L’anthropocène, cette époque géologique caractérisée par l’empreinte indélébile des activités humaines sur la planète, nous confronte à des défis environnementaux sans précédent. Parmi les principales menaces pesant sur notre « système Terre », l’extraction massive d’énergies fossiles et de métaux, motivée par une consommation croissante, joue un rôle central. Face à ces enjeux, il est impératif d’explorer des solutions qui transcendent la simple course aux innovations technologiques.
Crédit image : Margerretta
L’anthropocène, cette époque géologique caractérisée par l’empreinte indélébile des activités humaines sur la planète, nous confronte à des défis environnementaux sans précédent. Parmi les principales menaces pesant sur notre « système Terre », l’extraction massive d’énergies fossiles et de métaux, motivée par une consommation croissante, joue un rôle central. Face à ces enjeux, il est impératif d’explorer des solutions qui transcendent la simple course aux innovations technologiques.
Pourtant, certain·es soutiennent que la technologie évoluera suffisamment pour atténuer les impacts du changement climatique. Par exemple, la géo-ingénierie, avec des techniques comme la captation du CO₂ ou la gestion du rayonnement solaire, est souvent mise en avant comme une solution potentielle[1]. Cependant, cette approche est risquée : en tentant de résoudre un problème environnemental, on peut en créer d’autres, potentiellement plus graves. L’histoire a montré que l’introduction de nouvelles technologies sans une compréhension complète de leurs effets peut avoir des conséquences inattendues, exacerbant les tensions sociales et politiques. Par exemple, les technologies de captation de CO₂ ou les miroirs solaires, s’ils sont mal gérés, peuvent devenir des instruments de conflit international ou être détournés à des fins militaires.
C’est ici qu’intervient le mouvement low-tech, une philosophie qui prône des solutions simples, durables, et moins dépendantes de la technologie de pointe. Le mouvement low-tech trouve ses racines dans une série de réflexions critiques sur la modernité technologique qui remontent au milieu du XXe siècle. Il se nourrit des préoccupations croissantes concernant les effets négatifs de l’industrialisation, de la consommation de masse et de la dépendance croissante aux technologies de pointe.
Les développements contemporains
Le mouvement low-tech, tel que nous le connaissons aujourd’hui, a été structuré et popularisé par plusieurs figures clés au cours des dernières décennies. Parmi elles, Philippe Bihouix occupe une place centrale. Ingénieur et essayiste français, Bihouix est l’auteur du livre L’âge des low tech : vers une civilisation techniquement soutenable (2014), un ouvrage qui a contribué de manière significative à la diffusion des idées low-tech en France et au-delà. Bihouix y développe une critique acerbe du modèle high-tech, en soulignant les limites matérielles et énergétiques d’une société qui repose sur une technologie toujours plus gourmande en ressources. Il plaide pour une transition vers des solutions technologiques plus simples et plus facilement réparables, capables de répondre aux défis du XXIe siècle sans épuiser les ressources naturelles.
Un autre acteur majeur dans la promotion des low-tech est Corentin de Chatelperron, ingénieur et aventurier français, fondateur du projet Low-Tech Lab. Ce projet vise à recenser, tester, et diffuser des solutions low-tech à travers le monde. De Chatelperron a gagné en notoriété grâce à ses expéditions en bateau, comme celle du Nomade des Mers, au cours desquelles il a expérimenté des technologies simples et durables en conditions réelles. Ses aventures et ses recherches ont été largement médiatisées, contribuant à sensibiliser le grand public aux possibilités offertes par les low-tech[2].
Au fil des décennies, cette approche s’est affinée et a gagné en popularité, en particulier dans le contexte de la prise de conscience environnementale. La montée des préoccupations liées au changement climatique, à la raréfaction des ressources naturelles, et aux inégalités sociales, a fait émerger les low-tech comme une alternative crédible et nécessaire. Le terme “low-tech” est alors devenu synonyme d’une technologie raisonnée, à l’opposé de la high-tech, souvent perçue comme démesurée et déconnectée des réalités locales et humaines. À une époque où la surenchère technologique semble devenir la norme, les low-tech offrent une perspective résolument différente, centrée sur la durabilité, l’accessibilité, et l’efficacité des ressources. Elles ne rejettent pas la technologie, mais en redéfinissent les priorités et les modalités d’utilisation. Les low-tech sont, en ce sens, un appel à une réévaluation critique de notre rapport à la technologie et à la consommation[3].
