“A l’heure où l’épidémie du Coronavirus atteint son pic et le confinement est sur toutes les lèvres, certains dirigeants politiques au sein de l’Union européenne n’hésitent pas à utiliser la crise sanitaire actuelle pour servir leurs propres intérêts politiques et renforcer encore davantage leur mainmise sur l’État via des changements législatifs. Alors que les gouvernements qu’ils sont censés diriger ont été, pour la plupart, bâtis sur le socle de la démocratie, des tendances autoritaires s’immiscent en parallèle du COVID-19. C’est le cas notamment des deux « mauvais » élèves de l’Union européenne, la Pologne et la Hongrie, qui ont récemment fait adopter, par des moyens douteux, des lois qui frôlent l’autoritarisme pur et dur”.
…tel semble être le message cynique des autorités hongroises à l’égard des critiques émises par les dirigeants européens suite à l’adoption d’une loi qui permet au premier ministre Viktor Orban de suspendre le Parlement et de diriger le pays par décret, et ce sans aucune limitation temporelle. En outre, la même loi stipule que ceux et celles qui répandent des informations considérées fausses sur le coronavirus risquent des sanctions pouvant aller jusqu’à plusieurs années d’emprisonnement. Pourtant, la définition de ce que constitue une information « fausse » est variable et subjective. Le but réel étant d’anéantir toute critique à l’égard du gouvernement en place. Pire encore, cette loi extrêmement répressive ne peut être levée que par un vote de deux tiers du Parlement et une signature présidentielle. Mais dans un pays où le premier ministre Viktor Orban dirige d’une main de fer et contrôle toutes les structures étatiques, quelles sont les réelles chances pour que cela aboutisse ? Presque nulles…
Celles et ceux qui ont un jour rêvé des « États-Unis d’Europe » voient maintenant cet idéal brisé, notamment avec ce pays qui vire de plus en plus vers une dictature et qui ne respecte pas les principes de base de l’Union européenne, condition pourtant sine qua non pour faire partie du club. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Parlement européen a enclenché le 12 septembre 2018 la procédure de l’article 7 de Traité de l’UE qui vise à sanctionner les atteintes à l’État de droit dans les États membres et peut, à terme, déboucher sur une suspension des droits de vote du pays au sein du Conseil de l’Union européenne. Selon le Traité, l’article 7 relatif à la promotion et à la protection des valeurs européennes vise à garantir que tous les pays de l’UE respectent les valeurs communes de celle-ci, y compris l’État de droit .
Même si plusieurs voix issues de la société civile, des institutions internationales et du Parlement européen se sont levées contre les dérives autoritaires de Viktor Orban, rien ne semble changer dans ce pays que le premier ministre dirige en maître absolu. Suite à ses actions, et face au risque d’instrumentalisation à des fins politiques de la crise sanitaire actuelle, plusieurs pays européens ont signé une déclaration commune pour exprimer leur inquiétude à l’égard de l’Etat de droit, mais sans nommer explicitement la Hongrie. Coup diplomatique ou comble du cynisme : la Hongrie a également signé cette déclaration, mettant en exergue ses préoccupations relatives aux risques de violations des principes démocratiques et droits fondamentaux.
Interpellé sur le sujet, Viktor Orban a déclaré avoir d’autres priorités que de répondre aux critiques de l’Union européenne sur des détails d’ordre juridique. Coup de massue pour une diplomatie européenne pas assez poignante et critique, y compris à l’égard de l’un de ses membres ? Il semblerait en tout cas, que dans le contexte hongrois, lutter contre le COVID-19 est synonyme d’une mise en berne de la démocratie.
Alors que le 10 mai prochain des élections présidentielles devraient avoir lieu en Pologne, le parti PIS au pouvoir (Parti Loi et Justice), dirigé dans l’ombre par le puissant et le populiste Jaroslaw Kaczynski exige que celles-ci soient organisées à tout prix, malgré la crise sanitaire actuelle. Pour ce faire, PIS essaie de démanteler le système électoral du pays afin de permettre au favori du parti, l’actuel président Andrzej Duda, de briguer un deuxième mandat. Ceci alors que la Constitution du pays stipule bien que la loi électorale ne peut être changée à moins de six mois des élections. Le PIS vient tout de même de proposer une initiative législative à un mois des élections présidentielles, bafouant une nouvelle fois toute autorité juridique. L’opposition décrit d’ailleurs cela en termes de « coup ».
Concrètement, dans le contexte du coronavirus, les citoyens pourraient voter par la poste, sans que des bureaux de vote physique soient mis en place. Tout se ferait par correspondance et constituerait une première dans l’histoire du pays. Ce scénario fort probable entraîne déjà toute une série de craintes, notamment au niveau logistique vu que la poste polonaise devrait livrer les bulletins de vote à tous les citoyens, en arrêtant temporairement les autres livraisons.
