Nécessaire et délicate lutte contre l’impunité en RD Congo : un silence intolérable

La RD Congo connait une crise sécuritaire depuis de longues années. Alors que la situation à l’Est du pays s’envenime chaque jour un peu plus suite au retour du groupe rebelle M23, les enjeux d’impunité sont des plus impérieux. Les experts relèvent les nombreux défis qui attendent encore la RD Congo pour espérer un retour à la paix.

Conférence sur la lutte contre l’impunité dans l’est de la RD Congo animée par Justice et Paix ce 26 octobre 2022 au Forum Saint-Michel (Bruxelles).

« Tolingi Bosembo » : “Nous voulons la justice!”. En mars 2021, l’artiste congolais Ben Kamuntu lance cet appel dans un slam de 4 minutes. Ce morceau, l’artiste le veut une contribution à la campagne pour la justice pour les crimes graves commis en RD Congo depuis plus de 30 ans. Trois décennies que les Congolais·es réclament la justice pour obtenir la paix. C’est la même demande que porte le docteur Mukwege, par son plaidoyer actif depuis bientôt vingt ans, ainsi que le cinéaste Thierry Michel, dans son nouveau film L’Empire du Silence.

La tension est grandissante dans l’est de la RDC : le mouvement du M23[1] occupe actuellement plusieurs villes et la ligne de front se rapproche de plus en plus de la ville de Goma. Le climat est tendu avec le Rwanda accusé par Kinshasa de parrainer ce groupe rebelle. La population, à bout, exige des actions fortes de l’État pour résoudre cette crise.

Dans ce contexte, une soixantaine de personnes se sont réunies mercredi 26 octobre à Bruxelles autour de trois intervenant·es pour aborder la lutte contre l’impunité en République Démocratique du Congo.

Un silence lourd résonne dans la salle lorsque les intervenant·es évoquent les atrocités que la population congolaise subit depuis des dizaines années. Un de celleux-ci, le politologue Dieudonnné Wamu Oyatambwe interpelle : « Jusqu’où veut-on aller, jusqu’où veut-on tolérer l’horreur ? ». Quels leviers et pistes d’actions reste-t-il possible de mobiliser pour lutter contre l’impunité en République Démocratique du Congo ?

L’ambition de ce texte n’est nullement de faire le tour de la question de l’impunité en République Démocratique du Congo. Cette problématique est trop vaste et trop complexe pour cela : l’idée est donc de rappeler quelques grandes lignes et priorités et surtout d’entretenir modestement le débat.

Impunité de fait, de droit : quelles sont les causes profondes ?

Pour lutter efficacement face à un mal tel que l’impunité en Afrique centrale, il convient avant tout de questionner ses racines.

Lors de son intervention, Colette Braeckman, journaliste au Soir et spécialiste de l’Afrique centrale, situe l’origine de l’instabilité dans la région avec le génocide au Rwanda. Ce dernier fut suivi de deux guerres en RD Congo qui continuent de déstabiliser la région et de plonger la population, principale victime dans tout conflit, dans la souffrance. Les effets de ces guerres se font encore ressentir aujourd’hui dans la région des Grands Lacs.

La Première Guerre (1996-2003) se solde par un compromis qui marque le début du brassage. Ce dernier consiste en la réintégration d’hommes de troupes belligérantes dans l’armée loyaliste et est appliqué dans l’espoir de faire respecter les accords de paix signés à Sun City.

Des combattants et chefs de groupes armés sont alors convertis en commandants et officiers dans l’armée nationale. Ceci instaure une réelle impunité de droit : légitimation de violations des droits de l’Homme par un gouvernement sous la pression de puissances étrangères. Cette décision aura de lourdes conséquences dans l’imaginaire collectif. Du côté des civil·es, elle est perçue non seulement comme un déni de justice, mais aussi, comme un signal que les souffrances endurées et les crimes commis à leur égard resteraient impunis et leurs auteurs non inquiétés. Du côté des miliciens et des rebelles, ils l’interprètent comme une promesse de promotion en échange des exactions. C’est du moins l’analyse proposée par une étude de Human Rights Watch qui cite des témoignages d’anciens rebelles. Cette dernière explique que les membres de milices et de groupes armés voyaient l’intensité des exactions et des violences à l’encontre des populations comme une manière d’accroître leur pouvoir de négociation avec le gouvernement. En d’autres mots, plus les violences commises étaient extrêmes, et plus les belligérants pouvaient aspirer à un grade ou un poste élevé au sein de l’armée ou du gouvernement. Ainsi, se mit en place un cercle vicieux, alimenté par l’impunité qui nourrit à son tour l’insécurité et les violences. Aujourd’hui, 27 années après, le même cycle se perpétue inlassablement.

