Colonies israéliennes : la Belgique brise le silence, l’Europe tergiverse

Dernière mise à jour : 18/09/2025 à 15h013

La Belgique et l’Europe sont à la croisée des chemins. Après des semaines de négociations, le gouvernement belge a adopté des sanctions inédites contre les colonies illégales israéliennes, mais ces mesures restent insuffisantes face à l’urgence. Maintenir les relations économiques et politiques entre l’Union-européenne et Israël dans ce contexte, c’est légitimer l’impunité, ignorer les violations du droit international et participer à l’oppression des palestinien·nes. L’heure n’est plus aux compromis : agir maintenant est un impératif moral et juridique.

Crédit photo : Mateus Andre.

Le 19 juillet 2024, la Cour internationale de justice (CIJ) rendait un avis historique: l’occupation prolongée par Israël de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et du plateau syrien du Golan est ILLEGALE. L’avis est clair : Israël doit mettre fin à cette occupation, cesser immédiatement toute nouvelle colonisation et démanteler les colonies existantes. Quelques semaines plus tard, le 18 septembre 2024, l’Assemblée générale des Nations unies dans sa Résolution ES-10/24 a exigé qu’Israël mette fin à cette occupation dans un délai d’un an. Nous voici donc, à l’automne 2025, au moment crucial où ce délai expire.

Cette échéance coïncide avec la Journée internationale de la paix. Or, rien n’indique qu’Israël ait respecté l’avis de la CIJ. Au contraire, le constat est amer : loin de se retirer, Israël a poursuivi l’expansion de ses colonies et a approuvé le 20 août 2025 un projet de colonisation majeur[1] dans la zone E1, entre Maale Adumim et Jérusalem-Est. Cette expansion territoriale remet en question la viabilité d’une solution à deux États, en rendant de plus en plus difficile la création d’un État palestinien souverain et contigu.

À l’heure actuelle, plus de 700.000 colons israéliens vivent dans les territoires palestiniens occupés, bénéficiant de routes réservées, d’un accès privilégié à l’eau et de subventions publiques massives. Ces colonies, qui se développent grâce à un soutien étatique direct (réductions d’impôts, infrastructures modernes, facilités agricoles), offrent à leurs habitants des conditions de vie nettement plus favorables que celles des palestinien·nes, contraints de subir confiscations de terres, destruction d’oliveraies[2], démolitions de maisons, violences de colons souvent impunies[3] et restrictions permanentes de mouvement imposées par des centaines de checkpoints.

Une complicité inacceptable

Les colonies israéliennes violent le droit international : la  IVe Convention de Genève interdit à une puissance occupante de transférer sa population civile dans un territoire occupé[4].Le Statut de Rome qualifie cette pratique de crime de guerre. La CIJ, à deux reprises (avis de 2004 sur le mur, avis de 2024 sur l’occupation), a rappelé que les autres États ont l’obligation légale de ne pas soutenir les colonies, de ne pas importer leurs produits et de prévenir toute complicité avec les violations du droit international.

En outre, l’Accord d’association UE-Israël, conclu en 2000 constitue le cadre juridique principal des relations commerciales et politiques entre les deux parties et prévoit notamment, la facilitation des échanges commerciaux, la réduction des droits de douane et une coopération politique renforcée.

L’accord d’association contient une clause essentielle :  son article 2 conditionne les relations bilatérales au respect des droits humains[5]. Crimes de guerre, apartheid, déplacements forcés, risque de génocide à Gaza selon la CIJ démontrent que cet article est gravement violé.  Pourtant des États clés comme l’Allemagne, la Hongrie, la République tchèque ou encore l’Italie ont opposé un refus catégorique à toute suspension partielle ou totale de l’accord, invoquant prioritairement des considérations économiques ou géopolitiques[6].

Le rapport « Trading with Illegal Settlements » montre comment les colonies prospèrent grâce aux échanges internationaux avec des multinationales et des institutions financières, mais aussi avec l’Union européenne, premier partenaire commercial d’Israël, qui importe chaque année pour des centaines de millions d’euros de produits issus de ces colonies. Derrière les étiquettes « Made in Israel » que l’on retrouve dans les supermarchés européens, sur les vins, fruits, et cosmétiques, se cache une réalité : la colonisation illégale est normalisée par nos propres circuits commerciaux.

