Depuis 2016, en RDC, la filière du cobalt artisanale est sous le feu des critiques. Les violations des droits humains, le travail des enfants, les dégâts sur l’environnement sont monnaie courante. Quelles sont les pistes pour y remédier ?
Le secteur minier artisanal ne cesse, depuis des années, d’être associé à une pléthore de fléaux. Focus sur la filière artisanale du cobalt. Un secteur vital à l’économie congolaise.
Le 31 mars dernier, le président du conseil d’administration de la Gécamines (la compagnie minière d’Etat) annonçait le lancement officiel des activités de l’Entreprise Générale du Cobalt (EGC). Cette entreprise créée en 2019, a pour mission de veiller à ce que la production artisanale de cobalt se fasse dans des conditions de travail décentes et de supprimer les principaux risques sociaux, éthiques, et environnementaux qui affectent la population congolaise.[1] Pour mener à bien cette mission, l’EGC a obtenu le monopole de l’achat, du traitement, de la transformation, de la vente et de l’exploitation du cobalt artisanal en République démocratique du Congo. Ce projet ambitieux s’inscrit dans un programme politique plus large, qui vise à redonner à l’Etat sa souveraineté sur ses ressources minières afin de garantir un contrôle et une redistribution transparente des richesses de la RDC. Si l’EGC a le mérite d’apporter une touche d’espoir quant à la formalisation et la transparence du secteur minier artisanal, de nombreux défis restent à relever pour faire de ce secteur un réel moteur de développement au service de la population.
Pourquoi s‘intéresser au cobalt ?
Dans ce marché florissant, la RDC a une carte importante à jouer. L’économie congolaise dispose de plus de 60% des réserves mondiale de cobalt et représente près de 70% de l’offre mondiale de ce minerai. La part de cobalt extraite artisanalement correspond entre 10 et 30% du total produit annuellement. C’est de cette dernière dont nous parlerons ici.
Enjeux éthiques liés aux mines artisanales: un métal controversé
En RDC, près de 200 000 mineurs dépendent directement de la filière artisanale de cobalt pour vivre. De plus, selon les calculs de la Banque mondiale, pour chaque mineur directement impliqué dans l’extraction de ce minerai, 4 à 5 personnes en dépendraient indirectement. Les revenus théoriques générés par cette industrie sont estimés à 800 millions de dollars. Le secteur artisanal du cobalt est donc, non seulement un moyen de subsistance essentiel pour la population mais également une source potentielle de revenus pour l’Etat.
Cependant, derrière ces chiffres se cache une tout autre réalité. C’est principalement en 2016 que les enjeux éthiques liés à l’exploitation artisanale du cobalt ont été pointés du doigt par diverses ONG. Le rapport : « Voilà pourquoi on meurt », publié par Amnesty International et Afrewatch a contribué à mettre en lumière les conditions épouvantables dans lesquelles est extrait le cobalt. Ce rapport met en évidence le travail des femmes et des enfants, l’exposition des creuseurs à des produits toxiques, l’absence de salaire décent, de mesures de sécurité adéquates et les dégâts importants sur l’environnement. Le constat est implacable : c’est au péril de leurs vies que les mineurs artisanaux s’efforcent de trouver un revenu qui leur permettra de survivre.
De cette situation, découle une relation asymétrique et inacceptable entre le Nord et le Sud. La filière artisanale du cobalt profite à de nombreuses multinationales qui s’approvisionnent en cobalt bon marché pour ensuite l’intégrer dans des produits à haute valeur ajoutée, tels que les smartphones, les véhicules électriques et autres produits électroniques. S’il est vrai que dans la plupart des cas, le cobalt transite dans un premier temps vers la Chine ou l’Afrique du Sud pour être raffiné, il demeure qu’il se retrouve par la suite sur le marché occidental sans avoir intégré les coûts sociaux et environnementaux liés à son extraction. Dans cet environnement dicté par ce qu’on nomme la mondialisation, la population congolaise survit alors que les multinationales s’enrichissent.
Si la complexité du marché mondial a longtemps permis aux multinationales de faire fi de leurs responsabilités, les rapports tels que celui précité ont permis d’éclaircir la face sombre de notre modèle de production, et ce, tout secteur confondu. Depuis plusieurs années, les initiatives se multiplient pour essayer de responsabiliser les entreprises et améliorer les conditions des travailleurs.euses tout au long de la chaîne de valeurs. La filière artisanale du cobalt ne fait pas exception.
