L’instauration d’un environnement propice est un élément clé qui permet aux citoyens d’élire librement et démocratiquement leurs représentants. Le respect des droits humains dans le cycle électoral reste primordial.
Pourtant les processus électoraux sont le plus souvent assortis de controverses et dramatiques conséquences en RD Congo.
Le contexte précaire actuelle
Après les élections controversées de 2019 qui ont porté au pouvoir le fils de d’Etienne Tshisekedi (opposant emblématique du régime Mobutu de longue date), La RD Congo, bien qu’à la veille des prochaines élections de 2023 qui pointent à l’horizon, évolue encore dans une situation de grisaille. Le cheminement des suffrages qui devait pourtant résulter d’un processus électoral clair est attendu comme un évènement isolé, comme s’il pouvait se réaliser en dehors des étapes préalables adéquates.
L’alliance circonstanciel[1] et encore sécrète (mariage FCC-Cash[2]) qui lie le président actuel avec son prédécesseur le président honoraire Joseph Kabila demeure périlleuse et cache encore des surprises et des incertitudes.
L’Union Sacrée de la Nation[3], qui a remplacé la coalition FCC-Cacha, a intégré les opposants pour former la nouvelle majorité politiques congolaises. Le seul opposant qui semble resté indépendant est la plateforme politique « Lamuka[4] » de Fayulu et Muzito. La question qui se pose néanmoins est celle-ci : cette Union va-t-elle résister ou éclatera-t-elle avant les prochaines élections ?
L’influence que détient Joseph Kabila, le premier sénateur à vie de la RD Congo – une majorité aux parlements national, provinciaux, au gouvernement et une mainmise dans les secteurs stratégique (armée, portefeuille, secteur financier, …) – ne garantit pas l’absence de surprises pouvant présider à une émulation soudaine du pays voire même la région des grands lacs. Certes, il avait, quand même, été noté certaines des avancées qui ont donné quelques lueurs d’espoir quant à l’Etat de Droit et à la démarche contre l’impunité notamment par les poursuites menées contre Vital Kamerhe[5], Mais des questions restent encore en suspens au vue de la situation politique et à la suite donnée à tous les procès qui ont épinglé les casques du pouvoir, comme illustré par le scandale appelé « Congo Holdup » de Médiapart[6].
Le manque de consensus dans la désignation des animateurs de la Commission Electorale Indépendante (CENI) ne présage-t-il pas déjà une grisaille future ?
L’effectivité des droits humains demeure plutôt hypothétique. Bien que le cadre juridique nécessaire soit clairement établi, des graves violations sont toujours commises et/ou restent impunies. Certaines poursuites et nombreux procès restent inachevés. Certains cas de violations, pourtant bien référencées dans le rapport Mapping, sont demeurés lettre-morte. Dans ce contexte, parler alors des droits humains peut à priori paraitre très théorique. Le train de vie des personnes au pouvoir et l’incertitude face à la situation générale de la population qui tend vers l’extrême pauvreté.
Deux ans avant les prochaines élections, la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) ayant perçu une grande divergence de doctrines et des valeurs entre différentes confessions religieuses, s’est retirée de la plateforme “confessions religieuses” chargée de désigner l’animateur principale de la Commission Electorale Indépendante (CENI). La CENCO avec l’Eglise du Christ au Congo (ECC), regroupant les paroisses protestantes, avaient été les seules institutions à pouvoir organiser l’observation des élections de 2018. Ce manque de consensus déploré par les partenaires de la RD Congo laisse présager un grand danger sur les prochaines élections prévues en 2023.
Cela nous pousse à nous demander s’il est possible d’accéder à la liberté de suffrage dans un contexte où la pratique ne correspond pas aux normes préétablies ? La situation est-elle d’avance politiquement minée ? La problématique grandissante relative au respect du droit à des élections libres[7] ne serait-il pas un danger pour le processus électoral futur ? L’absence de consensus décriée ne serait-il pas un frein à la tenue des élections apaisées et démocratiques ?