Cette incohérence mine la crédibilité européenne. Comment justifier l’adoption rapide de sanctions contre la Russie après l’annexion de territoires ukrainiens, alors qu’aucune mesure équivalente n’est prise face à l’occupation israélienne ? Malgré les récentes et timides propositions de la Commission européenne, ce double standard, rend complice l’UE complice. Tout en affirmant défendre la paix et les droits humains, elle laisse entrer sur le marché des biens issus de cette colonisation illégale.

Après la Slovénie et l’Irlande, la Belgique, en adoptant 12 sanctions contre les colonies israéliennes, crée un précédent historique en Europe, suivi par l’Espagne. Pour la première fois, des États membres imposent l’interdiction totale des produits issus des colonies sur son marché, un embargo sur les équipements militaires exportés vers Israël, l’interdiction du survol de son espace aérien par les avions militaires israéliens, ainsi que des restrictions consulaires pour ses ressortissants installés dans les colonies. En agissant unilatéralement, la Slovénie, l’Irlande, la Belgique et l’Espagne brisent le tabou européen et exercent une pression sans précédent sur les autres États membres en soutenant activement la suspension de l’Accord d’association UE-Israël. Ces Etats, bien qu’ayant ouvert une brèche,restent encore largement en-deçà de l’ensemble des mesures préconisées par l’Assemblée générale de l’ONU dans sa résolution du 18 septembre 2024 et qui, surtout, à eux-seuls ne pourront pas mettre fin à cette complicité continentale.

Identifier et interdire ces produits semble simple. En réalité, ils sont souvent mal distingués, difficiles à tracer, et peuvent être transformés au sein des colonies avant d’être déclarés « Made in Israel ». De plus, la charge de la preuve repose sur les douanes européennes, tandis que les chaînes logistiques complexes et le manque de coordination entre États membres rendent le contrôle inefficace. Justice & Paix et les autres signataires du rapport « Trading with Illegal Settlements », affirment que la charge de la preuve doit être inversée : c’est à Israël de démontrer que ses produits proviennent bien de son territoire et non des colonies.

L’immobilisme européen engendre des conséquences dramatiques

Au-delà du droit, c’est une question de dignité humaine et de cohérence éthique. À Gaza, malgré les ordonnances répétées de la CIJ en 2024, Israël continue de bloquer l’aide humanitaire, provoquant famine[7] et destructions massives. En Cisjordanie, la colonisation s’accompagne d’une annexion de facto. Tandis que les colons bénéficient de subventions, d’infrastructures modernes et d’un accès illimité à l’eau, les Palestiniennes et les Palestiniens subissent pauvreté et dépendance. Beaucoup n’ont d’autre choix que de travailler dans les colonies, à des salaires très bas, souvent sans contrat ni protection sociale, dans des conditions précaires et parfois dangereuses pour les travailleur·ses palestinien·nes. Le commerce avec les colonies alimente ainsi un véritable système d’apartheid économique et social[8]

À cette inégalité s’ajoute une dualité judiciaire flagrante : selon le territoire où ils vivent, les palestinien·nes sont jugé·es par des tribunaux militaires, tandis que les colons relèvent des juridictions civiles israéliennes. Cette distinction illustre concrètement la logique d’apartheid juridique et institutionnel. Des organisations comme Defense for Children International Palestine et Belgique documentent au quotidien ces violations, notamment l’arrestation et la détention de milliers d’enfants palestinien·nes dans le système militaire israélien[9].

Poursuivre ce commerce au sein de l’Union-européenne, c’est fermer les yeux sur une injustice structurelle, c’est accepter que notre prospérité se construise sur la dépossession et la domination des palestinien·nes. C’est, en une phrase, contribuer à rendre impossible une paix juste et durable.

Prendre nos responsabilités : la Belgique montre l’exemple, et après ?

Un an après l’avis de la CIJ, alors que le délai accordé à Israël expire, la question est urgente : que faire pour ne plus être complices ? La Belgique a agi. Grâce à la pression citoyenne, notre pays a adopté des sanctions : interdiction des produits des colonies, embargo sur les équipements militaires, restrictions sur les vols israéliens. Mais ce n’est qu’un début.

