Chacunꞏe peut s’investir pour une société qui privilégie le dialogue et la résolution pacifique des conflits. L’école et la société civile jouent un rôle déterminant pour éveiller les consciences, réconcilier la mémoire collective, cultiver la démocratie et la coopération entre individus, communautés et États.
Au sein de nos démocraties, chacun·e peut contribuer à construire la paix et encourager les citoyen·ne·s à pratiquer l’écoute et le dialogue démocratique, que ce soit au sein d’une famille, d’un quartier, d’une association, d’une école ou d’une communauté plus large. L’Histoire montre qu’une plus grande participation démocratique diminue la probabilité que les sociétés résolvent les conflits par la violence et la guerre. Or, la paix et la démocratie se construisent à tous les échelons de la société !
En Europe, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les États et la société civile ont su construire et investir dans des institutions – locales, nationales et internationales – pour développer la démocratie, la coopération, la médiation et les processus pacifiques et juridiques de résolution des conflits.
La paix n’est cependant jamais garantie et il faut sans cesse agir sur tous les leviers disponibles pour maintenir le dialogue. C’est pourquoi l’Assemblée générale des Nations-Unies a adopté, le 15 janvier 1998, la notion de « culture de la paix » : « La culture de la paix est un ensemble de valeurs, attitudes, comportements et modes de vie qui rejettent la violence et préviennent les conflits en s’attaquant à leurs racines par le dialogue et la négociation entre les individus, les groupes et les États ».
Aujourd’hui, l’équilibre géopolitique est confronté à une guerre d’ampleur mondiale en Ukraine et à une reconfiguration des alliances entre puissances. Dans un contexte fragilisé, les organisations internationales créées pour prévenir les conflits – telles que l’ONU – se doivent d’imaginer de nouveaux modèles de coopérations entre États pour construire un nouvel équilibre favorable à la paix (lire le portrait de Pierre Hazan plus loin dans ce numéro).
Si les simples citoyen·nes que nous sommes peuvent se sentir dépassé·e·s – et même effrayé·e·s – par la guerre en Ukraine, il est essentiel de rappeler que chacun·e peut agir à son niveau pour construire la paix au cœur de notre société.
« Il est essentiel de rappeler que chacun·e peut agir à son niveau pour construire la paix au cœur de notre société. »
L’école peut développer des compétences essentielles
En France, le célèbre neuropsychiatre Boris Cyrulnik a récemment publié un ouvrage où il identifie le manque affectif chez l’enfant comme facteur de la violence des adultes[1]. Il plaide dès lors pour enseigner l’empathie à l’école pour prévenir la violence à l’échelle d’une société.
L’espace éducatif constitue en effet un vecteur d’émancipation, où les élèves et les enseignant·es deviennent des agent·es de changement, en prenant conscience des iniquités et des préjugés passés et présents. Il s’agit d’aider les élèves à analyser et transformer leur vision du monde, définie par des influences culturelles, familiales, historiques, religieuses et sociétales, afin de construire une nouvelle vision commune et partagée avec les autres élèves.
Soulignons d’emblée que l’école est une institution de notre société et, à ce titre, reproduit souvent ses inégalités, ses discriminations, ses conflits de valeurs et même ses violences sociales : harcèlement scolaire, vandalisme, conflits entre élèves et enseignant·es, manque de moyens publics, épuisement du corps enseignant, …
Mais les bonnes volontés et les outils pédagogiques ne manquent pas pour relever le défi : groupes de parole pour désamorcer les situations de harcèlement, groupes de travail pour améliorer le « vivre ensemble » de la classe et de l’école, impulsion positive de la direction de l’établissement, …
Forte de ces outils et atouts, l’école peut dès lors amener les enfants à se connaître d’abord, à s’apprécier, à comprendre et à envisager avec sympathie les notions de justice, d’égalité, de liberté, de tolérance, de démocratie et leur donner envie d’œuvrer pour un monde plus humain, plus solidaire.
Pour y arriver, l’école doit développer des capacités pour reconnaître et accepter les valeurs requises pour la vie en commun, et apprécier les autres cultures ; des capacités de dialoguer et à modifier son jugement ; des capacités de résoudre les conflits de façon constructive[2].
« L’école peut développer des capacités de dialoguer et à modifier son jugement ; des capacités de résoudre les conflits de façon constructive.»
Un programme modèle à New-York
La ville de New-York a mis en place un projet qui fait aujourd’hui référence : le programme de résolution créative des conflits (RCCP), financé par les écoles publiques de New-York et par une organisation indépendante sans but lucratif[3]. Il comprend :
- Un programme d’études, de la maternelle au début du secondaire, qui consiste à enseigner plusieurs techniques clés telles que l’écoute active, l’affirmation de soi, la coopération, la reconnaissance de la diversité, l’esprit critique… des compétences pratiquées notamment par le jeu de rôle et la discussion de groupe, en veillant à la participation et à l’interactivité.
- Une formation continue et une assistance technique permanente pour les enseignant·es.
- Un programme de médiation assuré par les élèves : en cas de conflit dans la cour de récréation, par exemple, des élèves portant un gilet « médiateur » se proposent pour trouver une solution ensemble.
- Une formation des parents qui sont appelés à animer, à leur tour, des ateliers destinés à d’autres parents.
