de démocratie, de discussion et délibération, d’égalité et de droits humains.

Il s’agit donc, pour commencer, de redéfinir la fonction sociétale de l’économie. Pour cela, on peut discuter l’idée selon laquelle l’économie devrait avoir pour rôle, d’une part, de fournir la base matérielle nécessaire à la satisfaction de besoins librement définis servant à l’accès à la vie bonne et, d’autre part, de faire en sorte que l’activité économique, et donc le travail, soit une source de sens et de joie.

Cette question et l’ébauche de réponse qui est proposée ici sont étroitement liées à la question de la possible inclusion de l’économie dans un cadre politique et sociétal plus large comportant plusieurs niveaux.

Le premier niveau porte sur la notion de vie bonne. L’action en la matière consiste à identifier et à assurer les conditions par lesquelles, d’une part, chaque personne est en mesure de se faire son idée de la vie bonne et, d’autre part, il est possible de gérer pacifiquement les conflits pouvant résulter de la diversité et de la concurrence des visions en la matière. Ceci implique notamment de questionner et ébranler la domination actuelle d’une vision de la vie bonne centrée sur la place qu’on occupe dans l’appareil de production et sur la consommation, non seulement comme base matérielle nécessaire à la vie, mais aussi, et souvent surtout, comme base de choses telles que l’estime de soi, le statut social, la reconnaissance sociale, le sentiment d’appartenance ou la capacité à se distinguer.

Le second niveau porte sur les rapports entre l’accès à la vie bonne et la satisfaction des besoins, définis comme étant la capacité de faire certaines choses telles que se loger, se nourrir, être en bonne santé, avoir des relations sociales, participer à la vie économique, sociale, politique et autre de la communauté ou toutes autres choses jugées utiles à l’accès à la vie bonne. Il s’agit de viser à ce que chaque personne puisse comprendre quels types de besoins peuvent contribuer à sa capacité à vivre bien et puisse poser un regard critique sur ses besoins, se demander d’où vient qu’elle ressent ces derniers, en quoi ils sont utiles à sa vie bonne, s’ils ne recouvrent pas des besoins plus fondamentaux, etc. Il faut aussi mettre en place les cadres d’analyse, d’enquête et de délibération et autres outils nécessaires pour construire une vision globale des facteurs qui déterminent la satisfaction de ces besoins. Cette vision globale peut être construite sur la base de la confrontation et de l’articulation de visions partielles dont chacune peut, par exemple, porter sur la satisfaction d’un besoin particulier. L’élaboration de cette vision générale se fait notamment en référence aux instruments juridiques européens et internationaux relatifs aux droits humains et à la protection environnementale, et notamment sur les objectifs de développement durable, comme source importante de l’élaboration de cette vision générale.

Le troisième niveau porte sur les mesures, notamment politiques, à prendre, sur la base de cette compréhension, pour garantir la satisfaction des besoins de chacun et chacune. Il s’agit de favoriser et de garantir les conditions d’une discussion et d’une délibération démocratiques qui se basent sur la vision globale évoquée au paragraphe précédent et qui vise à définir les actions concrètes à entreprendre pour garantir la satisfaction des besoins de chaque personne tout en respectant l’environnement. Ces actions concrètes portent sur l’ensemble des politiques publiques et dépassent donc de loin la seule question de la consommation et de la production ou de la mise à disposition de biens et de services.

Enfin, le quatrième niveau est plus spécifiquement économique. Il comporte au moins deux aspects. Le premier porte sur la production et le travail et donc sur la recherche, la mise en place et l’expérimentation de manières de produire et de travailler qui soient nettement plus démocratiques et écologiques et qui soient telles que le travail soit une source de sens et de joie. Le second porte sur les manières de rendre les choix de technologie plus démocratiques, réfléchis et responsables.

  • Questions économiques spécifiques

L’économie est, pour l’essentiel, un ensemble de règles, d’institutions et de manières d’agir qui peuvent – et en fait, devraient – faire l’objet de discussion et de délibération dans le cadre d’un processus tel qu’esquissé dans cette double analyse. Certaines de ces questions sont brièvement abordées dans les lignes qui suivent. Bien que particulièrement importantes, deux questions ne sont pas abordées ici – ou ne sont qu’à peine effleurée: la propriété et le travail. Il en va de même de la question de la publicité commerciale et de l’idée d’informer sans chercher à inciter à la consommation.

Il est utile de se demander comment redéfinir l’objectif de croissance économique sur la base d’une comptabilité alternative permettant de mieux saisir et mesurer en quoi l’activité économique contribue réellement au bien-être et aux droits dans toutes leurs dimensions et en quoi elle favorise et respecte un environnement sain. Il s’agit donc de construire une comptabilité qui comprend un ensemble d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs, qui est suffisamment simple et accessible pour être compréhensible et utilisable par un public le plus large possible et, en même temps, suffisamment élaborée et complète pour servir à une analyse et une évaluation fines de la situation et être un outil effectif de la prise de décision.

Il faut aussi se demander comment faire en sorte que les entreprises ne soient actives que dans le cycle de vie, au sens large du terme, de biens et services utiles à la communauté et qu’elles le fassent dans le respect de l’environnement. Ceci implique de définir un cadre permettant de juger de cette utilité sociale de l’activité économique envisagée et de revoir comment les entreprises fonctionnement et comment l’État régule leur activité. Ceci implique très vraisemblablement d’envisager des réformes profondes tant des entreprises que de l’État.

