Les droits humains au Burundi dans un contexte de trêve fragile

Alors que les principaux enjeux de paix et démocratie dans la région des Grands Lacs semblent se jouer en RD Congo, les risques de résurgence des conflits passés progressent insidieusement au Burundi. Les élections législatives de 2025 pourraient ébranler un semblant d’apaisement.

Crédit : Valebodnar_creative commons attribution: share alike 4.0 international.

Dans son discours d’investiture en 2020, le président du Burundi, Évariste Ndayishimiye, a manifesté une volonté de mise en place de réformes garantissant, entre autres, la bonne gouvernance, la liberté d’expression, la protection des droits humains et la lutte contre la corruption et l’impunité. Ces propos contrastaient avec sa campagne électorale, placée sous le signe de la continuité des politiques du président sortant, Pierre Nkurunziza, qu’il comparait à “Moïse” et à un “guide permanent” du pays.  

Depuis son élection, E. Ndayishimiye a réitéré ses engagements afin de sortir le Burundi de l’isolement, cette fois-ci au travers de son ministre des Affaires étrangères Albert Shingiro. Le chef de la diplomatie burundaise s’est ainsi attaqué à la lourde tâche de remettre le Burundi sur une scène régionale et internationale dont il avait été rejeté avec fracas après la crise de 2015. Comment faire oublier ces centaines de Burundais·es qui ont payé de leur liberté, voire de leur vie, leur opposition au troisième mandat de feu P. Nkurunziza ? Oublier, impossible. Mais sur l’échiquier politique international, où les intérêts économiques jouent bien souvent le rôle principal, aucun souvenir ne peut résister à une promesse de changement.

Après plus d’un an de consultations et de dialogue politique avec les membres de l’UE, le Burundi parvient à faire approuver sa feuille de route proposant des réformes en faveur des droits humains et de la bonne gouvernance et de l’État de droit. Le 08 février 2022, le Conseil européen lève les sanctions économiques prises en 2016 au titre de l’article 96 de l’accord de partenariat de Cotonou. La suspension de l’aide financière directe à l’administration burundaise est alors abrogée. « La décision de levée des restrictions qui a été prise aujourd’hui est l’aboutissement du processus politique entamé lors des élections générales de mai 2020, qui apporte une lueur d’espoir à la population du Burundi », peut-on lire dans un communiqué du Conseil. Dans le même communiqué, l’UE insiste sur « les défis qui subsistent encore » et sur « les nouveaux progrès qui seraient bénéfiques » à accomplir par la mise en œuvre de la feuille de route.

Selon le rapport de février 2023[i] publié par l’Initiative pour les droits humains au Burundi (IDHB), on a pu constater en 2022 une diminution des assassinats politiques, des disparitions forcées et des cas de torture. Ces constats sont à prendre avec des pincettes, compte tenu de la difficulté existante pour la collecte de ces informations. IDHB a salué également les mesures administratives prises contre les autorités provinciales et locales accusées de corruption et de détournement des fonds. Cependant, elle regrette, dans son rapport, l’absence de condamnation des violations des droits civiques et politiques commises par les mêmes autorités.

Le gouvernement burundais a montré des signes positifs, selon la communauté internationale, en libérant plusieurs journalistes, des défenseur·euses des droits humains et des prisonnier·ères politiques.

Des signes positifs, certes, qui ont tout de même demandé une pression sans relâche des OSC (Organisations de la Société Civile) européennes, des chancelleries, de la diaspora burundaise et d’autres institutions. Ce fut le cas, par exemple, pour la récente libération de cinq défenseur·euses des droits humains qui avaient été accusé·es de faits de « rébellion, atteinte à la sûreté intérieure de l’État et au bon fonctionnement des finances publiques ». Hélas, le cas de la journaliste Floriane Irangabiye, condamnée à 10 ans de prison après un procès trouble, a de quoi entretenir une certaine méfiance face aux discours d’ouverture du gouvernement.

En avril 2023, l’arrestation de l’ex-Premier ministre Alain-Guillaume Bunyoni pour atteinte à la sécurité de l’État[1] a remis le Burundi sous le feu des projecteurs. Bien qu’il s’agisse en partie d’une stratégie de rééquilibrage du pouvoir au sein du CNDD-FDD[2], l’arrestation de l’ancien patron de la police nationale est un geste fort vis-à-vis des « généraux ». Toutefois, il n’est pas poursuivi pour sa possible implication dans les violations des droits humains commises avant et après 2015.

Vers le changement : entre promesses et réalité

Là où certain·es espèrent un véritable changement de cap, d’autres dénoncent un changement rhétorique.

 Le rétrécissement de l’espace civique et démocratique demeure une réalité. Les OSC progressent dans leurs missions avec prudence, par crainte d’être radiées et les journalistes craignent, quant à eux, de perdre leur accréditation. L’approche des élections législatives en 2025 et présidentielles en 2027 pourrait sonner le glas d’un semblant de trêve sociale instaurée ces dernières années. Le risque de retour vers un nouveau cycle de violences n’est pas à exclure. 

L’impunité et la corruption sont systémiques et nourrissent des conflits latents de longue date. L’opposition politique et les initiatives de contestation citoyenne sont démunies face à unau CNDD-FDD, qui garde la main mise sur toutes les juridictions de l’État. De la magistrature à la sécurité nationale, en passant par les mouvements de jeunesse et l’administration des collines, l’État est inféodé au parti au pouvoir. Dans la même logique, le travail de la CVR (Commission Vérité et Réconciliation) est accusé de manque d’impartialité. 