- La formation du personnel administratif, afin que, dans l’exercice de leurs fonctions, ils favorisent la mise en place du programme·
Notons qu’en Europe, les écoles à pédagogie active mettent souvent en place des processus participatifs de médiation des conflits.
« En Belgique, de nombreuxses acteurs·rices d’éducation populaire et d’éducation permanente sensibilisent et mobilisent les citoyen·nes pour la démocratie, la justice sociale, la solidarité et la paix. »
L’éducation permanente en action
Au-delà de l’école, l’ensemble de la société civile joue également un rôle déterminant pour construire la paix au cœur de notre société. En Belgique, de nombreux·ses acteur·rices d’éducation populaire et d’éducation permanente sensibilisent et mobilisent les citoyen·nes pour la démocratie, la justice sociale, la solidarité et la paix. Des associations – telles que Justice & Paix – développent des outils pédagogiques qui permettent aux acteur·rices de la société d’aborder, en public, les enjeux d’un monde plus juste.
Aussi, les acteur·rices du monde culturel mettent en scène notre Humanité en images, en musique, en texte, en spectacle, etc pour ouvrir nos sens et nos émotions à un imaginaire commun, désirable et apaisé.
Les immigréꞏes partagent les valeurs de leur pays d’accueil
« Les immigréꞏes partagent les valeurs dominantes de leur pays d’accueil », révèle une large enquête menée dans 35 pays européens entre 2017 et 2020, portant sur le sens que les individus donnent à la famille, au travail, aux loisirs, aux relations à autrui, à la religion et à la politique[4].
Le politiste Bernard Denni, qui a participé à cette enquête sociologique, en résume les conclusions :
« Le brassage des normes et des valeurs entre autochtones, immigréꞏes et étrangers, sur fond d’inégalités sociales, n’est pas toujours un long fleuve tranquille et engendre d’inévitables tensions. Mais ces analyses ne font pas apparaître de clivages entre les valeurs des autochtones et celles des immigrés justifiant un sentiment de menace· »[5].
En effet, les personnes d’origine étrangère et les autochtones partagent des valeurs traditionnelles à l’Est et au Sud de l’Europe, et des valeurs d’émancipation personnelle au Nord et à l’Ouest de l’Europe.
« Les politiques d’immigration devraient favoriser davantage ces ressorts sociologiques par lesquels les immigrés deviennent des Européens comme les autres. », conclut Bernard Denni.
En réalité, les discours xénophobes (« Les immigrés représentent une menace »), utilisés par les partis d’extrême droite, repris par des partis de droite et surmédiatisés par certains médias, visent à créer un climat de peur et un clivage politique pour capter les votes électoraux des citoyen·nes qui se sentent déclassé·es et précarisé·es dans une société en mal de repères. Pour construire la paix et maintenir une cohésion sociale, s’agit donc, plus que jamais, d’investir dans l’éducation, la justice sociale et la solidarité au sein d’un projet inclusif au bénéfice de tous les citoyens.
L’amitié, vectrice de paix ?
De l’Antiquité à aujourd’hui, l’amitié a joué différents rôles au sein de nos sociétés. Aux yeux des Grecs anciens, l’amitié était le principe qui tenait ensemble les sociétés, voire l’Univers entier. Durant les périodes troubles, de l’époque romaine au Moyen-Âge, l’amitié était politique : les seigneurs et notables devaient trouver des alliées de confiance pour exercer le pouvoir.
Les gestes d’amitié se sont codifiés. À l’origine, se serrer la main démontrait à son interlocuteur·rice que l’on ne tenait pas une arme cachée dans sa main.
Dans nos sociétés contemporaines, où les anciennes structures sociales (couple, famille, relations professionnelles, de voisinage, partis, syndicats, etc) sont fragilisées, l’amitié incarne désormais une relation privée, durable et fiable, sur laquelle on peut compter au cours de la vie.
Mais l’amitié a aussi un effet civilisateur, comme rempart à la violence et à l’extrémisme. Selon une étude suédoise, les personnes qui font l’expérience du rejet et de l’exclusion dans leur vie quotidienne se montrent plus enclines à rejoindre des groupes radicaux. Une récente étude suisse montre également que les personnes les moins satisfaites de leurs amitiés, ou qui souffrent de solitude, justifient beaucoup plus facilement la violence pour lutter contre les injustices ou défendre leurs convictions[6].
À l’inverse, l’étude montre que l’amitié incite à s’engager socialement et joue dès lors un rôle bénéfique pour la communauté. Dans ce contexte, la philologue Ivy Schweitzer désigne l’amitié comme une « pratique civile démocratique ».
Christophe Haveaux.
[1] « Quarante voleurs en carence affective », Boris Cyrulnik, septembre 2023, éditions Odile Jacob.
[2] « L’éducation à la paix, pourquoi, comment, le rôle de l’école », Saliou Sarr, professeur, formateur, président de l’EIP/Sénégal et membre de l’équipe pédagogique du CIFEDHOP (Centre International de Formation à l’enseignement des droits de l’homme et de la paix de Genève , Suisse).
[3] « The Resolving Conflict Creatively Program: How We Know It Works », Jennifer Selfridge
[4] European Values Study : https://europeanvaluesstudy.eu
[5] Le Monde, 28/08/2023[6] Etude disponible ici : https://engagement·migros·ch/fr > News et projets > Vivre ensemble > L’amitié à la loupe.Lien direct : https://engagement·migros·ch/fr/news-projets/vivre-ensemble/etude-sur-l-amitie