Travail décent, le grand absent du secteur de l’électronique

Chaque jour, des travailleur·se·s de l’industrie de l’électronique sont victimes de violations de leurs droits fondamentaux. Alors que les appareils électriques et électroniques sont devenus omniprésents dans notre quotidien, il est indispensable de s’interroger sur la responsabilité des entreprises d’assurer la primauté des droits humains tout au long de leur chaine de production.

Chaque jour, des travailleur·se·s de l’industrie de l’électronique sont victimes de violations de leurs droits fondamentaux.

Nous connaissons toutes et tous les noms de marques tels qu’Apple, Samsung, LG ou Lenovo : il s’agit des grandes marques d’appareils électriques et électroniques. Elles vendent les ordinateurs et les smartphones que nous possédons en quantité. Il est indispensable que de ces entreprises se mobilisent pour faire respecter les droits humains ainsi que l’environnement tout au long de la chaine de production. Derrière ces « grands noms » se cachent des entreprises moins connues, qui constituent les échelons intermédiaires de la chaine de valeur : Quanta, Compal, Flextronics, etc. Ce sont elles qui produisent les puces, cartes mères et autres composants électriques et électroniques nécessaires au bon fonctionnement de nos appareils. Cette industrie n’est composée que d’une poignée de grandes sociétés et n’est pas exempt de violations de droits humains. Focus sur ce milieu qui, s’il s’arrête de tourner, immobilise de nombreux secteurs par effet de domino (numérique, automobile, etc.)

Chaine de production ? Le terme « chaine de production » désigne l’ensemble des opérations de fabrication nécessaires à la réalisation d’un produit manufacturé. Elle compte toutes les étapes de l’extraction des matières premières à la mise sur le marché, en passant par le transport, la vente des matières premières, la transformation, la construction, etc.

Heures supplémentaires obligatoires, exposition à des produits toxiques et dictature de l’entreprise

L’industrie de l’électronique est composée de grandes entreprises, et parfois de grands groupes, qui ont leurs usines principalement en Asie, Asie du Sud-Est, mais également dans certains pays d’Europe (Pologne, Slovaquie et République tchèque). C’est une industrie en plein boom qui génère un chiffre d’affaires énorme et gère une main d’œuvre importante dans le monde ; on estime la main d’œuvre à environ 18 millions de personnes dans le monde. Si l’on prend l’exemple de Foxconn, incontournable en la matière, on estime que le groupe emploie environ 10 millions de personnes, ce qui représente environ 40% des employé·e·s du secteur au niveau mondial[1] et a eu des revenus en 2020 s’élevant à 5,35 milliards de dollars taiwanais.

Le fonctionnement intrinsèque de l’emploi dans le secteur mène à de nombreuses violations des droits humains : il existe souvent une grande précarité du statut des travailleur·se·s, des conditions de travail terribles, un manque de prise en compte des risques sanitaires et une hostilité déclarée envers l’action syndicale. En ce qui concerne la précarité du travail dans le secteur, on connait de nombreux cas de travail forcé (impossibilité de prendre des pauses ou des vacances, donc travail forcé dans les faits), confiscation de passeports et déductions arbitraires de salaire. Ce qui rend souvent ce traitement possible est qu’une partie des effectifs sont des travailleurs et travailleuses migrant·e·s (par exemple en Malaisie ou en Thaïlande), qui sont les plus vulnérables et les plus exposé·e·s aux mauvais traitements. Il a également été rapporté le cas chinois des étudiant·e·s qui sont embauchés dans le cadre d’un stage à réaliser pour leurs études et qui se retrouvent sur une ligne de production à faire un travail important, parfois même des heures en trop par rapport à ce qui est autorisé en Chine ou des shifts de nuit. En 2018, Apple aurait demandé à ses fournisseurs que les étudiant·e·s en stage ne représentent pas plus de 10% de leurs forces de travail !

Un autre problème important, qui concerne la majorité des travailleuses et travailleurs du secteur, est le « standard » des salaires et la façon dont il est payé – et comprenant un système de « bonus ». Concrètement, dans certains pays, les salaires sont tout simplement trop bas pour vivre. Ceci a des conséquences évidentes en termes d’heures supplémentaires, puisque les employé·e·s sont tenu·e·s de prester des heures supplémentaires pour avoir assez d’argent pour vivre – les heures supplémentaires sont rémunérées sous l’appellation « bonus ». Cela entraine un cercle vicieux, dans lequel les employé·e·s ont besoin des « bonus » (qui n’en sont pas) et sont également menacé·e·s de licenciement s’ils ou elles refusent de prester de trop longues heures supplémentaires[2].

Un troisième problème important dans le secteur est le non-respect ou le manque d’information quant aux mesures de santé et de sécurité. La manipulation de produits toxiques est fréquente sur les chaines de montage et il arrive que les personnes qui les manipulent ne soient pas informées de leur dangerosité. Ceci entraine des cas de maladie diverses. Ajoutons que de nombreuses travailleuses dans ces industries sont des femmes  et qu’elles peuvent subir des conséquences graves liées à leur exposition à des produits toxiques, notamment sur leur fertilité.

