Eau et sécheresse en Belgique : disponibilité, gestion et raréfaction d’une ressource commune

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Été 2019, une sécheresse touche la Belgique. Un ballet de tracteurs flamands perturbe la quiétude d’une commune wallonne. Interdits de captage dans les cours d’eau en Flandre, les agriculteurs·trices sont contraints de venir puiser l’eau quelques kilomètres en amont, en Wallonie. Une histoire belge qui risque de se répéter dans le futur…


Cette année encore, le printemps fut assez exceptionnel d’un point de vue météorologique : un ensoleillement record, des températures assez clémentes, mais surtout très peu de précipitations. Si le beau temps a pu plaire aux citoyen.ne.s qui ont su investir jardins et potagers, la situation était plus difficile pour les agriculteurs·trices, en manque d’eau pour l’arrosage de leurs cultures. La sécheresse a touché tout le pays, à tel point que la Flandre craignait une pénurie d’eau pour l’été.

C’est une situation qui se répète sur notre territoire. Depuis quatre années consécutives, la Belgique connaît des sécheresses météorologiques, caractérisées par d’importants déficits pluviométriques par rapport aux normales climatiques. Lorsque cela arrive durant plusieurs mois et à répétition sur plusieurs années, les sols peinent à se recharger en eau, le niveau des cours d’eau baisse, les nappes aquifères se vident. Les réserves en eau diminuent et le pays vit ce que l’on appelle une sécheresse hydrologique. Dans une telle situation, l’eau disponible pour la consommation se raréfie, touchant plusieurs secteurs économiques tels que l’agriculture, l’industrie, mais aussi la production énergétique (l’eau étant utilisée pour refroidir les centrales). La Belgique possède en fait relativement peu de réserves en eau par rapport à sa consommation, elle est ainsi considérée comme à risque de pénurie d’eau. Et cela pourrait s’aggraver avec le changement climatique.

La Belgique possède peu de réserves en eau par rapport à sa consommation, elle est à risque de pénurie d’eau

En effet, notre pays connaîtra au cours des prochaines décennies une augmentation des températures ainsi qu’une modification du régime pluviométrique. Nos étés souffriront d’une raréfaction des précipitations. Les modèles climatiques projettent ainsi une augmentation de la fréquence et de l’intensité des sécheresses printanières et estivales, qui seront associées à une réduction des ressources en eau disponible pour la consommation, ce qui rendra la Belgique vulnérable aux pénuries d’eau [1] Voir l’étude “Evaluation of the socio-economic impact of climate change in Belgium” – VITO, juillet 2020. .

Toutefois, les risques de pénurie ne touchent pas le pays de façon homogène. On observe en effet de fortes disparités au sein du territoire en termes de réserves en eau : lors des épisodes de sécheresse, la Flandre est généralement davantage touchée que la Wallonie par les manques d’eau. Les facteurs explicatifs de cette inégale répartition géographique sont multiples.

Le milieu naturel y joue un rôle important. En effet, le relief au nord du pays est caractérisé par des plaines à basse altitude, proches du niveau de la mer. C’est la basse-Belgique. A l’inverse, le centre et le sud du pays ont un relief plus vallonné et se situent à plus haute altitude (la moyenne et la haute-Belgique). Il y a donc en Wallonie un plus grand volume terrestre qu’en Flandre pour capter et stocker l’eau. Il y pleut aussi davantage, le relief ardennais essuyant jusqu’au double des précipitations observées en plaine. Enfin, la nature des sols et sous-sols diffère fortement selon les régions : les sols de basse-Belgique, essentiellement sableux, ne retiennent pas l’eau, alors que sur les plateaux et reliefs wallons, les sols sont de nature à la retenir davantage.

La répartition des populations sur le territoire belge a aussi un effet sur la constitution des réserves en eau. Les Régions flamande et bruxelloise sont densément peuplées, fortement urbanisées. Quand la Wallonie compte environ 15 % de terres artificialisées, la Flandre en compte le double. Ces surfaces imperméables empêchent les précipitations de s’infiltrer dans les sols et de recharger les nappes phréatiques. Directement évacuées dans les égouts, les eaux récoltées sont dirigées vers les cours d’eau, à destination de la mer. Autant d’eau qui ne sera pas captée et stockée sur le territoire.

Les disparités régionales tant du milieu naturel que de l’occupation du sol induisent donc une meilleure capacité de la Wallonie, par rapport à Bruxelles et la Flandre, à capter les précipitations, les stocker sur le territoire et ainsi maintenir d’importantes réserves d’eau.

Pourtant, au niveau de la consommation, c’est le nord du pays qui domine. Plus peuplée et davantage industrialisée, la Flandre a en effet besoin de plus d’eau que la Wallonie pour satisfaire ses besoins. Le constat est donc frappant : le nord du pays est grand consommateur d’eau mais possède peu de ressources. Ainsi, lorsqu’une période de sécheresse s’installe, les provinces flamandes sont les premières touchées par les manques d’eau et doivent rapidement mettre en place des mesures de restriction, aussi bien pour les particuliers (interdiction de laver les voitures, de remplir sa piscine, etc.) qu’au niveau des activités économiques (restriction d’irrigation dans l’agriculture, par exemple).

Cette situation paradoxale engendre des flux : l’eau puisée dans les régions riches en réserves doit être transférée vers les régions qui en sont dépourvues. On observe ainsi des transferts du Sud vers le Nord : des captages d’eau wallons alimentant les réseaux de distributions flamand et bruxellois. Il y a donc une dépendance de la Flandre et de Bruxelles vis-à-vis de la région wallonne concernant l’approvisionnement en eau. La région bruxelloise, très urbanisée, dépend d’ailleurs presque totalement des eaux wallonnes.

