La relance de l’exploitation minière en Belgique soulève de nombreuses questions. Entre impératif écologique et mirage techniciste, faut-il vraiment creuser pour avancer ? Ce texte plaide pour une transition sobre, juste et réellement démocratique.

Crédit : Christophe Vandercam.
L’annonce en juin 2025 d’envisager de rouvrir le livre de l’exploitation minière en Belgique ne nous laisse pas indifférents. Sous couvert d’un appel à la souveraineté stratégique ou à la transition énergétique (on notera au passage qu’on n’a pas évoqué les secteurs de l’armement, ou encore de l’aérospatial, sans doute moins consensuels), il faut bien garder à l’esprit que derrière la relance de l’exploitation minière en Belgique, c’est une vision de société qui va se redessiner. Et surtout, cela suppose de ne pas céder à cette illusion techniciste : extraire chez soi ne garantit ni la justice sociale, ni le respect des écosystèmes, ni une démocratie économique digne de ce nom. Cela mérite donc à tout le moins un débat public lucide à la mesure des conséquences d’un tel projet.
Alors, ne nous voilons pas la face : oui, la transition bas-carbone réclame des métaux en quantité, et oui, l’Europe doit réduire ses dépendances extérieures. Mais croire, et surtout affirmer, que rouvrir des mines suffira à relever ces défis relève d’une vision partielle, voire simpliste, car extraire, même avec les technologies du 21ᵉ siècle, reste une activité à forts impacts[1] : pollutions, tensions sur les sols, atteintes à la biodiversité, risques sanitaires, destruction des paysages, sans oublier les lourdes conséquences sociales. L’histoire industrielle belge en porte encore les cicatrices, avec des sites dont la réhabilitation incombe toujours aujourd’hui non pas aux entreprises extractivistes mais aux pouvoirs publics.
Croire que la relance minière nous affranchirait réellement de nos dépendances stratégiques est un leurre. À l’heure où une poignée de pays contrôlent la majorité des chaînes d’approvisionnement en minerais critiques, une hypothétique filière locale ne suffira pas à nous garantir autonomie et stabilité[2]. La relance risque même de nous replonger dans des rapports de dépendance en matière de brevets, de machinerie, d’investissements, ou de compétences techniques que nous ne maîtrisons pas ou plus intégralement. La souveraineté minière nationale ne pèsera donc pas très lourd si elle reste captive d’une géopolitique mondiale dont nous contrôlons de moins en moins les règles et les priorités.
Le Code minier wallon[3] (Code de la gestion des ressources du sous-sol) de 2024 a pourtant prétendu introduire des garde-fous importants : principe de gestion parcimonieuse du sous-sol, évaluation stratégique sur plusieurs décennies, obligation de plans de post-gestion, caution financière, constitution d’un conseil scientifique et mise en place d’un comité citoyen. Cela témoigne d’une vigilance bienvenue, qu’il serait dangereux de simplement contourner pour accélérer de nouveaux projets parce que nécessité ferait loi (mais nous n’en sommes heureusement pas encore là fort heureusement). Ces garde-fous n’ont pas été inscrits dans la loi pour l’embellir ou simplement pour apaiser les consciences : ils traduisent des décennies d’apprentissages douloureux à l’échelle du pays, où les promesses de maîtrise technologique n’ont pas empêché les pollutions ni les dérives sociales. Il suffit de simplement jeter un regard dans le rétroviseur et de voir ce à quoi a été confrontée la Wallonie et la Belgique durant les deux derniers siècles. Omettre ces garanties au nom d’une urgence industrielle, c’est prendre le risque de répéter les erreurs du passé, avec des impacts humains, sanitaires et environnementaux qui dépasseraient largement les seuls bénéfices escomptés… Ne sous-estimons donc pas non plus l’importante charge symbolique qu’emporte une relance minière. La Wallonie porte dans sa mémoire collective la trace d’un monde industriel disparu, laissant des séquelles économiques et humaines toujours apparentes. Redonner vie à ces chantiers, c’est raviver un imaginaire que beaucoup estime dépassé. Comment préserver la dignité et l’identité de ces régions sans leur imposer un retour en arrière ? La question doit aussi d’être posée sans tabou.