Les responsables politiques européen·nes et belges doivent aller plus loin. Le Parlement européen et les gouvernements nationaux ont le pouvoir et le devoir d’interdire l’importation de produits issus des colonies. L’Accord d’association UE-Israël doit être suspendu tant que le respect des droits humains n’est pas garanti. Et la charge de la preuve doit être inversée : ce n’est plus aux douanier·es de deviner si un produit vient d’une colonie, mais à Israël et à ses exportateurs de le démontrer.

Au-delà des mesures techniques, il est indispensable que les représentant·es politiques au pouvoir prennent la pleine mesure de la réalité : génocide à Gaza, occupation prolongée, système d’apartheid. Ces crimes dépassent toute idéologie et ne peuvent être réduits à des calculs électoralistes ou à des couleurs partisanes. Le respect de la dignité humaine et du droit international doit primer sur tout autre intérêt.

Les entreprises européennes portent également une responsabilité claire. Les Principes directeurs de l’ONU sur les entreprises et les droits humains interdisent toute complicité avec des violations graves. Les compagnies européennes de tourisme, transport, construction ou distribution actives dans les colonies doivent se retirer immédiatement, pour leur crédibilité éthique autant que pour leur responsabilité juridique.

Les citoyennes et citoyens belges, enfin, disposent d’un véritable levier d’action. L’UE a son siège à Bruxelles. Nous sommes au cœur de la décision. La Belgique a montré que l’action était possible. Maintenant, faisons-en sorte que l’Europe tout entière suive. Nous avons le pouvoir de faire plier les lignes, et nous l’avons déjà prouvé. Continuons de refuser les produits des colonies, d’interpeller les responsables politiques européen·nes, de relayer les campagnes[10] et pétitions.

Nous pouvons faire en sorte que la paix ne se bâtisse pas sur des murs, des colonies et une violence structurelle, mais sur la reconnaissance des droits les plus élémentaires.

Louise Lesoil.


[1] L’ONG israélienne anticolonisation « La Paix maintenant » a mis en garde contre un « plan fatal pour l’avenir d’Israël et pour toute chance d’une solution à deux États ».

[2] https://conquer-and-divide.btselem.org/map-fr.html

[3] Communiqués de presse Haut-Commissariat aux droits de l’homme: L’intensification de la colonisation et de l’annexion en Cisjordanie a des conséquences désastreuses pour les droits humains, 18 mars 2025.

[4] https://www.icrc.org/fr/statement/Israel-et-territoire-palestinien-occupe-droit-occupation-doit-etre-respecte

[5] L’article 2 du texte souligne que les relations entre l’Union européenne et Israël reposent sur “le respect des droits de l’Homme et des principes démocratiques“, valeurs guidant tant leur politique intérieure qu’extérieure

[6] Human rights watch, “EU: Suspend Trade Agreement with IsraelUnions, Other Groups Urge Trade Pressure Amid Escalating Atrocities”, 20 juin 2025.

[7] L’ONU a confirmé le 22 août qu’une famine est en cours à Gaza.

[8] Charbit, D. (2023). « Israël pratique l’apartheid. » Israël et ses paradoxes : Idées reçues sur un pays qui attise les passions (p. 245-260). Le Cavalier Bleu.

[9] Les ONG ont également produit l’exposition photographique et le podcast ”L’intolérable : les enfants en détention militaire”, qui met en lumière, à travers des portraits d’enfants et de familles, la brutalité de ce régime de domination et ses effets.

[10] La campagne « Made in illegality », portée par le CNCD-11.11.11 depuis plus de dix ans, la campagne « Trading with Illegal Settlements » portée par Oxfam, la campagne « Don’t Buy into occupation » , …

Facebook
Twitter
LinkedIn
Print
Email

Dans l'actualité

Restez informé·e·s

Inscrivez-vous à notre newsletter en ligne et recevez une information mensuelle complète.

Engagez-vous à nos côtés !

Nos actus péda dans votre boîte mail ?

Remplissez ce formulaire pour être tenu·e au courant de nos actualités pédagogiques (formations, outils pédagogiques etc.)

Prénom - Nom