Il y a une dépendance de la Flandre et de Bruxelles vis-à-vis de la Wallonie concernant l’approvisionnement en eau

Cette dépendance revêt un aspect politique car la gestion de l’eau est régionalisée. Depuis les années 1970, ce sont les régions qui sont compétentes en matière de gestion de la quantité et de la qualité des eaux sur leur territoire. Ainsi, des divergences dans les politiques de gestion de l’eau peuvent faire apparaître des tensions politiques.

Ce fut notamment le cas dans les années 1980, quand la Wallonie eut le projet de taxer ses exportations d’eau vers la Flandre et Bruxelles (“Une taxe […] est perçue lorsque l’eau […] prélevée ou captée en Région wallonne, est transférée à l’extérieur de la Région” – extrait de l’art.32 du décret wallon [2]Extrait de l’art. 32 du décret wallon du 07/10/1985.). Cela s’inscrivait dans une volonté politique de renforcer son indépendance économique au sein du pays. Dans ce projet, condamné à l’époque par la Cour d’arbitrage et donc finalement abandonné, la Wallonie s’appropriait l’eau potable et la traitait comme un bien économique et donc marchandable, en opposition avec le Code civil belge, qui considère l’eau comme un bien commun pour toutes et tous [3]Etude du CRISP parue en 2001: “La gestion de l’eau en Belgique. Analyse historique des régimes institutionnels (1804-2001)”..

Il peut aussi exister des tensions entre secteurs économiques, résultant d’une concurrence pour l’utilisation de la ressource. Par exemple, afin de limiter sa dépendance hydrique vis-à-vis du sud du pays, la Flandre veut puiser davantage dans ses cours d’eau pour assurer un approvisionnement en eau potable. L’une des principales sources est le canal Albert, axe économique majeur en Belgique, reliant Liège à Anvers. Une augmentation du prélèvement d’eau dans ce canal, combinée à une période de sécheresse, pourrait provoquer une baisse considérable du niveau d’eau, au point d’impacter fortement la navigabilité du canal et donc de nuire au transport fluvial et aux activités économiques qui en dépendent [4]Aubry Touriel,“L’eau flamande (é)puisée du canal Albert“, Médor, 03/03/2020..

On peut donc facilement s’imaginer qu’avec le changement climatique, la crainte d’une raréfaction de l’eau ravive des tensions au sein des institutions politiques et des secteurs économiques belges. Mais peut-être est-il possible de suivre la voie de la coordination politique pour une gestion plus efficace de l’eau ?

Peut-être est-il possible de suivre la voie de la coordination politique pour une gestion de plus efficace de l’eau ?

Les autorités publiques doivent aujourd’hui respecter la directive-cadre sur l’eau de l’Union européenne. L’une des mesures est l’instauration d’une gestion intégrée au sein des bassins hydrographiques (les territoires drainés par les cours d’eau), c’est-à-dire une gestion de l’eau à l’échelle des frontières naturelles. La Belgique étant ainsi située au sein de plusieurs districts hydrographiques internationaux (essentiellement ceux de la Meuse et de l’Escaut), les autorités belges sont amenées à coopérer entre elles et coordonner la gestion de l’eau avec les États frontaliers. On devrait donc y voir une source de coopération plutôt que de conflits.

La directive-cadre sur l’eau de l’Union européenne (voir législation européenne)

En application depuis 2000, elle établit des règles pour mettre fin à la détérioration de l’état des masses d’eau et parvenir au « bon état » des rivières, lacs et eaux souterraines en Europe.

Elle considère que l’eau n’est pas un bien marchand comme les autres mais un patrimoine qu’il faut protéger, défendre et traiter comme tel.

Il s’agit notamment de protéger toutes les formes d’eau, restaurer les écosystèmes, réduire la pollution et garantir une utilisation durable de l’eau.

Durant les prochaines décennies, l’eau deviendra plus que jamais une ressource précieuse dans nos régions. Il faut espérer qu’une coordination efficace entre les autorités responsables amènera à une gestion durable de l’eau, protégeant les réserves et garantissant un accès pour toutes et tous à une eau de qualité.

Cette raréfaction doit aussi nous amener à reconsidérer notre propre rapport à l’eau en tant que personne [5]Timur Uluç, « L’accès à l’eau comme droit humain : la goutte de trop ? », Justice et Paix, 2018.. Évidemment au regard de notre consommation directe (nécessaire vital et hygiénique) ; mais également au regard de notre consommation indirecte. Une grande majorité de nos produits matériels (habits, smartphone…) et immatériels (énergie, consommation numérique) sont tributaires de l’approvisionnement en eau. Il est donc également de notre ressort de questionner les modes de production et le besoin en consommation, afin de s’inscrire dans une optique de respect de cette ressource naturelle.

Guillaume Bossuroy.

Documents joints

Notes

Notes
1 Voir l’étude “Evaluation of the socio-economic impact of climate change in Belgium” – VITO, juillet 2020.
2 Extrait de l’art. 32 du décret wallon du 07/10/1985.
3 Etude du CRISP parue en 2001: “La gestion de l’eau en Belgique. Analyse historique des régimes institutionnels (1804-2001)”.
4 Aubry Touriel,“L’eau flamande (é)puisée du canal Albert“, Médor, 03/03/2020.
5 Timur Uluç, « L’accès à l’eau comme droit humain : la goutte de trop ? », Justice et Paix, 2018.
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