Il y a quelques années, à Stockholm en Suède, une jeune fille de 15 ans décida d’entamer une grève scolaire afin de pacifiquement manifester quotidiennement devant le Riksdag (Parlement suédois) pour y dénoncer l’inaction climatique de son pays, de l’Europe et enfin du monde. Cette grève scolaire pose une question importante : le rôle de de l’école et son adaptation face aux enjeux de notre temps.
L’article 6 §2 et 3 du décret « Mission » de la Communauté française rédigé en 1997 et mis à jour en 2018 énonce que les missions de l’enseignement en Belgique francophone comprennent les objectifs suivants :
2° amener tous les élèves à s’approprier des savoirs et à acquérir des compétences qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la vie économique, sociale et culturelle;
3° préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures.
Si l’on considère donc que l’école a pour objectif de permettre aux élèves de devenir des citoyen·ne·s doté·e·s d’un esprit critique, de se forger une conscience sociale et politique et de développer une ouverture au monde et à l’environnement, il est nécessaire de s’interroger sur la manière dont on permet cette émancipation.
Beaucoup de scientifiques s’inquiètent de l’indigence de nos responsables politiques quand il s’agit de leur compréhension théorique des phénomènes climatiques. Or il est indispensable de bien comprendre un problème pour ensuite pouvoir s’interroger sur la manière de le régler. Si le dérèglement climatique nous apparait trop complexe, si ses ramifications et ses conséquences semblent trop nombreuses, on aura vite tendance à s’affranchir d’une réflexion plus poussée sur de possibles solutions et moyens d’action. Il ne s’agit pas de faire de l’entièreté de nos élèves des docteur·e·s en physique, mais d’offrir à chacune et chacun des moyens de se représenter le monde et ses phénomènes afin de pouvoir s’en emparer et les faire siens. L’article 12 de l’Accord de Paris de 2016, dont la Belgique est signataire, indique : les parties coopèrent en prenant des mesures pour améliorer l’éducation, la formation, la sensibilisation, la participation du public et l’accès de la population à l’information dans le domaine des changements climatiques. Le mandat est clair, il s’agit de voir dans quelle mesure et de quelle manière il peut être traduit dans les faits. Comment présente-t-on aux élèves du primaire et du secondaire la réalité des bouleversements climatiques ? Quelle formation scientifique est offerte sur ces sujets ? Quelles pistes de solutions peuvent être dégagées dès le plus jeune âge ? L’enseignement en Belgique est-il à la hauteur de l’enjeu ?
À titre personnel, quand je pense aux dérèglements climatiques, je ne peux m’empêcher de songer aux schémas sur l’effet de serre présentés par Jamy dans « C’est Pas Sorcier ». Ma vision des choses s’est un peu affinée depuis, mais je n’ai pas le souvenir, lors de mes études secondaires générales, d’avoir eu des cours théoriques axés sur les bouleversements climatiques, leurs conséquences et leurs potentielles solutions ; j’ai grandi dans les années 2000. Les médias et le milieu familial ont évidemment un rôle à jouer, mais de nombreuses études tendent à prouver que le milieu socio-économique a une réelle influence sur les comportements écologiques et sur le rapport à la nature. Des différences similaires se retrouvent également au niveau démographique, selon qu’on vienne de zones rurales ou urbaines. L’école, dont la mission est de tendre à atténuer ces différences socio-économiques, a dès lors une importance fondamentale pour fournir à chacun et chacune les possibilités de développer une conscience écologique.
Un premier constat est qu’il n’existe pas de cours dédié aux bouleversements climatiques. Il est vrai que c’est un sujet transversal, qui peut toucher tant aux sciences, à la géographie qu’à l’histoire voire à la citoyenneté. Il est logiquement et principalement abordé dans les cours de géographie et de physique, sous l’angle du réchauffement climatique, de l’effet de serre et de l’adaptation de l’humain à son milieu de vie. Mais il n’y a pas d’approche systémique et globale de la thématique climatique. Il en ressort que la responsabilité d’aborder ce sujet dans le cadre des cours classiques est divisée entre plusieurs charges de cours. L’élève est donc livré à lui-même pour tisser les liens entre des phénomènes interdépendants mais abordés isolément. Or, il parait évident qu’une approche systémique est indispensable pour tenter d’appréhender les tenants et aboutissants des dérèglements du climat, de la chute de la biodiversité, etc.