Un cadre légal bien établi
(7) La République démocratique du Congo, comme la plupart des États, a adopté un ensemble de règles, qui concernent chaque individu sans distinction aucune, à travers la déclaration universelle des droits de l’homme. La déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) fait référence, dans son article 21, au statut politique de l’individu dans un Etat :
(8) « 1. Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis.
(9) 2. Toute personne a droit à accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques de son pays.
(10) 3. La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote ».
Il s’agit d’un ensemble de principes qui reconnaissent à tous les êtres humains le droit à la vie, à la dignité, à l’égalité[8], à la sécurité, à la santé, à la liberté d’expression et d’opinion, à l’éducation, et à une justice équitable. Ces droits, sont universels, c’est-à-dire communs à tou·te·s et applicables partout dans le monde y compris en RD Congo.
La communauté internationale ainsi que la Belgique devraient donc se saisir de cette question en prenant en compte les réalités transfrontalières, en effet tout potentiel éclatement dans un pays aura des conséquences dans les pays voisins et de facto, un impact régional. L’embrasement de la région est donc un risque non négligeable.
(11) Le peuple semble relégué au dernier plan alors qu’il est le souverain primaire[9]. Sa volonté devrait pourtant déterminer le fondement de toute autorité et la raison de toute action du pouvoir public. Face à l’impossibilité d’établir un système pouvant permettre à chaque citoyen de participer directement à la gestion de la société, le mécanisme de représentation par des élections au suffrage universel, libres et honnêtes reste aujourd’hui la meilleure façon d’y arriver. C’est pourquoi il est primordial de bien soigner le processus qui conduit à la désignation des représentants éthiquement redevables.
Un écart entre le normatif et la pratique : des procès interminables
Bien que la constitution congolaise prévoie et intègre dans corps même du texte de sa constitution les droits et libertés fondamentales, elle est loin de s’y conformer dans la pratique observée.
Que ce soit à la suite des audiences dans l’affaire des maisons préfabriquées[10] ou encore au procès phare dits « de l’impunité » des caciques de l’ancien régime, notamment l’affaire du scandale de Bukangalonzo, la cour constitutionnelle (la plus Haute Instance juridictionnelle du pays) s’est déclaré incompétente pour statuer sur les responsabilités éventuelles de l’ancien Premier ministre du pays en charge du projet entre 2012 et 2016.
La lutte contre l’impunité, portée comme slogan de la gouvernance du Président Tshisekedi, semble buter sur une difficulté de mise en œuvre chaque fois qu’il s’agit de mener les affaires judiciaires de la phase d’enquête à celle de jugement définitif et de l’exécution de ceux-ci. Les mécanismes d’implémentation de la machine judiciaire semblent ne pas suffisamment s’exercer dans les situations de violation des droits humains. Des inquiétudes se font ressentir à l’égard de la régression constante de la situation mettant en péril la protection effective des droits humains.
Un regard sur les futures pistes d’actions
(12) L’effectivité des droits humains est intimement liée à la santé de la démocratie. On note en effet que l’effectivité des droits économiques et sociaux impacte considérablement tout le processus de la vie sociopolitique d’un pays. Le Comité des droits de l’homme l’illustre encore bien dans l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) : « l’article 25 appuie le régime démocratique fondé sur l’approbation du peuple et en conformité avec les principes du pacte »[11].
(13) Dans l’énoncé des droits politiques, la démocratie apparaît comme une condition nécessaire à la réalisation du droit des peuples à l’auto-détermination.
En ce qui concerne la RD Congo, l’aboutissement concerté et incluant tous les acteurs parties prenante à la vie sociopolitique est primordiale. Les partis politiques, de la majorité au pouvoir à ceux de l’opposition, avec les organisations de la société civiles (OSCs) doivent se concerter dans l’objectif d’organiser des élections inclusives et équitables.
Les OSCs, de plus en plus présentes, ou les groupes activistes courageux et infatigables, se mobilisent au quotidien pour veiller au respect des droits humains et s’époumonent à chaque transgression. Ils sont pour beaucoup un symbole d’espoir et de protection des populations. Les études et campagnes que ces organisations mènent permettent de tirer la sonnette d’alarme, de référencer les crimes commis, d’attirer l’attention sur des situations inacceptables, de dénoncer les réalités structurelles qui brident le développement démocratique de la région.