Madame Braeckman s’interroge sur l’origine de ces brassages: « est-ce qu’il ne s’agissait pas d’affaiblir le Congo, d’affaiblir ses défenses ? Et d’ouvrir ainsi les régions minières à ceux qui avaient tellement envie d’y aller ? »[2]. Elle étaye avec le fait que, peu après ceux-ci, un nouveau code minier était rédigé sous l’influence de la Banque Mondiale.

En amont, on peut se questionner sur la provenance des nombreux groupes armés présents en RD Congo[3]. Une piste d’explication peut se trouver, d’après le chercheur Michel Naepels[4], dans le déroulement de la première guerre du Congo de 1996-2003. Durant celle-ci, des « groupes d’auto-défense populaire » auraient émergé : groupes armés paysans, encouragés et armés par le pouvoir congolais pour lutter contre les armées étrangères. Avec les accords de paix, ces groupes cessent d’être légitimes, mais certains continuent néanmoins leurs « activités militaires et de prédation économique ». Le chercheur précise que le motif économique expliquerait en grande partie cette décision, car les revenus dégagés au sein d’une milice dépassent très souvent ceux d’un·e agriculteur·rice. Ceci mène à de véritables carrières d’« entrepreneurs de la violence » à l’image de Gédéon Mutanga.

Du côté institutionnel, le juriste Philippe Lardinois invoque l’absence de l’État comme premier facteur favorisant l’impunité, constat partagé par le politologue Dieudonné Wamu Oyatambwe . Celui-ci déplore la faillite de l’État congolais depuis les années Mobutu. Cette faiblesse engendre l’impunité de fait.

Gilberte Deboisvieux, avocate ayant travaillé à la FIDH (Fédération internationale des droits de l’homme), distingue l’impunité de fait de l’impunité de droit. La première résulterait selon elle de « l’absence de règles ou d’absence d’application de celles-ci » et serait la conséquence d’un « rapport de forces archaïques et élémentaires et (ou) d’une absence d’État ». La seconde, « le résultat de la volonté politique d’un gouvernement qui, soumis aux pressions de groupes puissants, légitimera en quelque sorte, par une loi d’amnistie, les violations des droits de l’homme qu’ils auront commises ». (voir article)

Il ajoute que cette impunité est aussi alimentée et préservée par les personnes qui profitent de cette situation d’instabilité et d’insécurité. Ce sont des acteurs locaux, régionaux et internationaux qui instrumentalisent ce désordre pour leurs intérêts économiques. En effet, leurs complicités dans des détournements de fonds et/ou dans l’exploitation illégale des ressources du pays font d’eux les pieux défenseurs de cette impunité. Pour eux, « un éventuel retour de la paix [serait] un frein au développement de leurs affaires» explique Hubert Leclercq, journaliste à La Libre Afrique.

Comment contrer cette impunité systémique ?

L’impunité règne donc comme résultat, mais aussi comme cause de l’instabilité dans le pays et en particulier à l’Est. Les tentatives pour apporter des solutions sont rarement efficaces. Mr. Oyatambwe y voit un symptôme du fait que « les solutions proposées ne sont pas proportionnelles aux problèmes réels »[5]. En cause les nombreux accords de paix inefficaces ou encore la force MONUSCO, force de maintien de la paix des Nations-Unies, qui peine à remplir sa mission première. En effet, Colette Braeckman souligne avec justesse que si la MONUSCO a accompli beaucoup de choses (rédaction de rapports, soutien aux élections, etc.), elle n’est jamais intervenue dans sa réelle mission de protection des civil·es congolais·es (voir résolutions 1399 et 1445). Aujourd’hui, cette force de l’ONU fait l’objet de vives contestations de la part de la population, comme en témoignent les nombreuses manifestations de juillet dernier dans l’Est du pays réclamant son départ. Ces manifestations furent particulièrement virulentes, car 32 manifestant·es et 4 Casques bleus avaient étés tués lors de celles-ci[6].

Quelles sont donc ces bonnes solutions qu’il est urgent de substituer aux stériles ? Les avis s’accordent sur la plus essentielle que constitue le renforcement de l’État. Dieudonné Wamu Oyatambwe insiste sur ce point : il faut absolument renforcer l’État de droit. En effet, il incombe à l’État congolais de rétablir la sécurité sur son territoire à l’aide d’un appareil sécuritaire performant, mais aussi de renforcer toutes ses autres institutions pour permettre au pays de fonctionner efficacement. Le politologue cite d’autres propositions d’actions : il faut cesser de tolérer la complicité de la communauté internationale qui achète des minerais extraits et vendus de manière illégale et en violant les droits de l’Homme[7]. Les entreprises qui achètent ces minerais sont au fait de leur provenance, les États étrangers ne peuvent continuer de feindre l’ignorance. Il leur incombe d’exiger une traçabilité claire et non ambiguë aux entreprises important et/ou exportant ces matières. Le professeur Oyatambwe pense aussi qu’il ne faut pas se contenter de cette « démocratie folklorique » qui caractérise le système politique congolais d’aujourd’hui et œuvrer pour une réelle démocratie représentative : c’est ce que souhaitent les Congolais·es. Il appelle également à suivre l’argent détourné par corruption pour arriver à inculper les coupables. Tout ceci permettrait d’avoir un impact sur la violence et l’insécurité, car « l’impunité entraine l‘impunité » comme il le rappelle[8].

