Nous réclamons une politique migratoire plus juste et humaine 

Entre janvier et mai 2022, 25 jeunes volontaires ont participé au projet « Jeunes et migration : du constat à l’action », un projet pour (se) questionner, analyser, comprendre et enfin se positionner en tant que citoyen·nes engagé·es dans la société.

Entre janvier et mai 2022, 25 jeunes volontaires ont participé au projet « Jeunes et migration : du constat à l’action 

Migrations, migrant·es, flux migratoires… Ces mots font régulièrement la une des médias belges francophones. Le sujet demeure une préoccupation pour de nombreux·ses citoyen·nes, qu’ils et elles soient plutôt « pour » ou « contre ». Les réalités migratoires sont complexes, et les discours portés sur les personnes migrantes sont parfois désarmants. Les migrant·es sont souvent présenté·es comme des ennemi·es ou des envahisseur·euses dont il convient de se méfier ; de plus, le contexte global de raréfaction des ressources, d’aggravation des catastrophes dues au changement climatique et de repli général sur sa communauté alimente des sentiments de peur de l’Autre ou d’impuissance. Ce dernier sentiment étant particulièrement présent chez les jeunes, il est d’autant plus important de les outiller pour lutter contre les préjugés, les incompréhensions et les discours simplistes. Un projet est ainsi né, en collaboration avec Caritas International et Magma, pour emprunter le chemin du « voir-juger-agir » avec environ 25 jeunes sur la question des migrations. Concrètement, ce projet devait leur permettre de (se) questionner, d’analyser, de comprendre et enfin de se positionner en tant que citoyen·nes engagé·es dans la société.

Le projet a été mené à l’institut de la Vierge Fidèle (Schaerbeek) entre janvier et mai 2022. Les jeunes étaient des volontaires de troisième, quatrième et cinquième secondaire. À nos côtés, elles[i] ont embarqué dans un parcours réflexif, de découverte et de mise en action sur les réalités migratoires. Au programme :

  • découverte du parcours d’une jeune migrante avec l’outil immersif « Walk in my shoes » ;
  • atelier théorique sur le droit international et la situation de l’accueil en Belgique et en Europe ;
  • rencontre avec des Mineurs Étrangers Non-Accompagnés (MENA) dans un centre Caritas ;
  • émergence de propositions politiques ;
  • tournage de vidéos reprenant ces propositions politiques ;
  • rencontre avec le secrétaire d’état à l’asile et à la migration, Sammy Mahdi[ii].

« Se mettre dans les chaussures » d’une jeune migrante

Durant l’étape de la découverte, de la compréhension et du début de l’analyse, les jeunes ont pu « se mettre dans les chaussures » d’une jeune fille érythréenne grâce à l’outil « Walk in my shoes » et assister à un atelier théorique sur les politiques d’asile, de migration et d’intégration en Belgique, ainsi que rencontrer des jeunes MENA[iii]. Bien souvent, la découverte de ces situations est un choc pour ces jeunes. Elles ouvrent les yeux sur des situations très complexes, elles qui n’ont jamais eu à vivre des dilemmes où la sécurité et la vie sont parfois en jeu. L’empathie des jeunes est fortement sollicitée, mais une première analyse se dégage également :

  • Les jeunes comprennent que les personnes migrantes sont confrontées à des enjeux importants, et que leurs parcours résultent plus souvent de non-choix (p.e. je ne peux pas rentrer chez moi, car on m’y attend pour me mettre en prison) que de choix positifs. De plus, le trajet, une fois entamé, est bien souvent extrêmement risqué ;
  • Un second point d’analyse porte sur le traitement médiatique de la migration. Les jeunes réalisent (ou se rappellent) que les médias ne réalisent pas toujours d’analyses rigoureuses, que leurs propos sont parfois fondés sur les émotions comme la pitié ou la peur de l’Autre. En revanche, les capacités d’action et de résilience des personnes migrantes ne sont pas souvent traitées par les médias.
  • Un troisième point d’analyse porte sur l’incohérence entre textes qui fondent des droits pour les personnes migrantes et des obligations pour les états (Déclaration universelle des droits humains, Convention de Genève) et les parcours de migration et d’accueil que vivent les personnes migrantes : roues migratoires dangereuses, contrôles et refoulement aux frontières, surpopulation des centres d’accueil, temps long pour obtenir le statut de réfugié·e, etc.
  • Un ultime point porte sur le fait que les difficultés des personnes migrantes ne s’arrêtent pas après avoir passé la frontière belge ou après avoir reçu la notification de leur statut de réfugié·e : elles subissent encore la discrimination à l’emploi ou dans la recherche d’un logement, la difficulté d’obtenir du soutien (p.e. au CPAS quand les assistant·es sociaux·ales sont débordé·es), de se sentir réellement intégré·e, de gérer les traumatismes qu’elles ont pu accumuler lors de leur trajet, etc.

Se rencontrer et faire émerger

Suite à la rencontre des MENA et au début de la guerre en Ukraine[iv], la migration n’est plus seulement au cœur du projet, mais aussi de l’actualité. Les jeunes ont pu affiner leur analyse sur des thématiques qui sont moins visibles de prime abord, mais tout aussi importantes, comme la question des transmigrant·es ou la criminalisation de la solidarité. La situation en Ukraine, avec de nombreux·ses migrant·es qui arrivent dans un temps très court en Europe, pousse aussi les jeunes à s’interroger. La situation parait dissymétrique à nombreuses d’entre elles : pourquoi un statut de protection spécial a-t-il été créé pour les réfugié·es ukrainien·nes ? Pourquoi les démarches sont-elles simplifiées pour eux et elles, et pas les autres ? Pourquoi les médias relaient-ils si fort les appels à la solidarité dans ce cas-ci, et pas pour les nombreuses autres personnes qui doivent fuir leur pays ?

