L’engouement pour les nouvelles technologies et leur intégration presque naturelle dans notre société agissent tel un écran de fumé, masquant les défis et les conséquences environnementales et sociétales découlant de leur production et de leur consommation. Face à ce constat, la démarche low-tech propose non seulement des solutions pratiques, mais invite d’abord à une réflexion visant à reconsidérer notre culture de consommation et nos rapports aux technologies.
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Smartphones, ordinateurs portables, tablettes, intelligence artificielle (IA), drones, montres et autres appareils connectés, autant de prouesses technologiques qui ont rapidement intégré divers secteurs de notre société. Que ce soit dans le domaine de la communication, le domaine médical, le transport, le secteur militaire, et bien d’autres encore, ces innovations ont transformé et modernisé notre quotidien de manière drastique.
Toutefois, bien qu’elles promettent de simplifier nos habitudes, la production et la consommation de high-tech soulèvent plusieurs interrogations liées à une perspective de déshumanisation. Par déshumanisation, nous entendons la perte de qualités humaines, morales et éthiques, mais également du lien social, renvoyant notamment à la fragilité des droits humains face aux high-tech.
Ces préoccupations portent notamment sur les utilisations induites par ces technologies en situation de conflits, mais aussi sur l’impact environnemental et social derrière les high-tech. Mettant en lumière ces enjeux interconnectés, cette brève analyse encourage une réflexion critique et une remise en question active de nos usages technologiques qui, bien souvent banalisés, creusent un écart de conscience face aux problématiques inhérentes ou dérivées des high-tech.
High-tech : vecteurs de pouvoir et menace pour les droits humains
Alors que les technologies de pointe continuent de façonner les dynamiques de pouvoir et la manière de faire la guerre sur l’échiquier géopolitique contemporain, les données sont par exemple devenues des ressources précieuses tant pour les pouvoirs publics que pour les intérêts privés. De plus, les contrats militaires signés avec des entreprises technologiques accentuent l’importance stratégique de l’innovation technologique et de l’information dans les conflits modernes.
Dans ce contexte, l’utilisation excessive ou détournée des high-tech met en péril différents pans des droits humains. On l’a récemment vu avec l’emploi déshumanisé et abusif de drones et des systèmes de surveillance et de repérage dans le conflit armé entre l’Ukraine et la Russie, ainsi qu’entre l’État d’Israël et le Hamas[1]. Mais on le voit aussi dans les guerres informationnelles, notamment avec les cyberattaques et les opérations d’ingérence politique à l’étranger, particulièrement en périodes électorales, comme en témoignent les relations entre les États-Unis et la Chine, ou entre la France et la Russie. La reconnaissance faciale, les caméras de surveillance publiques, et la diffusion de propagande et de désinformation sur les réseaux sociaux sont d’autres exemples flagrants de l’influence des high-tech sur les dynamiques de pouvoir, les interactions sociales et les droits fondamentaux.
Ainsi, que cela nous touche de près ou de loin, le recours aux high-tech restreint certains droits, tels que la liberté d’expression, de réunion ou de mouvement, la liberté et la sûreté, l’identité personnelle et la vie privée.[2] De plus, bien que les innovations promettent des gains de productivité et une amélioration de notre qualité de vie, la perspective d’un avenir dominé par les technologies suscite une inquiétude croissante quant à la déshumanisation induite par l’usage intensif des high-tech. Ces préoccupations concernent non seulement nos dimensions sociales et relationnelles, mais aussi l’impact sur le recours, ou non, de force humaine dans le monde du travail.
Impact environnemental des high-tech et répercussions sociales
La course à l’innovation influence notre manière de consommer des produits high-tech. Par exemple, au travers de l’obsolescence programmée (réelle ou perçue), ainsi que par la création de nouveaux besoins, souvent accentuée par des stratégies marketing orientées vers l’accroissement d’intérêts économiques. En tant que consommateur·rices, ces dynamiques nous poussent à renouveler fréquemment nos appareils, générant, en conséquence, une quantité considérable de déchets plastiques et électroniques. Ces déchets, souvent mal recyclés, contiennent des substances toxiques qui contaminent les sols et les eaux, représentant une menace directe pour la santé des populations locales et pour l’environnement.