Pire encore, suite à l’annonce de « menace épidémique » faite par le gouvernement, tous les candidats à l’élection présidentielle ont suspendu leur campagne électorale, sauf le candidat du gouvernement, Andrzej Duda, présent en permanence dans les médias contrôlés politiquement et gagnant ainsi un net avantage dans les sondages. Mais l’enjeu des élections présidentielles concerne le leader de facto du pays, Jaroslaw Kaczynski, qui cherche à s’assurer que le pays sera dirigé par l’un de ses dauphins afin de pouvoir continuer à tirer les ficelles derrière la scène politique.
Comme la Hongrie, la Pologne est également engagée dans un bras de fer avec l’Union européenne qui a enclenché l’article 7 du Traité de l’UE le 20 décembre 2017 suite aux réformes du système judiciaire entreprises par le gouvernement polonais. Ces réformes visaient notamment la baisse de l’âge de retraite des juges tout en laissant la possibilité au ministre de la justice de maintenir certains, à savoir ceux fidèles au pouvoir en place. En réalité, à travers cette mesure, le gouvernement a cherché à asservir la justice et se débarrasser de toute critique.
Pourtant, l’efficacité même de ce mécanisme lié à l’article 7 du Traité est souvent remise en question, notamment parce que toute sanction requiert l’unanimité au sein du Conseil de l’UE. La Pologne et la Hongrie se soutiennent mutuellement en utilisant leur droit de veto à chaque fois qu’elles sont sous les radars de l’UE.
Face aux dangers de ces deux scénarios, susceptibles d’être répliqués sous d’autres formes ailleurs en Europe, les citoyen.ne.s se mobilisent via des pétitions telles que « No Quarantine for Democracy » (Pas de quarantaine pour la démocratie) et exigent que les mesures d’urgence prises par les gouvernements aient une date limite bien précise. C’est un devoir citoyen nécessaire et qui nous incite à rester vigilant.e.s, y compris en Belgique. En effet, la démocratie européenne se construit collectivement. Nous avons donc tou.te.s un rôle à jouer. Alors que le débat sur le COVID-19 prend souvent des tournures nationales et où le « chacun pour soi » semble être la nouvelle norme, il est important de rester attentif à ce qui se passe dans les pays voisins. La solidarité internationale, y compris au sein de l’UE, est aujourd’hui plus que jamais essentielle.
A l’heure où plusieurs pays déclarent des « états d’urgence » et adoptent des « lois –coronavirus », comme récemment au Royaume-Uni (Coronavirus Bill) conférant des pouvoirs considérables à la police, il est primordial que nous restions vigilant.s face aux éventuelles dérives autoritaires et restrictions de nos libertés. Certes, nul ne conteste le fait que les gouvernements doivent mettre en place des mesures fortes pour endiguer l’épidémie. Mais jusqu’où iront-elles ? Le traçage des données personnelles, la surveillance de masse des téléphones pour restreindre les déplacements des citoyens, la reconnaissance faciale pour collecter des données biométriques ne sont que quelques exemples qui sont actuellement en discussion et qui nous concernent tou.te.s, y compris en Belgique.
Au niveau européen, une position plus forte et explicite devrait également être prise par la Commission européenne contre l’instrumentalisation de la crise du coronavirus par des régimes aux tendances autoritaires. A l’heure où des discussions visant à mettre en place un plan de sauvetage à hauteur de 500 milliards d’euros échouent pour le moment, il convient de rappeler aux Ministres des Finances de la zone euro (Eurogroup) que le choc économique que le COVID-19 entraînera sera inévitable et devra être amorti d’une manière ou d’une autre. Ferons-nous preuve de solidarité au sein de l’UE le moment venu ? Et quelle position la Belgique adoptera-t-elle ?
Dans le contexte de la crise migratoire de 2016, le politologue Ivan Krastev précisait : « ce que nous voyons à l’œuvre en Europe aujourd’hui c’est un clash des solidarités, bien plus qu’un déficit de solidarité (…) et ce clash des solidarités se produit non seulement à l’intérieur des sociétés, mais aussi entre les États-nations » .
Cette grille de lecture s’applique-t-elle également dans la crise du coronavirus que le monde connaît aujourd’hui ? Ou faudrait-il plutôt voir le verre à moitié plein avec les initiatives de solidarité citoyenne, ainsi que le soutien dont certains gouvernements ont fait preuve envers d’autres ? A chacun sa façon de voir les choses. Ce qui est indubitable, c’est que l’Europe a rendez-vous avec l’histoire, tant au niveau politique qu’économique. Reste à voir de quel côté elle se situera.
Larisa Stanciu.