Il existe néanmoins de nombreuses initiatives au niveau de la Fédération Wallonie-Bruxelles afin de réaliser les engagements pris dans l’accord de Paris en termes d’éducation. De nombreuses associations proposent d’aborder les thématiques liées à l’environnement et aux dérèglements climatiques de manière originale, lors de journées ou matinées dédiées. Ces formations et actions s’adressent tant aux enseignant·e·s qu’aux élèves. L’offre est particulièrement riche en Région Bruxelles-Capitale via les initiatives de Bruxelles-environnement, mais elle existe également en Wallonie.
Un second constat est qu’il n’existe pas de programme scolaire clair concernant l’éducation à l’environnement et aux dérèglements climatiques. Certes, les cours classiques, comme nous l’avons évoqué, abordent l’aspect théorique de ces sujets, mais il n’y a pas de vision d’ensemble offerte par les programmes scolaires. Il est dès lors de la responsabilité de l’enseignant·e ou de l’établissement de mettre en avant ces sujets afin d’aller plus loin que ce que les programmes proposent. Ces initiatives relèvent de ce qu’on appelle l’Education à l’Environnement et au Développement Durable (ErE DD). Elles ne sont que peu, voire pas encadrées par les programmes officiels. Une grande latitude est donc laissée aux enseignant·e·s et aux écoles pour mettre en place de tels projets, ce qui leur confère une grande responsabilité et peut poser question. En effet, si les dérèglements climatiques sont largement basés sur des faits objectifs documentés, il est tout à fait possible de présenter ces faits de manière biaisée. Pour peu que les professeur·e·s passent peu, ou beaucoup, de temps à traiter de ces sujets, on aura tôt fait de les qualifier respectivement d’alarmistes ou de climatosceptiques. En l’absence d’un programme clair derrière lequel s’abriter, ceux et celles-ci, et l’établissement scolaire s’exposent à de nombreuses critiques qui interrogeront la manière dont les sujets ont été traités, sensibles.
Un autre écueil surgit, dès lors qu’on s’interroge sur la manière de transmettre les réalités climatiques à nos enfants : comment informer sur un tel sujet sans paniquer les élèves quant à l’avenir de notre monde. C’est une équation évidemment complexe. Ce qu’on nomme (à juste titre ou non) l’éco-anxiété est un phénomène difficile à appréhender. En effet, les constats actuels et les réalités climatiques sont par essence anxiogènes. Les présenter de manière objective et claire aux élèves de primaire ou de secondaire peut créer un sentiment de stress voire d’anxiété profonde. Je me souviens, à titre personnel, avoir eu plusieurs jours d’intense stress lorsqu’on m’avait dit à l’école que les réserves de pétrole s’amenuisaient rapidement, ce qui était pour moi éminemment problématique dans une société qui en était si dépendante. Présenter une problématique ne peut se faire qu’en y adjoignant une réflexion sur les causes et également des pistes de solutions concrètes, ou plus globales. Si dans l’enseignement fondamental, on nous sensibilise au respect de la nature et au tri des déchets, il est nécessaire d’étoffer cette réflexion dans les niveaux supérieurs. Mais là encore, on entre dans un domaine où, en l’absence d’un programme étoffé sur ces matières, la responsabilité d’offrir aux élèves des pistes de solution ou des réflexions quant aux causes des dérèglements climatiques repose sur l’établissement scolaire et les professeur·e·s. Or, s’interroger sur les causes profondes, c’est mettre en lumière ce qui doit être fait pour atténuer ces dérèglements.
Il ne s’agit pas de ne pas faire confiance aux professeur·e·s dans leur approche des dérèglements climatiques, mais un sujet si fondamental mériterait d’être traité avec sérieux, rigueur et exhaustivité. À cet égard, une réflexion profonde sur la construction des programmes scolaires me semble être nécessaire. Il ne s’agit pas de créer des « Greta Thunberg » dans toutes les classes, mais d’offrir à chaque élève le bagage nécessaire pour appréhender les phénomènes actuels et leurs conséquences. D’offrir à chaque élève la possibilité de s’interroger sur les causes du dérèglement climatique et, dès lors, de pouvoir entrevoir les changements à opérer afin d’emprunter un chemin plus vertueux. L’école est le meilleur outil de sensibilisation que nous ayons. Mais l’approche scientifique ne peut faire l’économie des implications sociétales, alimentaires, socio-économiques, démocratiques, …
Les dérèglements climatiques posent mille et une questions, il est essentiel que l’école prodigue quelques réponses.
Bertrand Duquenne.