Sur le plan du bilan climatique, même avec des technologies modernes, l’industrie minière pèse lourd en émissions de gaz à effet de serre et autres gaz néfastes, en consommation d’eau et d’énergie et en pollution de l’air et des sols. Cette démarche n’est pas neutre sur le plan de la trajectoire climatique et ne pourra jamais l’être. À un moment où chaque tonne de CO2 compte, cela reviendrait à additionner impacts locaux et globaux et pourrait réduire à néant les efforts d’atténuation attendus d’une véritable transition bas-carbone. Au-delà de cette seule préoccupation, celle des alternatives mérite d’être évoquée. Le Code minier wallon reconnaît que les ressources issues de l’économie circulaire – ce qu’on appelle la « mine secondaire » – doivent être investies en priorité avant toute nouvelle exploitation minière : la mine urbaine[4], le recyclage et la sobriété devraient constituer notre premier levier d’action ou même notre priorité.
La relance d’une filière minière belge questionne aussi le partage de la valeur : qui va en bénéficier ? Qui en supportera les nuisances ? Comment faire respecter le droit à la participation citoyenne de manière authentique ? Ces interrogations que nous préoccupent dans les pays du Sud global, nous allons certainement devoir en débattre chez nous aussi[5] et peut-être découvrir que l’opacité des choix opérés, que la concentration du pouvoir économique et que l’invisibilisation de voix dissidentes de la société civile ne sont pas l’apanage de régimes lointains, mais qu’elles pourraient constituer des risques bien réels en Wallonie aussi.
La transition énergétique ne peut se résumer à la seule relance de la prospection minière et de la réouverture de mines mais doit s’inscrire dans une approche plus systémique : transformer nos usages, réduire notre appétit en matières premières, développer massivement l’écoconception, la réparabilité, la réutilisation, le recyclage, et réorganiser les chaînes de valeur mondiales sur un mode plus solidaire. La question ne devrait donc pas seulement être « où l’on extrait ? », mais « pourquoi ? », « pour qui ? », et surtout « avec quelles garanties démocratiques ? »… Cela engage aussi la crédibilité d’une Belgique qui se veut respectueuse du climat et solidaire à l’échelle internationale. En relançant des activités minières, nous prenons le risque de retomber dans une logique extractiviste que nous dénonçons ailleurs, dans des pays producteurs qui paient lourdement le prix de nos transitions occidentales.
La planète atteint dangereusement des limites critiques, la sobriété ne doit donc pas être considérée comme une option de confort d’une frange de la population surinformée mais comme un levier pour garantir un avenir viable et solidaire. Elle implique des choix structurels ambitieux, un changement de cap dans les politiques industrielles voire une redéfinition de nos indicateurs[6] de prospérité. La véritable souveraineté ne consiste pas à accumuler des minerais pour les exploiter et en tirer des profits, elle devrait servir aussi à maîtriser nos consommations et à les rendre compatibles avec les droits humains et la préservation des écosystèmes.
En somme, avant de rouvrir la page de l’exploitation minière, souvenons-nous que toucher au sous-sol, c’est engager nos responsabilités. Des responsabilités qui ne s’arrêtent pas aux quelques filons historiquement exploités dans le sous-sol wallon. Cela concerne la capacité de nos sociétés à construire une transition réellement juste, durable et partagée. Au-delà de l’effet d’annonce, c’est bien d’une vision systémique dont nous avons besoin afin d’éviter de retomber trop facilement dans les erreurs du passé.
Quentin Hayois.
[1] Association SystExt (Systèmes extractifs et Environnements). Controverses minières : pour en finir avec certaines contrevérités sur la mine et les filières minérales. Volet 1. Rapport d’étude, SystExt, Paris, novembre 2021, p. 8, 162 pages.
[2] Élvire Fabry et Sylvie Bermann, Construire l’autonomie stratégique de l’Europe face à la Chine, rapport n° 124, Institut Jacques Delors, décembre 2021, p. 119.
[3] Décret 14 mars 2024 instituant le Code de la gestion des ressources du sous-sol.
[4] Martin Rutsaert, La mine de demain : regard critique sur la mine urbaine, Bruxelles, Commission Justice & Paix, 27 mars 2025.
[5] Thomas Frédéric, Exploitation minière au Sud : enjeux et conflits, in Industries minières – Extraire à tout prix ?, Alternatives Sud, CETRI/Syllepse, 2013.
[6] Sarah Verriest, Le PIB fait-il le bonheur ? Commission Justice & Paix, 20 mars 2025.