Des initiatives pour un approvisionnement responsable en cobalt artisanal
Les révélations associées au cobalt artisanal ont suscité un certain nombre de réactions au niveau des entreprises et multinationales s’approvisionnant sur ce marché. Certaines d’entre elles ont fait le choix de se désengager affirmant qu’elles ne s’approvisionneraient tout simplement plus en cobalt artisanal. Si cette réaction peut sembler légitime, il convient de s’interroger sur la véracité des propos tenus par ces entreprises.
En effet, étant donné la complexité de la chaîne d’approvisionnement, sans un travail proactif pour s’en assurer, il est tout bonnement impossible pour les entreprises de garantir l’absence de cobalt artisanal dans leurs produits. Il est également important de souligner qu’une telle mesure ne résout en rien les problèmes liés aux mines artisanales et a des effets potentiellement dévastateurs sur les moyens de subsistance des mineurs qui se retrouvent, dans le pire des cas, faute de demande, à devoir vendre le minerai extrait sur le marché noir. Dès lors, si un désengagement peut sembler rationnel et légitime, aux vues des nombreux rapports sur le sujet, c’est une attitude à éviter. A l’heure actuelle, seule l’absence de connaissance pourrait justifier une telle décision. Or, face aux révélations précitées, la quête pour une meilleure compréhension, plus d’informations et des changements dignes de ce nom devrait devenir le leitmotiv de toutes les entreprises afférentes au secteur du cobalt artisanal.
D’autres entreprises ont eu une attitude plus proactive et ont participé au lancement de programmes d’approvisionnement responsable en cobalt qui visent à atténuer les risques liés à la chaîne d’approvisionnement artisanale. Cela a permis à des initiatives telles que la « Gobal Battery Alliance », « Fair Cobalt Alliance » et le programme « Cobalt for Developement » de voir le jour. Néanmoins, selon une étude de terrain publiée par l’IIED (International Institue for Environment and Development), deux problèmes majeurs persistent. Premièrement, les mineurs locaux sont trop rarement représenté.e.s au sein de ces initiatives. Deuxièmement, les préoccupations locales sont insuffisamment prises en compte dans la conception de ces initiatives.
A l’heure où l’inclusion des communautés locales dans les projets de développement et de coopération devient la norme, ce manquement de la part des entreprises est difficilement compréhensible. Ces programmes sont récents et sont donc amenés à se perfectionner pour répondre au mieux à leurs objectifs, toujours est-il que sans un gouvernement à même de légiférer et d’encadrer ce secteur, les initiatives pullulent et leurs effets se diluent faute d’harmonisation.
Une stratégie congolaise pour les congolais par les congolais
Le gouvernement congolais a également tenté de répondre aux critiques qui le mettaient une nouvelle fois sur le devant de la scène. Cet Etat tristement connu pour son histoire coloniale, néocoloniale, ses conflits internes, les minerais du sang, la corruption et les guerres à répétition marquées par la présence sempiternelle de la MONUSCO. A cette liste déjà trop longue s’ajoutaient les révélations sur filière du cobalt artisanal.
Depuis lors, la filière artisanale du cobalt a connu d’importants changements, du moins sur le plan légal. Le code minier de 2002 a été révisé en 2018, des taxes ont été introduites sur les minerais stratégiques, des mesures ont été prises pour lutter contre le travail des enfants et une loi a été rédigée pour imposer aux mineurs artisanaux de s’organiser sous forme de coopérative afin de pouvoir miner dans des zones spécialement désignées appelées Zone d’Exploitation Artisanale (ZEA). Une nouvelle fois, les intentions sont louables mais entre l’élaboration de la loi et sa mise en œuvre de nombreuses étapes restent à franchir. Les tensions politiques internes et l’arrivée du Covid-19 sont rapidement venus entraver les efforts entrepris.
Dans un tel contexte, l’arrivée de Felix Tshisekedi à la présidence du pays a mené à l’instauration de deux nouvelles institutions chargées de mieux réglementer le secteur et de veiller au respect des lois établies. La première, l’Arecoms, est une institution gouvernementale chargée de contrôler et de légiférer le secteur du cobalt artisanal. Une des tâches les plus importantes qui lui incombent est l’inspection des sites miniers et la délivrance des certifications de conformité.
La seconde institution est l’EGC (l’entreprise générale du Cobalt). Cette filiale de la Gécamines (la compagnie minière d’Etat) a pour objectif de lutter contre la fraude et la corruption dans le secteur, d’améliorer le climat des affaires et de s’assurer que toute la production artisanale de cobalt soit conforme aux normes d’approvisionnement responsable publiées en mars 2021.[2] Pour remplir ces objectifs, l’EGC dispose d’un monopole sur l’achat, la transformation, et la commercialisation du cobalt artisanal. Cette solution est innovante car elle supprime les intermédiaires et rend illégale la vente de minerais artisanaux vendus via d’autres circuits.