Avec le covid, certaines de ces situations ont empiré. Comme dans toute crise, ce sont d’abord les personnes les plus fragilisées qui sont touchées. Ainsi, en Thaïlande, on a pu voir le cas de travailleuses et travailleurs migrant·e·s (originaires du Myanmar) laissés au travail sans protection adéquate, ce qui a conduit à la création de clusters. À Taiwan, où les entreprises de l’industrie de l’électronique se reposent essentiellement sur les travailleur·se·s migrant·e·s, des employé·e·s ont été littéralement enfermé·e·s entre l’usine et leur dortoir pour « éviter toute contagion ». Des gardes de sécurité s’occupaient du transfert des personnes entre le dortoir et l’usine.

Ajoutons finalement qu’il existe une large culture anti-syndicale dans le secteur, rendant la tâche d’autant plus difficile aux employé·e·s de s’organiser pour faire respecter leurs droits.

L’industrie de l’électronique est de plus en plus présente en Europe et les violations des droits humains caractéristiques du secteur n’y sont pas moins rares. Prenons l’exemple de l’incontournable Foxconn, qui s’est implanté depuis les années 2000 en République tchèque. Si tout n’est pas rose dans ces implantations, les conditions de travail demeurent nettement moins pénibles qu’en Asie. Néanmoins, de nombreux efforts restent à fournir pour rencontrer les standards d’un travail décent. Electronics Watch[3] a pu observer la situation avec leur partenaire sur place, MKC Praha : emplois précaires, insécurité salariale, heures de travail impossibles à prévoir, manque d’informations concernant les salaires et les bonus… Suite à une conciliation, des améliorations ont pu être notées, comme le déploiement de plannings de production et l’aménagement d’une garantie de salaire minimum pendant les périodes de basse production.

Prise en compte du respect des droits humains dans les marchés publics

Comme vu dans l’exemple ci-dessus, la première solution qui vient en tête pour améliorer les conditions de travail des employé·e·s de l’industrie de l’électronique est de renforcer les organisations syndicales et de renforcer la conciliation entre entreprise et travailleur·se·s. Mais il est également possible, tout au bout de la chaine, de prendre conscience de ces problématiques et d’agir en conséquence. L’ONG Electronics Watch est une organisation indépendante qui monitore les violations des droits humains dans l’industrie de l’électronique. Peter Pawlicki nous explique une de leurs stratégies : intervenir en utilisant les marchés publics.

Le SPF Stratégie et Appui définit un marché public comme « un contrat passé entre un pouvoir adjudicateur et une entreprise en vue de l’exécution de travaux, de fournitures ou de services. » Concrètement, il s’agit pour toute institution publique belge (fédérale, régionale, communale…) mais aussi pour toute une série d’autres acteurs (institutions européennes, écoles publiques, hôpitaux…) de s’assurer des services, des fournitures ou autres (par exemple : des travaux) à travers un marché qui soit ouvert à tous, pour éviter le favoritisme et/ou la corruption. On peut imaginer, en 2021, que les dépenses pour du matériel qui contient de l’électronique représente un poste important pour toute organisation.

Il est intéressant de lire la ligne suivante de la définition du SPF : « Le but est de faire la “meilleure affaire”, c’est-à-dire l’acquisition du meilleur produit possible, au prix commercial le plus intéressant possible. » Si cela reste un critère déterminant d’attribution de marché public, on peut en faire valoir d’autres. Les marchés publics sont généralement des processus très réglementés. C’est donc un endroit idéal pour faire valoir des critères de durabilité, comme le respect des droits des travailleuses et travailleurs de l’industrie. Depuis 2014, il existe d’ailleurs une directive de l’Union européenne sur les marchés publics qui permet d’inclure des critères sociaux et environnementaux dans les appels d’offre.

En conclusion

Alors, en tant que citoyennes et citoyens, n’hésitons pas à nous conscientiser et à conscientiser autour de nous sur la situation des travailleuses et travailleurs de l’industrie électronique. Interpellons nos élu·e·s au niveau communal comme aux autres niveaux pour qu’ils et elles prennent le réflexe d’inclure dans leurs marchés publics le critère essentiel du respect des droits humains. En Belgique, certaines entités ont déjà pu faire appel à Electronics Watch pour les conseiller : le Gouvernement flamand, la Ville de Gand et l’Université de Gand. À quand le tour des gouvernements wallons et bruxellois, des universités et des communes du sud du pays ?

Cette analyse a été basée sur l’intervention de Peter Pawlicki lors de la conférence grand-public « Travail décent : rêve ou réalité ? » organisé le 11 octobre 2021 lors de la Quinzaine de la Solidarité Internationale de la Ville de Bruxelles.

Claire Mathot.


[1] Dans leur rapport de 2020, il est noté que le groupe emploie 1 million de personnes. Ce chiffre sans doute très en deçà de la réalité se réfère peut-être aux personnes employées stricto sensu par Foxconn, et non par ses différentes filiales.

[2] Dans les cas les plus importants, on parle de 60 à 70 heures de travail par semaines (en Chine).

[3] Une partie du travail de cette ONG est de servir de médiateur entre entreprises et organisations syndicales ou travailleur·se·s.

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