Les partenaires de la RD Congo, comme la Belgique, qui partage un capital historique commun peuvent influencer la bonne gouvernance en soutenant les efforts allant vers le renforcement des capacités des parties prenantes et organisateurs. La participation des citoyens à l’exercice du pouvoir constitue « l’un des pierres angulaires des systèmes démocratiques »[12] d’où, la pertinence d’œuvrer pour l’éducation civique et électorale afin que la mise en application des règles éthiques leur soient imposables.
Toutes ces actions cumulées mèneront potentiellement au changement. Il est donc crucial de soutenir leur action. La presse généraliste joue également un rôle-clef, via une veille politique assidue. Elle constitue une caisse de résonnance des mobilisations et assure un archivage de celles-ci. Elle mérite un renforcement de sa capacité d’action et son équipement. De plus, il faudrait appuyer l’autonomisation et la séparation des pouvoirs traditionnels, tout comme le renforcement de la capacité des médias, cela tend à ce que les gouvernements ne se dérobent pas à leur fonction principale : offrir à la population une sécurité maximale, des emplois et des services de qualité.
Quelle sera alors la suite des évènements à mesure que nous nous rapprochons de 2023 ?
La recherche d’un apaisement des relations entre CENCO et le gouvernement, et ce, grâce au rapprochement des présidents des grandes institutions (Sénat, Parlement, Gouvernent) semble indispensable.
2022 sera une année cruciale car il faudra, non seulement, faire voter un budget afin de financer la tenue des prochaines élections mais aussi acquérir l’adhésion de l’opinion publique nationale comme internationale. Les yeux seront alors rivés sur le gouvernement de la RD Congo.
Patrick Balemba.
[1] Radio France International.
[2] Le Front commun pour le Congo (FCC) est un groupe parlementaire de l’Assemblée nationale de la République démocratique du Congo qui comprend, entre autres, le parti majoritaire, le Parti populaire pour la reconstruction et la démocratie. Il est étroitement lié à l’ancien président de la RD Congo de 2001 à 2019, Joseph Kabila, qui l’a formé mi-2018 pour organiser les forces politiques pour les élections générales de décembre 2018. Pour cette raison, il est également appelé coalition Kabila, ainsi que successeur de l’Alliance pour la majorité présidentielle, qui est le bloc majoritaire progouvernemental dans les deux chambres du Parlement de 2006 à 2018.
[3] Jeune Afrique, media digital.
[4] Centre d’Analyse et de Stratégies, CAS, bureau d’études consacré à la République Démocratique du Congo et la région des Grands lacs, https://cas-info.ca/2021/02/rdc-seuls-fayulu-et-muzito-assumeront-desormais-la-coordination-de-lamuka-communique/
[5] Ex-directeur de cabinet qui avait été condamné à 20 ans de prison pour corruption et détournement de deniers publics au premier comme au second degré et ayant bénéficié d’une liberté provisoire par la suite.
[6] https://www.mediapart.fr/journal/international/191121/congo-hold-comment-le-clan-kabila-detourne-138-millions-de-dollars
[7] Article 3 du protocole n°1 de la Convention européenne des droits de l’homme
[8] L’article 1er de la Convention sur les droits politiques de la femme : « Les femmes auront, dans des conditions d’égalité avec les hommes, le droit de vote dans toutes les élections, sans aucune discrimination »
[9] Tout pouvoir émane du peuple en tant que souverain primaire. (Exposé des motifs de la constitution de la RD Congo) Février 2006
[10] En référence au « rapport mapping »
[11] Observation générale 25 (57) Le droit de participation aux affaires publiques, le droit de vote et le droit (D’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques (article 25), Comité des droits de l’homme, 57e session, 12 juillet 1996, par. 1.
[12] Klein (P), « Le droit aux élections libres en droit international : mythes et réalités », in Association droit des gens (Ed.), A la recherche du nouvel ordre mondial – I. Le droit international à l’épreuve, Bruxelles, Editions Complexe, 1993, pp. 93-121, p. 95