Ce monopole permettrait à l’Etat de mieux réguler les cours du cobalt en limitant les quantités disponibles sur le marché lorsque la demande est en baisse et en les augmentant lorsque la demande est en hausse. Selon le gouvernement, ce système aurait pour effet de stabiliser les revenus des mineurs. Un second avantage lié à ce monopole est qu’il permettrait de limiter l’exploitation artisanale aux sites certifiés (ZEA) comme cela est inscrit dans la loi. Les autres sites non approuvés ne pourraient tout simplement pas vendre le minerai à l’EGC et se retrouveraient donc théoriquement sans acheteur.
Le grand danger est que la formalisation des sites miniers ne peut se faire en un jour. L’Arecoms se doit d’avoir les capacités administratives nécessaires pour certifier la conformité des sites. De plus, un support technique et des moyens financiers doivent être engagés pour permettre aux sites miniers et aux coopératives minières de s’adapter aux normes en vigueur. Le problème c’est que le délai choisi initialement pour cette transition était de 60 jours. Il semblerait qu’au gré des déclarations il soit passé à 6 mois.
Toujours est-il que ces délais sont surréalistes et que sans un plan d’accompagnement et une feuille de route bien prédéfinie des étapes à accomplir pour garantir cette formalisation, l’EGC et l’Arecoms, risquent tout simplement d’aggraver la situation en excluant la grande majorité des sites miniers du marché formel. Cela aurait un effet délétère sur les revenus des mineurs et renforcerait considérablement les marchés informels.
Conclusion
En RDC, le secteur minier artisanal ne cesse, depuis des années, d’être associé à une pléthore de fléaux : insécurité, corruption, exploitation humaine, pollution, déplacement des populations, violation des droits du travail… Les tentatives de régulation de ce secteur sont nombreuses au nord comme au sud du pays. Parfois elles sont le fruit d’initiatives locales, nationales, internationales et même privées. Dans certains cas, ces acteurs travaillent collectivement, dans d’autres individuellement mais toujours avec pour but ultime de formaliser une industrie délicate, complexe mais pourtant essentielle à la vie de nombreux Congolais et Congolaises.
A mesure que l’on s’intéresse à ce que certain.e.s appellent « la malédiction des ressources naturelles », de nombreuses inconnues et incompréhensions persistent et les échecs semblent se répéter inlassablement. Certes, la manne financière que représente cette richesse minérale épuisable associée à l’importance grandissante de ces minerais pour les technologies d’aujourd’hui et de demain, permettent d’expliquer une grande partie des problèmes rencontrés pour garantir une exploitation artisanale responsable et transparente. La taille du territoire, l’absence de structures étatiques stables et efficientes en sont d’autres.
Néanmoins, la formalisation de cette industrie ne peut se faire de façon isolée et ne peut constituer un but en soi. La formalisation du secteur minier artisanal se doit d’être vue comme une étape intermédiaire, permettant de maintenir un certain revenu aux mineurs et de stabiliser une situation catastrophique sur le plan éthique. L’étape ultime, sera un jour d’abolir cette exploitation du passé, pour laisser place à une industrie minière industrielle et professionnelle gérée par et pour les Congolais et Congolaises. Les retombées économiques générées par une telle exploitation permettraient une diversification de l’économie et une réorientation de celle-ci vers les secteurs à haute valeur ajoutée. Il n’y a pas de raison que l’un des plus grands pays d’Afrique ne parvienne pas à trouver la voie de son développement.
Seul un gouvernement solide bénéficiant de l’appui de sa population et composé d’élus politiques insensibles à l’appât du gain sera à même d’orienter la RDC sur cette voie. Un grand plan national est possible mais il s’agit d’avoir une approche globale de la situation. Investir dans l’éducation, l’emploi des jeunes, les infrastructures routières et énergétiques, sont tant des pistes qui permettront d’améliorer le climat des affaires et de renforcer l’efficience et l’application des décisions prises par les décideurs politiques.
Les dirigeants européens et les consommateurs possèdent également un pouvoir pour soutenir le pays en ce sens. Payer le juste prix, montrer un attachement à l’éthique des produits que nous achetons, pousser nos décideurs à s’assurer que les multinationales respectent les droits humains tout au long de leurs chaînes de valeurs sont des pistes tangibles pour contribuer au changement.
Simon Rix.
[1] https://www.wangu.info/alaune/rdc-lentreprise-generale-du-cobalt-lance-ses-activites-a-partir-de-lafrique-du-sud/
[2] https://pubs.iied.org/sites/default/files/pdfs/2021-09/20436iiedfr.pdf p11.