D’autre part, comparées à « l’or noir » du XXIe siècle, les données numériques (data ou même Big Data) sont devenues une ressource économique majeure dont la valeur est désormais comparée à celle des ressources naturelles. Toutefois, l’analogie est à mitiger, car à la différence de l’or, les données peuvent être continuellement exploitées sans épuiser leur potentiel. De plus, bien que l’utilisation et le traitement des données semblent dématérialisés et déshumanisés en raison de leur nature numérique et abstraite, il convient de rappeler que derrière nos interactions virtuelles courantes (e-mail, cloud, recherches internet, etc.), des impacts environnementaux et sociétaux inhérents aux high-tech sont générés par chacun de nos clics. En effet, derrière ces activités se trouvent d’énormes data centers, alimentés 24h/24h, et qui consomment d’énormes quantités d’énergie et d’eau pour compenser les surchauffes. Bien que des alternatives en matière de refroidissement soient proposées par des géants de la tech comme Google ou Microsoft, la menace pesant sur l’eau, une ressource vitale de plus en plus menacée, demeure préoccupante.
En plus de l’eau, l’extraction de métaux rares nécessaires à la fabrication notamment de smartphones, ordinateurs et voitures électriques, entraîne aussi des dégradations écologiques, ainsi que des rivalités géopolitiques autour des ressources naturelles et des violations des droits humains.
De même que l’extraction de cuivre et de cobalt en République Démocratique du Congo est souvent associée à l’exploitation des enfants et à des conditions de travail déplorables dans des mines contrôlées par des milices[3], l’extraction de lithium en Argentine et au Chili, bien que présentée comme essentielle pour la transition vers une économie à faible émissions de carbone, engendre également des impacts environnementaux sévères sur les écosystèmes locaux, des conditions de travail précaires qui menacent la santé des travailleur·euses, et des conflits entre les entreprises minières et les communautés autochtones[4]. En Chine, les conditions de travail dans les usines, notamment en période de pic de demandes tel que pour les fêtes de fin d’année, conduisent parfois les employé·es au suicide[5] en raison du stress, d’une cadence accrue de travail et du manque de repos.
Ces exemples concrets, dérivés de la production de high-tech et, par extension, de notre propre surconsommation, illustrent comment l’utilisation de ressources naturelles dans nos appareils d’usage quotidien engendre non seulement des problèmes éthiques et environnementaux, mais aussi des tensions internationales dues à la rareté de ces ressources. Ils illustrent également la dépendance des développements technologiques occidentaux vis-à-vis des ressources des pays du Sud. Ces réalités, souvent invisibilisées par nos pratiques d’achat et nos comportements d’usage, soulignent la nécessité de repenser notre culture de consommation et la place de nos besoins dans un contexte global.
Prise de conscience et pistes d’action low-tech vers plus de sobriété
Émergeant comme une réflexion critique et une approche pratique aux excès et aux limitations de notre consommation énergivore, la démarche low-tech implique de réévaluer le sens associé à nos rapports aux high-tech, et de considérer le cycle de nos consommations, pour ensuite amener volontairement à des changements de paradigmes.[6]
Dans cette perspective, une réflexion sociale et culturelle est nécessaire pour tendre vers des changements politiques et économiques concrets. À ce titre, la démarche low-tech en tant que philosophie, invite à remettre en question nos imaginaires individuels et collectifs, en mettant l’accent sur une conscience de consommation plus éthique, plus sobre et réfléchie.
Dans une perspective de solidarité globale, le mouvement low-tech nous invite en tant qu’acteurs et actrices du monde, à réévaluer nos habitudes technologiques et prendre en compte leurs impacts sociaux et environnementaux. L’objectif est ainsi de guider nos choix de vie et de consommation de manière plus consciente et responsable.
Andrea Marin Cardona.
[1] William Hartung (2024). “Getting past the hype on emerging military technologies is a life and death issue”, Forbes.
[2] Joelle Rizk et Sean Cordey (2023). “Les menaces numériques dans les conflits armés : ce qui nous échappe et comment y remédier”, Droits & Politiques Humanitaires.
[3] Jocelyn C. Zuckerman (2023). “For Your Phone and EV, a Cobalt Supply Chain to a Hell on Earth”, YaleEnvironment360.
[4] Datu Buyung Agusdinata et al (2018). “Socio-environmental impacts of lithium mineral extraction: towards a research agenda”, Environ. Res. Lett., 13.
[5] Actions de Carême (n.d). “Les droits humains dans l’industrie électronique”.
[6] Valérie Guillard (2022). “Vers une société de la sobriété : les conditions d’un changement de comportement des consommateurs”, Revue de l’institut Veolia, 23.