Pourtant, là où il n’y a pas de véritable séparation des pouvoirs, on ne peut parler ni de bonne gouvernance ni d’État de droit. Au stade actuel les conditions ne sont pas encore réunies pour la future organisation d’élections transparentes, crédibles et apaisées. De surcroît, en dépit des améliorations observées ces dernières années, des OSC nationales et internationales continuent à faire état de cas de torture, d’enlèvements, de viols, de disparitions forcées, d’exécutions extrajudiciaires et de détentions arbitraires. À titre d’exemple, durant le mois de mai 2023, ACAT-Burundi[3] a décompté 19 cas d’assassinats, 2 cas d’enlèvements, 14 cas d’arrestations arbitraires et 10 cas d’atteintes à l’intégrité physique. Cela sans oublier les mécanismes d’obstruction du gouvernement à l’encontre des enquêtes internationales. L’interdiction d’accès au territoire émise contre le Rapporteur de l’ONU pour les droits humains au Burundi en est la parfaite illustration. 

Retours…volontaires ?

Le gouvernement burundais invoque un autre argument fort pour redorer son image auprès des bailleurs de fonds internationaux : le nombre de rapatriements des Burundais et Burundaises en exil.

D’après Martin Nitereka, ministre de l’Intérieur, de la Sécurité publique et du Développement communautaire, le nombre de retours volontaires s’élève à 200 000 personnes depuis 2017. Les statistiques des retours volontaires ont été favorables à la levée des sanctions en février 2022 par l’UE. Or, la généralisation de la notion de retour « volontaire » laisse à désirer. Un grand nombre de Burundais·es réfugié·es en Tanzanie ont été rapatrié·es de force après avoir fait l’objet de violations flagrantes de leurs droits humains. Certain·es n’ont pas eu d’autre choix du fait de l’aggravation des conflits dans les pays voisins. D’après l’ONU il y aurait encore 256 779  Burundais·es en exil dans la région. Ces chiffres sont sensiblement plus importants, étant donné le nombre de départs et de retours qui ne passent ni par les procédures officielles ni par l’enregistrement auprès du HCR. Les campagnes de rapatriement menées, par exemple au Rwanda, et les discours accueillants du gouvernement se heurtent à la méfiance des candidat·es au retour, qui mettent en doute les garanties sécuritaires, jugées insuffisantes.

De part et d’autre des pays frontaliers du Burundi, des réfugié·es ont signalé des incursions d’intimidation des Imbonerakure dans les camps des réfugié·es. Ce mouvement de jeunesse affilié au CNDD-FDD  ferait pression sur les opposant·es politiques et les défenseur·euses des droits humains en exil, pour qu’ils et elles adhèrent entièrement au parti au pouvoir.

La réinstallation et réintégration des rapatrié·es dans leurs communautés représentent un défi colossal. En effet, le Burundi reste meurtri par l’insécurité alimentaire, le chômage, l’accaparement des terres, les faibles taux de scolarité, les conflits fonciers et l’extrême pauvreté. Cette situation générale, conjuguée à l’instrumentalisation politique des jeunes et des appartenances ethniques, est propice à la résurgence des conflits passés et en cours. De plus, les discours de haine se normalisent, véhiculés par certaines figures politiques, médiatiques et par les réseaux sociaux. La cohésion nationale, indispensable à la consolidation d’une paix durable au Burundi, reste fragile dans un tissu social qui a été mis à rude épreuve durant plusieurs décennies.

Dans un monde où les crises internationales de tout genre se bousculent, les enjeux nationaux de certains pays semblent tomber aux oubliettes. C’est, en tout cas, le sentiment d’un grand nombre de Burundais et Burundaises, qui voient l’actualité de leur pays éclipsée par celle des guerres lointaines ou par les conflits armés ou diplomatiques qui se déroulent dans les pays voisins. Les conflits au Soudan, en Ukraine et dans la RD Congo y sont actuellement pour quelque chose. Or, les nombreux cycles de violence qui ont touché le Burundi ont démontré à quel point sa stabilité et celle de la sous-région des Grands Lacs sont étroitement liées. C’est l’une des raisons pour lesquelles le Burundi ne devrait, en aucune circonstance, être rayé de la liste des priorités de la communauté internationale. Notamment de celle de la Belgique qui, en tant que membre de l’Union européenne, fait partie des États garants des Accords d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi signés le 28 août 2000.

Nous devons faire preuve de vigilance en ce qui concerne les garanties sécuritaires promises par le gouvernement aux candidat·es au retour, afin que ces dernier·ères puissent retourner sans crainte pour leur intégrité physique. De plus, dans ce nouveau contexte d’ouverture, la Belgique et l’UE doivent s’assurer que les fonds destinés à la coopération au développement bénéficient directement aux citoyens et citoyennes du pays. Il est tout aussi indispensable de soutenir les initiatives des organisations de la société civile locales qui œuvrent pour la paix et pour la défense des droits humains. Nous, citoyens et citoyennes, pouvons aussi encourager les médias et nos représentant·es politique à rester alertes sur ce qui se passe au Burundi.

Au-delà de toute considération géopolitique, il y a une raison qui ne pourrait jamais rester dans l’ombre : le droit inaliénable à la vie, à la dignité et à la paix de tous les Burundais et Burundaises. En ce compris les citoyens et citoyennes qui ont été forcé·es à l’exil et qui attendent, parfois avec un espoir indéfectible, que les conditions soient réunies pour ouvrir de nouveau les portes de leurs maisons.

Alejandra Mejia Cardona.


[1] Il a été également arrêté pour atteinte au bon fonctionnement de l’économie nationale et pour la prise illégale d’intérêt. Cette arrestation a été précédée par celle de son bras droit, Désiré Uwamahoron.

[2] Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces de défense de la démocratie

[3] Action des Chrétiens pour l’abolition de la torture au Burundi.

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