L’un des modèles les plus progressistes au niveau mondial en matière de démocratie participative se trouve à Eupen, en Belgique. Ce modèle sert également de référence pour la participation citoyenne en Région bruxelloise et en Wallonie.
L’un des modèles les plus progressistes au niveau mondial en matière de démocratie participative se trouve à Eupen, en Belgique. Les Assemblées citoyennes, loin d’être illusoires, offrent un espace propice au débat calme ainsi qu’à la prise de décisions politiques alignées sur les aspirations des citoyen·nes, à condition de mettre en place des règles claires. Ce modèle sert également de référence pour la participation citoyenne en Région bruxelloise et en Wallonie.
Depuis un certain temps, les démocraties occidentales font face à une désaffection croissante, voire à un rejet, de la part d’un nombre grandissant de citoyen·nes. L’abstention électorale émerge ainsi comme un phénomène significatif en Occident. Par conséquent, les partis politiques et les personnalités publiques semblent constamment en campagne électorale. Ces dernièr·es cherchent à persuader les électeurs et électrices potentiel·les plutôt que de se concentrer sur des actions politiques à long terme, notamment en raison des pressions médiatiques constantes. Un phénomène d’autant plus exacerbé depuis la pandémie de Covid-19, qui a augmenté la défiance observée à l’égard des institutions démocratiques.
En réalité, les partis politiques témoignent d’une méfiance similaire envers les citoyen·nes et sont souvent réticent·es à les consulter en dehors des échéances électorales. Cependant, la mise en place de processus impliquant les citoyen·nes présente une opportunité de favoriser un débat politique plus calme et de faciliter un dialogue constructif entre les représentant·es élu·es et la population, pourvu que des règles claires soient bien définies.
Une avancée démocratique au cœur de la Belgique
Ainsi, le paysage de la démocratie participative trouve l’une de ses formes les plus avancées en Belgique au cœur de la Communauté germanophone. À partir de 2011, confronté·es à un désintérêt croissant envers la démocratie, même au sein de cette petite communauté d’environ 78 000 habitant·es, plusieurs parlementaires germanophones optent pour la mise en place d’un processus novateur. Ainsi, en février 2019, un décret instituant le « dialogue citoyen permanent » (aussi connu sous le nom de « Permanenter Bürgerdialog ») est adopté à l’unanimité. Sa distinction unique à l’échelle mondiale réside dans son lien presque institutionnel avec une assemblée législative, ainsi que sa permanence inhérente à sa nature.
Ce mécanisme, pourvu de moyens financiers et d’une équipe dédiée, intègre tous les éléments nécessaires pour garantir que les délibérations citoyennes soient à la fois efficaces et légitimes. En particulier, il introduit le concept fondamental de sélection aléatoire des citoyen·nes. En effet, le tirage au sort offre à chaque membre de la société la possibilité de s’engager dans le processus démocratique, peu importe son profil. Dans les structures traditionnelles, telles que les associations ou les partis politiques, les individus qui s’impliquent sont souvent issus de milieux socio-économiques privilégiés. L’utilisation du tirage au sort vise à corriger cette tendance en invitant des citoyen·nes moins habitué·es à prendre la parole. Ce système garantit ainsi une plus grande diversité d’expériences, de perspectives et de propositions, potentiellement plus en phase avec les préoccupations concrètes de la population.
Une nouvelle dynamique entre représentant·e et citoyen·ne
Concrètement, une invitation est adressée à un échantillon de citoyen·nes, reflétant la diversité de la population en termes d’âge, de sexe, de situation socio-économique, et autres critères pertinents. Parmi les personnes qui acceptent l’invitation, un tirage au sort est alors effectué pour la sélection finale. Une Assemblée citoyenne, composée de vingt-cinq à cinquante membres choisi·es au hasard, s’immerge alors dans chaque sujet, écoute des expert·es et débat durant plusieurs week-ends, sous la supervision de professionnel·les. Avec des parcours et des perspectives variés, les participant·es doivent harmoniser les opinions divergentes pour l’intérêt commun, puis rédiger des recommandations transmises au Parlement germanophone. Enfin, les politicien·nes ont un an pour mettre en œuvre – ou non – ces recommandations, en justifiant chaque décision.
