La propagation du Covid-19 à travers le monde a permis de comprendre la proximité des interactions mondiales ainsi que l’inefficacité des seules frontières à pouvoir contenir et stopper la propagation d’un virus. L’interconnexion des parties du monde qui semble s’imposer requiert une révision systémique mondiale.
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Après plus de deux ans de pandémie et une lutte acharnée des Etats pour lutter contre la propagation du virus, tous les espoirs pour en finir avec le Covid-19 ont été placés dans la vaccination. La conception ainsi que la production de vaccins se sont faites en un temps record (moins d’une année) en comparaison avec d’autres vaccins comme celui contre le virus [1] pour lesquels il aura fallu patienter 10 à 15 années pour qu’ils soient administrés aux populations affectées.
Malgré cette incroyable rapidité, la production et la répartition des vaccins entre les pays riches et les pays pauvres restent profondément inégales. La solidarité internationale dans le cadre de cette pandémie ne semble pas avoir été au rendez-vous. Il est donc opportun de s’interroger sur ce qui s’est passé.
« Ils se souviendront du moment où, alors que l’humanité rencontrait pour la première fois un problème commun, les pays occidentaux ont dit, « nous d’abord »[2].
L’apparition du nationalisme vaccinal
Quand le Covid-19 est apparu, les pays dits-développés ou à revenu élevé ont massivement investi dans la recherche et la production du vaccin ad hoc. Lorsque le vaccin a été trouvé, ces pays se sont accaparés des stocks produits pour protéger leurs populations, laissant de côté les Etats modestes qui ne pouvaient pas se payer les vaccins[3]. Ainsi par exemple, le Canada[4] avait commandé près de neuf doses par habitant alors que des Etats à revenu faible comme le Pérou ont dû passer par des essais cliniques des firmes chinoises (Sinopharm) et américaines (Johnson & Johnson) pour se voir livrer des doses par ces firmes[5], [6]. De même, en fin d’année 2021, au Burundi et en République démocratique du Congo, moins de 0,1 % de la population était vaccinée contrairement au Portugal où 87% de la population l’était déjà[7].
A la suite de la critique du Directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, face à ce qu’il a appelé l’“égoïsme des pays riches” et à l’oubli de la non-efficience de la vaccination d’une partie du monde face à une pandémie[8], les pays dits-développés ont organisé un système de solidarité en mettant sur pied le programme COVAX. Cette initiative a été lancée par l’OMS, Gavi[9] et la CEPI[10] pour permettre un développement et une fabrication rapide et équitable des vaccins contre le Covid-19, pour tous les Etats[11]. Mais cette initiative est, à bien des égards, entachée d’irrégularités.
Tout d’abord, parce que seulement une infime quantité de doses a été envoyée aux pays moins développés[12]. Tandis que certains pays étaient à leur troisième, voire à la 4ème dose comme Israël ou l’Allemagne[13], les pays défavorisés étaient à peine à leur 1ère dose, voire à aucune dose (c’est le cas par exemple de l’Erythrée[14]). Et maintenant que la pandémie est en voie de disparition dans les pays dits-développés, des stocks importants de doses inutilisés risquent de périmer alors qu’ils pourraient servir aux pays moins équipés qui en ont besoin. Dernièrement, le Nigeria a même fini par jeter plus d’un million de doses reçues par des pays donateurs car la date de péremption était trop proche ou dépassée[15]. Si, en revanche, les vaccins étaient équitablement distribués, tous les pays seraient protégés et ceci permettrait de prévenir l’apparition de nouveaux variants du virus[16]. Les variants Beta, Delta, Omicron et autres ne seraient peut-être pas apparus[17].
Aussi il faut noter que certains vaccins donnés aux pays moins équipés n’étaient pas reconnus dans certains pays donateurs et ne pouvaient donc pas être injectés aux habitant·e·s de ces pays. Par exemple, les doses de vaccins Covishield, produites par le Serum Institute of India, et offertes par l’initiative COVAX et l’Inde à plusieurs Etats africains (dont la République démocratique du Congo, le Nigéria, la Côte d’Ivoire, Madagascar ou l’Ethiopie) ont soulevé d’amples critiques de la part du président congolais, Félix Tshisekedi. En été 2021, ce vaccin indien, semblable au vaccin anglais AstraZeneca, n’avait pas été autorisé et n’était donc pas reconnu par l’Union européenne (UE) mais avait pourtant été distribué sur le continent africain dans le cadre du programme COVAX à laquelle l’UE est partie. Certains gouvernements africains, comme celui de la RD Congo se sont donc plaint de se voir offrir des vaccins sans ampleur universelle que l’Europe ne reconnaissait pas et qui ne permettait pas de rentrer dans l’espace Schengen[18].