Par ailleurs, de nombreux chercheurs·euses s’accordent sur l’importance d’établir la vérité et de rendre justice, par rapport aux exactions du passé et à celles d’aujourd’hui. L’absence de vérité et de justice sont deux causes centrales à l’origine du climat d’impunité. Adresser ce problème est indispensable pour commencer à inverser la tendance.

Pour illustrer, des coupables d’exactions pendant les deux guerres ou après celles-ci sont toujours au pouvoir en RD Congo. Ben Kamuntu le décrit brillamment par ces mots: « les mêmes bourreaux d’hier demeurent les bourreaux d’aujourd’hui ». Dismas Kitenge, membre de la Fédération internationale des droits de l’homme souligne également cela dans un reportage de France24 : il explique que ces coupables présumés de faits graves, aujourd’hui au pouvoir, ne souhaitent pas voir plus de demandes de justice émerger de la part des victimes ou de leurs proches. C’est pourquoi ils s’appliquent à faire taire les revendications de vérité et de mémoire. Il démontre son propos par l’absence de monuments à la mémoire des victimes de la guerre en RD Congo (comme il en existe au Rwanda pour les victimes du génocide).  Pour rendre justice, il faudrait aussi inculper et poursuivre ces belligérants, auteurs de violations des droits humains qui ont bénéficié de l’intégration dans l’armée sans jamais répondre de leurs actes[9]. Pour arriver à cela, le renforcement des institutions judiciaires s’impose comme un des premiers combats à mener. D’aucuns espèrent que le rapport Mapping[10] puisse appuyer cet effort de justice, mais pour le juriste M. Lardinois, ce texte n’a ni l’intention ni les caractéristiques qui le rendent mobilisable dans le cadre d’un procès. En effet, les sources sont trop peu documentées et ne peuvent donc constituer des preuves dans l’acceptation juridique du terme. D’autres processus judiciaires restent envisageables, tels que la justice transitionnelle.

Tous les problèmes précités impactent l’ensemble de la région des Grands Lacs et la RDC ne peut y faire face seule. Elle requiert l’appui d’efforts de justice à l’échelle internationale. Dans le même esprit, certains et certaines appellent à une plus grande implication de la Belgique (de par ses liens historiques avec le pays) pour le retour de la paix. L’ambassadeur de la RDC au Benelux, Christian Ndongala Nkuku, l’a exprimé lors de son intervention à la commission des Relations extérieures de la Chambre des représentants belges le 26 octobre dernier.

Pour conclure, l’ampleur des défis auxquels fait face la RD Congo est considérable. La société civile congolaise incluant la diaspora est déjà très active, sans oublier les efforts de citoyens de pays tiers. La Commission Justice et Paix (CJP) soutient toutes les initiatives visant à contribuer à une lutte efficace contre l’impunité, comme la campagne « Justice for Congo » autour du film l’Empire du Silence. L’objectif de celle-ci est d’aboutir à des solutions concrètes en vulgarisant la thématique au plus grand nombre. Pour la société civile belge, CJP encourage le soutien à diverses initiatives telles que celle-ci, à sensibiliser son entourage ainsi qu’à appuyer les plaidoyers en faveur d’une résolution de la situation dans la région. La Belgique a un rôle à jouer pour la paix dans les Grands Lacs, les citoyens devraient œuvrer à une implication accrue de leur pays.

Safiya Zeroual.


[1] « Le M23 est essentiellement composé par d’anciens soldats de l’armée congolaise qui se sont rebellés, car ils accusent le gouvernement de marginaliser leur minorité ethnique tutsie ».

[2] Conférence du 26 octobre 2022

[3] En 2021, le Baromètre sécuritaire du Kivu n’en dénombre pas moins de 122 uniquement dans l’est de la RDC.

[4] Naepels, M. (2018). Violence et impunité à proximité du pouvoir: Gédéon Kyungu Mutanga, un milicien en République démocratique du Congo. Monde commun, 1, 76-95.

[5] Conférence du 26 octobre 2022.

[6] Cette force a d’ailleurs débuté son retrait progressif (acté en 2018).

[7] Les « minerais de conflits » et les « minerais de sang ».

[8] Conférence du 26 octobre 2022.

[9] Encore récemment, le Président Tshisekedi a promu un ancien rebelle au rang de chef d’état-major général adjoint malgré ses propos sur la nécessité de « purger » l’armée de ces anciens membres rebelles : preuve que le brassage n’a jamais vraiment cessé.

[10] Rapport des Nations-Unies sur les violations les plus graves des droits de l’Homme et du droit international humanitaire commises en République Démocratique du Congo entre 1993 et 2003.

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