Dans ce cadre, il faut discuter et rechercher les manières d’assurer la transition vers des modes réellement démocratiques de gestion d’entreprise. Ces manières portent entre autres sur la recherche, l’information, le conseil et la formation sur ces questions, sur des mesures de soutien, y compris financier, à la transition vers la démocratie interne, sur un accompagnement et un soutien accrus à la mise en place d’entreprises se voulant démocratiques dès le départ ou encore, si besoin est, sur des mesures plus coercitives.

Il faut aborder aussi, de manière spécifique la question de la gestion des activités économiques qui, soit relèvent du service public, soit ne peuvent être menées efficacement qu’à des échelles posant ou pouvant poser des problèmes politiques. Dans le cas de telles entreprises, il convient de discuter, par exemple, la possibilité d’un cadre de gestion double. Dans ce cadre, on distingue, d’une part, des questions purement internes, qui n’ont d’implication que pour le personnel et, d’autre part, les autres questions, qui ont des implications plus larges. Les premières sont laissées à la discrétion du personnel qui les règle de manière autonome et démocratique. Les secondes sont réglées selon un cadre visant à assurer, d’une part, la représentation du personnel, des consommateurs et des populations potentiellement affectées par l’activité et, d’autre part, le respect des normes notamment de droits humains, sociales et environnementales. Si l’activité économique génère des bénéfices, ces derniers servent au réinvestissement, puis au financement général de l’action de l’autorité publique.

Il faut définir comment organiser les institutions de financement et d’assurance selon le cadre de gestion double juste évoqué – ou selon un cadre équivalent – et faire en sorte que les mécanismes et outils de financement et d’assurance de l’activité économique favorisent la capacité des entreprises à mener une activité socialement utile et responsable et ne créent pas de risques de perversion du cadre démocratique, écologique et égalitaire général. Il importe donc que ces mécanismes et outils excluent toute prise de contrôle même partielle ainsi que toute exigence de retour autre de modérée.

Il est important, également, de trouver une ou des solutions à la contradiction problématique entre l’impératif sociétal de limiter les niveaux d’inégalités et le fait que la monnaie, sous sa forme actuelle en tout cas, permet l’apparition d’inégalités importantes. Les voies qui peuvent être explorées pour cela comprennent la conception et la création de nouvelles formes de monnaie ainsi que le développement de la gratuité.

Une réflexion doit également porter sur la question des prix et de leur éventuelle régulation. Il s’agit de définir comment assurer, d’une part, l’accès à des biens et services appropriés, de bonne qualité, en quantités suffisantes et à des prix abordables et, d’autre part, la rémunération équitable des producteurs et productrices, la capacité suffisante de réinvestissement et l’incitation suffisante à produire.

Il est également utile de se poser la question de la propriété et de la gestion des ressources naturelles et des services écosystémiques. Une idée à discuter dans ce cadre consiste à traiter ces choses comme des biens communs dont l’exploitation ou la non exploitation, et la préservation, sont régies de manière ouverte et démocratique dans le cadre d’une stratégie globale visant à contribuer au mieux à l’objectif général de vie bonne dans le respect de la préservation environnementale.

Dans le cadre de cette discussion sur les ressources naturelles et les services écosystémiques, il importe aussi de se demander comment réduire autant que faire se peut l’impact environnemental de l’activité humaine. Des éléments de réponse peuvent consister à adopter une vision globale des mesures pouvant contribuer à cet objectif et à hiérarchiser ces dernières sur la base de leur impact social et environnemental, de manière à favoriser les mesures les plus favorables à l’environnement et aux droits. Se pose aussi la question des manières de faire en sorte que cet objectif général soit une priorité centrale sur toute la chaîne de valeur et tout au long du cycle de vie des produits, y compris aux stades de la recherche et développement et de la conception.

Enfin, il faut se demander comment concilier une politique générale centrée sur les droits, la vie bonne et l’environnement et des finances publiques stables et saines. Ceci implique de remettre en question l’idée selon laquelle l’autorité publique de peut prendre en charge que ce qui implique des pertes financières et donc de définir les principes et modalités de son exercice d’une activité rentable. Ceci implique aussi de voir en quoi la politique publique, de manière générale, doit être fondée sur les valeurs de respect de l’environnement, de démocratie, de discussion et délibération, d’égalité et de droits, non seulement comme fondements nécessaires, mais aussi comme conditions de base de finances publiques saines. Il faut se demander en quoi le manque d’égard à ces valeurs se solde tôt ou tard par des problèmes de finance publique.  

Conclusion

Le processus esquissé dans les deux parties de cette analyse est une chose à définir et à faire évoluer en permanence, tout en veillant à préserver ses conditions de base que sont le souci de respecter l’environnement, la démocratie, la discussion et délibération, l’égalité et les droits humains. Il peut porter sur tout choix politique, règle, institution ou manière collective d’agir.

Dans cette partie, il a été questions de certaines questions que ce processus devrait aborder. Mais ce ne sont certainement pas les seules. En outre, on peut trouver d’autres manières de les formuler. On peut aussi trouver des alternatives ou des variantes aux éléments de réponses esquissés ici. Le cadre ou processus esquissé dans ces deux parties peut être vu comme une contribution à la définition à la fois de ce que pourrait être un cadre politique, institutionnel de prise de décision et d’une démarche citoyenne de changement politique, notamment par l’évolution des idées.

Mikaël Franssens.

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