Signalons également que des pays tels que la Chine, l’Inde et la Russie ont opté pour une diplomatie vaccinale bien différente. Ils ont choisi de se « solidariser » de manière bilatérale avec les pays partenaires. Ces décisions ont également hypothéqué l’efficience de l’initiative COVAX, comme le disait le président de l’OMS, en début d’année 2021, « Certains pays et entreprises prévoient de contourner Covax pour faire leurs propres dons pour des raisons politiques ou commerciales qui leur appartiennent » qu’il dénonce comme « un risque d’attiser les flammes de l’inégalité vaccinale »[19].
Le profit aux dépens de la santé
Le projet de vaccination universelle et équitable a été mis à mal par l’existence du monopole sur les brevets de production des vaccins et des droits de propriété intellectuelle détenus par les grandes entreprises pharmaceutiques (BigPharma). Or, celles-ci n’ont pas la capacité de pouvoir produire suffisamment de vaccins pour toute la population mondiale. On sait par ailleurs à ce sujet que les firmes pharmaceutiques ont été partiellement financées par les Etats pour produire les vaccins[20]. Paradoxalement, ces Etats ne peuvent pas ou ne veulent pas leur imposer de lever la clause de confidentialité sur leurs droits de propriété intellectuelle afin de permettre aux autres pays de produire eux-mêmes ce vaccin. Force ici est malheureusement de constater que le profit de quelques entités semble passer avant la santé de l’humanité entière. Ce qui pourtant est, à bien des égards, un bien public universel semble encore être un bien exclusivement réservé à quelques personnes privilégiées. Ici est clairement posée la question de la souveraineté sanitaire. Dans le cadre de la solidarité internationale, on s’attendrait à ce que les pays avancés financent des laboratoires dans les pays peu développés pour qu’ils produisent également des vaccins et des médicaments sur place afin de s’approvisionner plus facilement et à moindre coût.
Comment atteindre une vraie solidarité internationale ?
Pour les Etats producteurs de vaccins, plusieurs solutions de solidarité permettront l’efficacité de la réponse mondiale et ainsi d’éviter la création de nouveaux variants. À un niveau global, il existe des pistes qui doivent être mise en place de façon collective. Tout d’abord, la distribution des doses de vaccins produits doit être équitable, ce qui implique que les Etats producteurs ne doivent pas profiter de leur position privilégiée pour acheter une quantité de doses supérieure à leur population. En parallèle, l’initiative COVAX pourrait être une solution intéressante mais pour cela il faudrait que celle-ci s’organise de façon coordonné et collective. Ce programme est une bonne base pour mettre en place une répartition équitable des vaccins mais il ne sera efficient que si les Etats occidentaux laissent tomber leurs pratiques nationalistes et leur diplomatie parallèle (cf. la Chine, l’Inde et la Russie). Finalement, toujours à un niveau mondial, la levée des mesures de confidentialité sur les brevets des vaccins permettrait de rendre plus accessible la fabrication des vaccins par les autres Etats non producteurs à l’heure actuelle. Cette dernière solution devrait permettre aux Etats à faible revenu d’acquérir plus d’autonomie dans la fabrication et la répartition des vaccins à leur population, ainsi que dans le secteur pharmaceutique de manière plus large.
