Le 10 avril, les élections avaient pourtant failli prendre un tour inattendu avec la subite ascension de la franco-péruvienne Veronika Mendoza, visage d’une gauche progressiste et démocratique, tranchant avec une classe politique clientéliste. Son succès aura néanmoins permis l’obtention de 20 sièges au Congrès [1] à son parti Frente Amplio, en faisant la 2ème force politique du pays, après Fuerza Popular, le parti de Keiko Fujimori.
Mais le Pérou a finalement fait le choix de rester fidèle au modèle néolibéral consolidé par le Président sortant Ollanta Humala, celui d’un pays exportateur de matières premières, eldorado des entreprises étrangères. On retrouve l’origine de ce profil dans les réformes économiques libérales sévères imposées par le gouvernement d’Alberto Fujimori dans les années 90 pour stabiliser une économie victime d’une inflation démesurée. Réduction du rôle de l’État dans l’économie, privatisations, ouverture des frontières, soumission au marché font partie des changements réalisés à l’époque qui continuent de marquer l’économie péruvienne aujourd’hui. Notons que si ces derniers ont permis au Pérou de réintégrer le champ de l’économie mondiale, ils n’ont en rien diminué les inégalités dans le pays.
Les années Fujimori, c’est aussi le souvenir de la victoire contre la guérilla du Sentier Lumineux au prix de l’assassinat de milliers d’innocents. En accordant à l’état-major militaire le pouvoir d’arrêter les personnes suspectées de terrorisme, Fujimori a ouvert la voie à de nombreux débordements. Au total, le conflit a fait 70 000 victimes dont plus de 15 000 disparus. Les recommandations et réparations établies par la Commission Vérité et Réconciliation suite au conflit restent encore pour la plupart lettre morte.
C’est ce mépris de la démocratie et de l’État de droit qui a conduit à la défaite de Keiko le 5 juin. Craignant que sa victoire n’ouvre la voie à l’amnistie des fujimoristes condamnés pour crimes et corruption, des milliers de manifestants sont descendus dans les rues armés du slogan « Keiko no va ». Ils ont vivement milité contre le retour de l’État autoritaire qu’elle représentait. Le mot-clé de son programme était en effet l’ordre à travers la réhabilitation de sujets comme la peine de mort, l’utilisation de l’armée en soutien à la police et la possibilité controversée pour la police de travailler 24h/24h. Cependant, malgré sa défaite, Fuerza Popular a obtenu la majorité au Congrès (71 sièges sur 130), annonçant déjà de vives négociations pour le nouveau Président.
Pedro Pablo Kuczynski, candidat du parti de centre droit Peruanos por el Kambio devient président du Pérou à 77 ans à quelques dizaines de milliers de voix d’écart. Durant la campagne, il a dû se battre pour s’éloigner de son image de lobbyiste à la faveur des entreprises et convaincre de son souci du citoyen. Kuczynski s’est présenté comme un rempart au retour du fujimorisme. Il a su convaincre qu’il était l’alternative démocratique à la corruption et aux scandales de narcotraficimpliquant l’entourage de Keiko. Rappelons que le secrétaire général du parti Fuerza Popular, Joaquin Ramirez fait l’objet d’une enquête pour blanchiment d’argent provenant de supposés trafics illicites de drogues.
PPK est davantage un candidat élu par défaut que pour ses mérites. Dans le fond, ses propositions ne différaient pas tant de celles de Keiko. Par opposition, son programme a mis l’accent sur la démocratie et la transparence. Il s’est engagé à redynamiser les services publics et à enclencher une révolution sociale permettant à tous d’avoir l’accès à l’eau, au gaz et à l’électricité. Les citoyens seront dès lors attentifs à tout acte du nouveau président qui ira à l’encontre des principes démocratiques qu’il a tant mis en avant.
Bien que Kuczynski n’ait cessé de vanter sa probité, les candidats ont été tous deux cités dans l’affaire des « Panama Papers ». Dans le quartier de San Isidro à Lima se situe l’une des firmes juridiques les plus polémiques du monde : le Groupe Mossack Fonseca, un bureau expert dans la création de compagnies offshore dans n’importe quel paradis fiscal du monde. Keiko a perçu des financements de campagnes de la part de titulaires ou mandataires de sociétés offshore dans différents pays du monde. Et PPK a signé une lettre de recommandation pour un ami ex-banquier qui s’en est servi pour ouvrir une société au Panama.