Les piliers de la démarche low-tech
Les low-tech sont définies par trois principes directeurs qui ont déjà été mentionnés : l’utilité, l’accessibilité, et la durabilité. Ces principes sont les piliers d’une technologie pensée pour être au service des individus et des communautés, plutôt que pour répondre à une logique de marché ou d’innovation.
Utilité: Les technologies low-tech visent à répondre à des besoins réels, qu’ils soient individuels ou collectifs. Contrairement à la high-tech, qui souvent crée ou exacerbe des besoins artificiels, la low-tech cherche à optimiser les ressources disponibles pour satisfaire des besoins essentiels. L’idée est de se concentrer sur ce qui est nécessaire, en évitant les gadgets et les innovations superficielles qui n’apportent aucune réelle valeur ajoutée.
Accessibilité: Un des objectifs principaux de la low-tech est de rendre la technologie accessible à tous et toutes, indépendamment des ressources économiques ou du niveau de compétence technique. Les low-tech sont conçues pour être compréhensibles, réparables, et utilisables par le plus grand nombre, favorisant ainsi l’autonomie des individus et des communautés. Cette approche contraste fortement avec les technologies high-tech, souvent complexes et nécessitant des connaissances spécialisées.
Durabilité: La durabilité est au cœur de la démarche low-tech via une utilisation minimale de ressources non renouvelables, mais aussi une réflexion sur l’ensemble du cycle de vie des produits, depuis leur conception jusqu’à leur fin de vie. Les low-tech privilégient les matériaux recyclables, la simplicité des designs, et la possibilité de réparer et de réutiliser les objets, plutôt que de les remplacer. En cela, elles s’opposent frontalement à la logique de l’obsolescence programmée qui prévaut dans l’industrie high-tech[4].
Un retour à l’essentiel
Dans la vie quotidienne, l’adoption des low-tech peut prendre de nombreuses formes ; de la construction d’objets en matériaux recyclés à l’utilisation d’équipements mécaniques simples plutôt que d’appareils électroniques sophistiqués. Par exemple, dans les foyers, l’utilisation de poêles à bois efficaces pour le chauffage, ou de vélos pour les déplacements, illustre bien l’esprit low-tech.
La low-tech trouve également des applications dans des contextes plus larges, tels que la gestion des déchets, l’énergie, et même l’urbanisme. Des initiatives comme les éco-villages, qui mettent en pratique des principes de construction durable et de gestion locale des ressources, incarnent parfaitement la philosophie low-tech. De plus en plus de communautés adoptent cette approche pour réduire leur empreinte écologique tout en renforçant leur autonomie[5].
Il est important de souligner que la low-tech n’est pas un rejet de la technologie en soi, mais plutôt une invitation à un usage plus réfléchi et modéré de celle-ci.[6].
Les solutions aux crises écologiques ne peuvent pas se limiter à des innovations techniques isolées. Elles doivent prendre en compte la complexité du système Terre, où l’interdépendance des dimensions écologiques, sociales et politiques est essentielle. Le mouvement low-tech, en réhabilitant des solutions simples et durables, nous invite à repenser notre rapport à la technologie et à redéfinir nos priorités en matière de développement.
Les low-tech nous rappellent que la technologie ne doit pas être une fin en soi, mais un moyen au service du bien commun. Ainsi, loin de se cantonner à une opposition simpliste entre technologie et nature, il s’agit de rechercher un équilibre qui permette de répondre aux besoins humains tout en respectant les limites planétaires. Dans cette perspective, les low-tech offrent une voie prometteuse pour une transition écologique juste et durable.
Catherine Vander Heyden et Marina Muvughe.
[1] Yves Citton, Benoît Dubacq, Géo-ingénierie : les technologies sauveront-elles le progrès ? De la bonne échelle pour agir sur le climat.
[2] Julie Guégan, explore les implications sociétales des low-tech dans son ouvrage Le Petit Manuel de la Low-Tech (2019), qui vulgarise le concept pour un public plus large.
[3] Quentin Mateus et Gauthier Roussilhe, Perspectives Low-Tech, comment vivre et s’organiser autrement ? éditions divergences, 2023.
[4] Ritimo, « Low tech : face au tout-numérique, se réapproprier les technologies », 2020.
[5] L’archipel du vivant, fiche pédagogique autour des low-tech.
[6] Etopia, « Low tech/High tech : quel modèle technologique pour demain ? », 2024.