A une échelle nationale, la Belgique devrait étendre et décloisonner l’aide qu’elle apporte dans le cadre de sa politique de coopération au développement à ces différents partenaires africains. C’est connu, la Belgique entretient des liens historiques avec la République démocratique du Congo, le Burundi et le Rwanda, entre autres, mais sa politique se résume régulièrement à une aide ou à une assistance financière, matérielle ou encore militaire. Dans le cadre sanitaire et particulièrement dans le cadre d’une épidémie ou d’une pandémie, le gouvernement belge pourrait initier une autre forme de politique qui donnerait les clés à ces Etats pour développer une autonomie dans le domaine de la santé. Dans le même sens, elle pourrait des projets d’infrastructures pharmaceutiques pour que ces Etats puissent eux-mêmes fabriquer leurs médicaments et leurs vaccins. L’idée serait donc de transformer cette dépendance des pays défavorisés en une autonomie nouvelle appuyée par la solidarité internationale. A un niveau individuel, les solutions sont plus compliquées à trouver pour un enjeu d’une ampleur internationale. Tout de même, il est possible de soutenir des initiatives citoyennes (nationales, européennes ou internationales) qui militent pour un accès équitable aux vaccins. Au bout du compte, il nous apparait évidement que pour solutionner un problème global, il est absolument nécessaire de lui trouver une solution mondiale.
Clara Gatugu.
[1] Le vaccin pour lutter contre le virus Ebola a été fabriqué en 5 ans et il faut en moyen compter 10 à 15 ans pour développer un vaccin. https://www.ledevoir.com/societe/science/579612/combien-de-temps-faudra-t-il-pour-elaborer-un-vaccin-contre-la-covid-19
[2] Anne Sénéquier, chercheuse, co-directrice et fondatrice de l’observatoire de la santé à l’IRIS, dans un entretien avec le journal TV5 Monde en juin 2021.
[3] https://www.visualcapitalist.com/tracking-covid-19-vaccines-around-the-world/
[4] https://www.lexpress.fr/actualite/idees-et-debats/vu-du-canada-avec-9-5-doses-par-habitant-nous-avions-reserve-le-plus-de-vaccins-au-monde_2156374.html
[5] https://www.visualcapitalist.com/tracking-covid-19-vaccines-around-the-world/
[6] https://covidam.institutdesameriques.fr/cacophonie-vaccinale-dans-les-ameriques/
[7] https://www.france24.com/fr/sant%C3%A9/20211203-covid-19-un-an-apr%C3%A8s-quelle-g%C3%A9ographie-des-campagnes-vaccinales-dans-le-monde
[8] Tedros Adhanom Ghebreyesus a critiqué les Etats à revenu élevé sur leur « égoïsme » lors du discours d’ouverture d’une réunion du conseil exécutif de l’ONU à Genève le 18 janvier 2021. https://www.ouest-france.fr/sante/vaccin/covid-19-le-patron-de-l-oms-fustige-l-egoisme-des-pays-riches-et-les-fabricants-de-vaccins-7121857
[9] Aussi appelée Alliance du vaccin, Gavi est l’Alliance globale pour les vaccins et l’immunisation.
[10] Acronyme pour la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies.
[11] https://www.gavi.org/fr/facilite-covax#quoi
[12] https://www.lemonde.fr/international/article/2021/06/11/don-de-vaccins-a-covax-beaucoup-de-promesses-mais-encore-peu-de-livraisons_6083792_3210.html
[13] https://www.24heures.ca/2021/12/22/ces-trois-pays-vont-offrir-une-4e-dose-de-vaccin-a-leur-population
[14]https://www.france24.com/fr/sant%C3%A9/20211203-covid-19-un-an-apr%C3%A8s-quelle-g%C3%A9ographie-des-campagnes-vaccinales-dans-le-monde
[15] https://www.levif.be/actualite/sante/des-doses-de-vaccin-presque-perimees-sont-envoyees-dans-les-pays-pauvres/article-news-1512973.html
[16] Etude faite par Science : https://www.science.org/doi/pdf/10.1126/science.abj7364
[17] https://www.levif.be/actualite/sante/covid-faut-il-vacciner-d-urgence-les-pays-defavorises-pour-eviter-les-nouveaux-variants-analyse/article-normal-1513289.html
[18] https://www.lepoint.fr/afrique/afrique-ces-vaccins-que-l-union-europeenne-ne-reconnait-pas-23-06-2021-2432424_3826.php
[19] https://www.rfi.fr/fr/science/20210419-vaccins-contre-le-covid-19-la-nouvelle-bataille-diplomatique-mondiale
[20] https://www.cadtm.org/Coronavirus-Biens-communs-mondiaux-contre-Big-Pharma