Le premier thème abordé, en 2019, concerne l’amélioration des conditions pour les travailleur·euses et les patient·es dans le secteur de la santé. Quelques mois plus tard, la pandémie de Covid-19 met la santé au centre des préoccupations mondiales. L’Assemblée citoyenne, loin des réactions impulsives politiques et des influences médiatiques, élabore alors quatorze recommandations visant à optimiser la structure et la coordination des services de santé. Cette démarche citoyenne, réalisée en pleine crise sanitaire, a ainsi permis de dégager des solutions concrètes pour l’avenir du territoire.
Dès lors, illusion ou renaissance de la démocratie ?
Les Assemblées citoyennes dans la sphère germanophone ont été enrichissantes, avec des débats animés lors des deux premiers cycles sur la santé et l’éducation inclusive. Cependant, déterminer quelles recommandations sont effectivement adoptées demeure complexe. Dans l’ensemble, ces assemblées permettent aux citoyen·nes de se sentir écouté·es en fournissant des explications détaillées des décisions politiques, favorisant ainsi un dialogue plus constructif.
Des initiatives participatives voient également le jour en Région bruxelloise et au Sénat. En Wallonie, une Commission délibérative, constituée de trente citoyen·nes et dix élu·es, propose au Parlement wallon l’adoption d’un tel mécanisme avant les élections de juin 2024 (voir encadré).
Ainsi, chaque territoire doit trouver ses propres méthodes, mais il est crucial de les encadrer pour éviter les tensions politiques et les déceptions citoyennes. L’expérience confirme que, lorsque ces Assemblées citoyennes sont correctement encadrées, sans pressions électorales ou médiatiques, elles offrent à chacun·e la possibilité de s’engager dans des discussions sereines et constructives, indiquant ainsi un renouveau démocratique en marche.
Promouvoir la démocratie participative à Bruxelles et en Fédération Wallonie-Bruxelles
Plus proche de nous, pour améliorer ou s’engager dans la démocratie participative à Bruxelles et en Fédération Wallonie-Bruxelles, il existe plusieurs avenues à explorer. Tout d’abord, il est essentiel de saisir les opportunités déjà existantes en participant activement aux initiatives de démocratie participative mises en place dans la région. Ces actions peuvent se présenter sous diverses formes, comme des réunions publiques, des discussions entre citoyen·nes ou des débats structurés. En s’impliquant dans ces processus, les citoyen·nes peuvent contribuer à façonner les politiques publiques et à faire entendre leurs préoccupations. Par exemple, à Bruxelles, des initiatives telles que « Bruxelles Participation » organisent régulièrement des évènements et des consultations pour permettre aux citoyen·nes de s’exprimer sur des questions qui les concernent. En Fédération Wallonie-Bruxelles, des commissions délibératives sont également mises en place pour encourager la participation citoyenne dans le processus législatif.
Les citoyen·nes peuvent aussi jouer un rôle actif en encourageant les autorités locales à soutenir de nouvelles initiatives de démocratie participative ou en mobilisant la société civile pour les appuyer. Par exemple, il est possible de s’engager dans la création de conseils citoyens dans les quartiers ou d’organiser des débats sur des sujets comme l’éducation ou l’environnement. De plus, la formation et la sensibilisation des citoyen·nes demeurent essentielles afin de renforcer la démocratie de façon plus générale. Des ateliers, séminaires et campagnes de sensibilisation peuvent informer sur les enjeux démocratiques et préparer à participer activement aux processus décisionnels. Ainsi, en fournissant les connaissances et les compétences nécessaires, ces initiatives peuvent encourager une participation plus active et engagée des citoyen·nes en Belgique ainsi que partout ailleurs.