À ce stade du projet, et sans doute influencé par la situation ukrainienne, le jugement des jeunes est souvent sans appel quant aux politiques migratoires belges et européennes : « égoïste », « hypocrite », « mal organisée », « injuste »… sont des mots qui surgissent dans leur discours. Elles, en revanche, souhaitent une politique équitable, logique, organisée, humaine, sécurisée… À l’aide de facilitateur·rices, les jeunes identifient ce qui ne leur convient pas, posent les problèmes et formulent des questions ainsi que des propositions politiques sur ces sujets. Voici quelques exemples de questions ou de propositions que l’on peut entendre :

  • Pourquoi ne pas construire plus de centres avec plus de places d’accueil en Belgique ?
  • Pourquoi ne pas étendre la protection temporaire, adoptée pour les Ukrainien·nes, à toutes les personnes fuyant la guerre ?
  • Pourquoi ne pas modifier le règlement de Dublin[v], afin d’établir une répartition égalitaire [d’accueil des migrant·es] entre tous les pays européens ?
  • Pourquoi ne pas collaborer avec les médias pour montrer plus d’exemples de cas de migration réussie ? [en ce qui concerne le cabinet du secrétaire à l’asile et à la migration]

Interpeller de vive voix et sur internet

Pour se mettre en action et porter un « plaidoyer citoyen », les propositions politiques ont été tournées sous forme de courtes vidéos et diffusées sur internet (réseaux sociaux). Une rencontre avec le secrétaire d’état à l’asile et à la migration, Sammy Mahdi (CD&V), est organisée fin mai dans les locaux de la Vierge Fidèle. Les jeunes sont présentes en nombre pour interpeller le secrétaire d’état et débattre avec lui. Plusieurs fois, les jeunes engagent un véritable débat avec le secrétaire d’état, notamment sur la question de la protection subsidiaire accordée aux Ukrainien·nes ; ou encore sur le renforcement des frontières et les accords avec des pays tiers. On devine que ce qui les anime beaucoup sont les questions de droits humains : protection, égalité de traitement, accès aux études et au travail, etc. Ces questions sont débattues, le secrétaire d’état soutient certaines positions qui ne font pas l’unanimité, par exemple la normalité d’une « philosophie du pays voisin » dans une situation de crise (ce qui justifierait le statut différent proposé aux Ukrainien·nes) ; ou encore la différence fondamentale entre une personne qui fuit parce qu’elle est en danger et une personne qui quitte son pays parce qu’elle est confrontée à une « situation pas idéale » (pauvreté, etc.) Certaines élèves défendent leur point de vue, d’autres accordent au secrétaire d’état qu’on ne peut pas être d’accord sur tout dans une démocratie.

L’heure passe trop vite, de nombreuses questions demeurent en suspens, mais elles seront envoyées au cabinet du secrétaire d’état pour obtenir des réponses supplémentaires. Des notes ont également été prises pendant l’échange et envoyées au secrétaire d’état en tant que délivrable politique. Les jeunes sont très satisfaites de la rencontre avec le secrétaire d’état. Elles soulignent l’intérêt d’avoir reçu ses réponses, à la fois de responsable politique situé (CD&V), mais également de « personne de terrain ». Elles soulignent aussi l’intérêt de cette rencontre pour se former un avis critique sur les réalités belges et les dilemmes inhérents au monde politique.

La force de l’engagement

Ce projet de six mois a permis de renforcer l’esprit critique des jeunes, de les faire voir l’envers du décor en leur proposant à la fois de rencontrer des MENA et le secrétaire d’état à l’asile et à la migration, mais également de les mettre en action. Selon nous, il est indispensable de ne pas laisser les jeunes dans un sentiment d’impuissance par rapport à la complexité d’une société où ils et elles seront de plus en plus connecté·es, non seulement à travers les réseaux sociaux, mais aussi via des flux migratoires sans cesse changeants. À travers ce parcours, les jeunes qui se sont engagées ont montré une finesse d’analyse et une grande empathie, mais également une puissante volonté de s’engager pour faire bouger les choses. Un exemple de plus qui montre que les dynamiques de l’éducation permanente et de l’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire (ECMS) sont indispensables en 2022.

Claire Mathot.

Projet réalisé avec le soutien de la région de Bruxelles-Capitale via Brussels International.


[i] Dans cette analyse, le pronom « elles » va être utilisé pour désigner le groupe des jeunes volontaires, car sur 27 élèves qui ont pris part à ce projet, 26 étaient des filles.

[ii] La question migratoire recouvrant de multiples aspects, nous avons décidé d’aborder principalement la situation des personnes réfugiées. La Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugié·es constitue le document clé dans la définition de « réfugié·e ». Il s’agit d’une personne qui n’a d’autre choix que de quitter son pays ou sa région parce que sa vie ou sa liberté et menacée du fait : de son origine ethnique ; de sa nationalité ; de sa religion ; de son appartenance à un certain groupe social ; de ses opinions politiques. Concrètement, il s’agit d’une personne qui ne peut pas être protégée dans son propre pays.

[iii] Selon nous, cette rencontre est à mi-chemin entre le « voir » et le « juger ».

[iv] Le conflit a été entamé le 24 février 2022.

[v] Qui établit qu’une personne arrivant sur le sol européen doit déposer sa demande d’asile dans ce même pays ; en pratique, les pays « frontière » de l’Europe sont donc très concernés (Grèce, Italie, pays de l’Est…).

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