Christophe Haveaux.
Le parlement wallon a été touché par de nombreux scandales révélés en 2022 et impliquant le greffier, le président et son bureau[1]. Il en ressort une image désastreuse du fonctionnement démocratique en Wallonie.
Des initiatives citoyennes tentent aujourd’hui d’y remédier. Ainsi, le collectif Cap Démocratie[2], à travers une pétition, a réussi à récolter plus de 3 000 signatures, ce qui a permis de proposer un thème pour une Commission délibérative au sein du parlement wallon. Voici le thème : débattre de l’opportunité de créer en Wallonie une Assemblée de citoyen·nes tiré·es au sort, sur le modèle exemplaire de la Communauté germanophone de Belgique (lire l’article ci-contre). En juin 2023, les député·es wallon·nes ont voté à l’unanimité pour ce thème. Une Commission délibérative mixte a dès lors été mise en place en septembre. Celle-ci était composée de trente citoyen·nes tiré·es au sort et de dix élu·es (réparti·es entre les différents partis politiques). Durant quatre mois, la Commission a auditionné des représentant·es du Dialogue citoyen germanophone, des universitaires expert·es en démocratie participative, des juristes… Et a débattu d’un processus citoyen à instaurer en Wallonie.
La Commission a finalisé ses travaux le 25 février dernier et rendu trente recommandations au parlement wallon[3]. Voici le modèle qu’elle propose. Un Conseil mixte composé de trente citoyen·nes tiré·es au sort et dix élu·es, serait chargé de sélectionner les thèmes à débattre. Selon le thème, le débat aurait ensuite lieu, soit au sein d’une Assemblée 100 % citoyenne, soit au sein d’une Assemblée mixte (citoyen·nes et élu·es). Les politiques auraient donc un pouvoir d’influence (choix des thèmes, participation à une Assemblée), ce qui comporte un risque d’orienter le processus selon des intérêts partisans. Des balises devront sans doute être instaurées pour éviter cette dérive possible. Aux termes des travaux, l’Assemblée émettrait des recommandations au parlement wallon. Celui-ci devrait motiver le rejet ou l’acceptation des recommandations, à l’instar du modèle germanophone. Les responsables politiques resteraient en charge des décisions, mais devraient tenir compte de l’avis des citoyen·nes, sans quoi ils et elles perdraient leur crédibilité. Le Conseil mixte serait ensuite chargé du suivi des recommandations, notamment par le biais d’une consultation populaire régionale. La Commission propose également des mesures concrètes pour favoriser la participation de toutes et tous, par l’instauration d’un « congé démocratie » et la garde d’enfants par exemple.
Le parlement wallon va désormais se prononcer sur ces trente recommandations avant les élections de juin 2024. Ce modèle de participation citoyenne devrait alors entrer en vigueur au début de la législature suivante.
Pour aller plus loin
- L’historien et écrivain belge David Van Reybrouck a publié un ouvrage de référence qui a remporté un très large succès international : « Contre les élections », 2014, Editions Actes Sud.
- L’excellent documentaire « Elections, piège à cons ? » par le réalisateur François Gonce, fait le tour des innovations démocratiques en Belgique. Diffusé sur La Une le 7 février 2024 en prime time, il est désormais en streaming gratuit sur Auvio.be
- Une analyse détaillée sur le modèle germanophone : « Le dialogue citoyen permanent en Communauté germanophone », Christophe Niessen, Min Reuchamps, Courrier hebdomadaire du CRISP, 2019/21 (nº2426), pages 5 à 38. Téléchargeable sur Crisp.be > Courrier hebdomadaire/ puis faire une recherche par mots-clefs.
[1] Tous les détails sur Wikipedia > Affaire du Greffier
[2] https://www.capdemocratie.be
[3] Disponibles ici : https://www.parlement-wallonie.be/publication-du-rapport-adopte-par-la-premiere-commission-deliberative-du-parlement-de-wallonie